Le Siècle qui vient et la réinvention nécessaire de la littérature
Je suis un lecteur régulier des « Carnets Vanteaux », depuis que mon comparse Dévésa Jean-Michel m’a envoyé un lien internet pour m’en parler. J’ai découvert l’activité de ses étudiants du master de création littéraire, et je m’interroge sur ce que vit la vieille Europe où j’ai passé une partie de ma jeunesse estudiantine. Quand je suis arrivé à Bordeaux fin 1992 pour des études de littérature, personne n’enseignait la création littéraire. En 1995, j’ai quitté la France pour les États-Unis, et participé pour la première fois, à l’International Writing Program de l’University of Iowa, à un atelier d’écriture, celui-là même où sont passés des auteurs devenus célèbres par la suite, Kurt Vonnegut Jr (Abattoir 5), John Irving (Le Monde selon Garp). Le maître des agapes s’appelait Blaise Clark, auteur canadien et époux de la romancière Bharati Mukherjee. Il avait une approche de l’écriture qui me plaisait, une attention aux variations des mots et aux néologismes, lesquels exprimaient mieux les choses, selon lui, vues de la fenêtre du narrateur et non de l’homme qui invente le narrateur. À l’atelier, j’avais un ami béninois, prof d’anglais de son état, qui s’essayait à l’écriture et écrivait comme le dictionnaire, ce qui faisait écarquiller de gros yeux à Clark ! De ces années de formation américaines, j’en suis revenu humble devant l’apprentissage de l’écriture.
Écrire, si je m’en réfère à Maître Irving, est une activité proche de la lutte grecque. Le plus insignifiant des lutteurs peut vous faire capituler le plus massif des adversaires. La taille du sujet intimide l’esprit le plus disposé, néanmoins les retournements de situation font le sel du travail de l’écrivain quand il déstabilise de sa légèreté d’esprit la masse et la puissance du thème. Les gens de mon ethnie, les Guins du Togo-Ghana, pensent que les mots sont des projectiles, des projections de soi, qui portent en elles des incantations d’où naissent la poésie et le chant. Comment lancer le projectile, toute la problématique du porteur de mots dans la société est là : le maître de la parole construit des mondes, son rôle est de panser la violence.
Il reste que, la littérature, nous ne savons plus très bien ce que c’est : mode, buzz, geste technique, délation, réparation ? Les « Carnets Vanteaux » proposent des solutions, des pistes que je continue de méditer. Force aux nouveaux inventeurs des lettres !
Kangni Alem
Écrivain et universitaire. Il enseigne le théâtre et la littérature comparée à l’Université de Lomé.
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