Confinée dans la tête… d’un prisonnier !
À l’étroit, derrière les barreaux, porte close, ça fait longtemps que je suis confiné avec mille autres. Je partage un carré de matelas dans une maison d’arrêt. À l’intérieur, on se refile le peu qu’on a, sauf une chose… nos pensées. On les garde pour soi. On s’évade du matin au soir, en se demandant, comment est la vie dehors depuis que nous on est au fond ? Est-elle plus belle ? Moins violente ? On se surprend à rêvasser. On apprend à se donner une nouvelle conduite. On s’entraîne à dire bonjour, au revoir, merci. On s’entraîne aussi à donner la main, à faire la bise. Tant pis, si ça ne dure que le temps d’un sursis. On a besoin de ces actes insignifiants pour se sentir encore en vie. On se rêve plus aimant, plus tendre, moins que ce que l’on a été avant. La vraie question que l’on repousse à chaque fois, et pour cause, c’est de savoir :
« Est-ce que les gens nous reconnaîtront quand, à moitié libres, nous sortirons ? Nous feront-ils une place dans leur vie comme avant ? Ou serons-nous définitivement relégués au rang des hommes sans importance ? »
Il y a de quoi craindre la réponse. En silence, j’attends ce que nous réservera le monde.
J’entends crier dans la cour :
— Dehors, ils sont tous en prison maintenant !
Et ça ricane…
— On leur a juste laissé un frigo et un smartphone !
Et ça se tord les tripes…
— Ouais gars ! Au moins, nous, on avait parloir, eux, ils n’ont même plus le droit d’se voir !
Et ça se pisse dessus…
— Le juge Corona y a été fort, sa mère !
Et ça meurt de rire en crachant une toux armée sur des ronds de fumée.
Tout enfermé que je suis, je n’ai pas trouvé ça désopilant. Mais c’est l’humour des condamnés à perpétuité. Parfois, c’est crade. Ça joue les gros bras et les rires gras pour demeurer caïd en promenade.
D’où je suis, je vois tomber les chiffres. Nous serions donc des millions à vivre en cage. Seule la couleur des barreaux change. Nous partageons la même peine. Sûrement les mêmes larmes. Peut-être les mêmes morts. Nous ruminons remords et regrets. Plus rien ne garde notre paix. Nous cherchons une fissure d’espoir, sur les murs ou au plafond. Un truc pour continuer à y croire.
Nous aussi, au départ, refusant de voir nos crimes en face, on disait :
— Mais on n’a rien fait ! On veut sortir !
La justice nous a confrontés à nos erreurs et c’était sans appel.
À ceux qui s’auto-proclamaient juge, en réclamant des peines de mort à tout va pour des personnes qu’ils ne connaissaient pas, sachez que nous au fond, on prie pour vous dehors.
À l’étroit, derrière les barreaux, porte close, sans savoir qui vous êtes, on ne vous souhaite qu’un bien… Celui de vivre et de continuer à faire vivre !
Emmelyne Octavie
Auteure et comédienne
Ses écrits « Confinée dans la tête de... » sont à suivre sur sa page FB
Illustration : Samuel Figuière
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