Mauritanien, grandi au Mali, Abderrahmane Sissako, un des grands réalisateurs africains ne supporte plus de voir son continent privé de salles de cinéma. Une certaine rigueur économique imposée par les pays riches aux états africains a conduit ces derniers à délaisser les politiques culturelles. Les salles de cinéma furent parmi les victimes de ce désengagement. En 2009, Sissako et des petites mains généreuses se sont lancés le défi de rénover et réouvrir des salles ! Vaste chantier. Pour que les cinéastes africains ne vivent plus la frustration de n’être point vu sur leur continent, dans leur pays ou leur ville ; pour que la jeunesse africaine retrouve le goût d’un bonheur partagé dans une salle obscure ; pour que la cinéphilie ne soit pas un luxe de l’hémisphère nord.
Entretien mené par la rédaction de ZigZag avec l’équipe de l’association
- Ciné Soudan à Bamako... aujourd’hui
- Ph : Atelier d’architecture Lalo
- Ciné Soudan à Bamako vu par l’atelier d’architecture Lalo
- Ph : Atelier d’architecture Lalo
Les salles de cinémas se raréfient en Afrique, parfois sont inexistantes comme au Sénégal, au Cameroun ou en Côte d’Ivoire, comment est née cette volonté de mettre fin à ce drame culturel ?
Le réel problème est que les publics africains n’ont pas accès à leurs propres images, aux films africains qui les représentent. Or le cinéma participe à la construction d’une identité commune, d’un inconscient collectif. Un peuple sans cinéma c’est comme une personne sans miroir. Il est rassurant d’avoir peur ensemble et constructif de rêver ensemble. Il est très frustrant pour les cinéastes africains que leurs films ne soient pas vus sur leur continent. On n’imagine pas un chanteur sans salle de concert ou un écrivain sans librairie, comment imaginer un cinéaste sans salle de cinéma ? Les cinéastes font des films pour qu’ils soient vus, par tous et surtout par leurs concitoyens.
Le « Soudan Ciné » à Bamako, est-ce à la fois le projet phare et le projet test ?
Il s’agit du premier projet de l’association, son projet-pilote. Il servira de tremplin et d’exemple pour la réouverture de lieux dédiés aux cinémas du monde entier dans les grandes capitales africaines.
La technologie numérique est-elle une chance pour l’Afrique ?
Face aux problèmes de rentabilité des salles de cinéma « classiques » équipées de 35 mm nécessitant un acheminement des bobines complexe et coûteux, miser sur les avantages offerts par les nouvelles technologies numériques s’imposait. Le numérique permet, grâce à la dématérialisation du film, de rompre la fracture géographique pour la diffusion des œuvres du 7ème art. Ces technologies apporteront ainsi une solution efficace pour réduire les coûts d’exploitation et pour disposer des films simultanément avec les sorties sur les autres continents. Cette simultanéité est très importante, car si tant de salles ont fait faillite et ont fermé c’est aussi parce que les films arrivent des semaines après leurs sorties sur les autres continents et qu’au moment où ils sortent en Afrique le piratage a déjà fait son œuvre.
Parlons du nerf de la guerre, y compris de la guerre culturelle : Les financements... dans une période où la culture subit les contrecoups directs de la crise économique, qui « ose » vous accompagner ?
Heureusement que des personnes et des institutions croient encore à l’importance de la culture et de l’art ! Vous pouvez trouver la liste complète de nos partenaires, c’est-à-dire ceux qui ont acheté un ou plusieurs fauteuils sur notre site internet*.
Vous proposez aux investisseurs privés « d’acheter un fauteuil »... quel est ce concept ?
C’est un symbole. Nous proposons aux donateurs d’acheter symboliquement pour la somme de 5000 euros un siège de cinéma. Ce siège sera placé dans la salle du Soudan Ciné et portera le nom du donateur. A chaque nouveau don, il y a un nouveau fauteuil qui peuple la salle. C’est une façon poétique pour que les donateurs se sentent investis concrètement dans le projet.
- Ph - Meyer / Tendance Floue pour le cinéma numérique ambulant
Le film réalisé par Marion Stalens sur une musique de Rokia Traoré est un support de communication aussi dynamique qu’émouvant... comment les salles de cinémas ou les organisateurs de festivals peuvent-ils se le procurer et quelles sont les conditions pour le diffuser ?
Nous avons créé un espace de téléchargement réservé sur notre site internet. Ainsi, les festivals ou les salles de cinéma qui souhaitent projeter le film nous en font la demande par mail ou téléphone et nous leur communiquons un mot de passe qui leur permet de télécharger eux-mêmes très rapidement et en bonne qualité le film. Nous sommes aussi en train de diffuser le film dans des festivals d’envergure, européens ou internationaux, pour une sélection en compétition ou pour une simple projection. Le but est en effet de le faire voir et connaître au plus grand nombre. L’autre enjeu de cette communication est la campagne de levée de fonds, nous cherchons donc autant que faire se peut à accompagner la projection du film d’une collecte auprès des spectateurs.
Voir le film de Marion Stalens :
http://www.cinemasforafrica.com/fr/le-film
- Abderrahmane Sissako et Juliette Binoche (gauche)
- Ph : DR