Quand je l’ai contactée pour la première fois, elle m’a confondue avec quelqu’un d’un concours pour lequel elle avait postulé. C’était drôle de voir sa déception (provisoire) quand je lui ai expliqué que je voulais faire un portrait d’elle.
Ses longs cheveux bruns ont immédiatement attiré mon attention. De plus, elle a de grands yeux chauds qui ont parfois l’air tristes... mais qui ne le sont pourtant pas. Son grand sourire les illumine alors que tout son visage change. Elle était bien habillée pour l’entretien. Elle portait une chemise à carreaux noire avec des roses, mais je ne pouvais pas m’empêcher de regarder le fond derrière elle.
On aurait dit que quelqu’un avait dessiné quelque chose sur un mur gris, des fleurs peut-être. Il s’agit d’une timide jeune fille ukrainienne nommée Zinayida, qui vient d’avoir 21 ans et qui est en quatrième année d’étude de la langue et de la littérature françaises à l’Université Nationale de Tchernivtsi. Elle parle tellement de langues que je ne pourrais même pas les compter. Sa mère roumaine et son père ukrainien sont déjà deux bonnes raisons d’être au moins bilingue. Même si elle vit près de la frontière avec la Roumanie, elle n’y es jamais allée. En fait, elle n’a jamais voyagé, n’a jamais quitté son pays.
Comme un aigle !
Dans son village, elle a beaucoup d’animaux, alors je lui ai demandé, si elle avait pu choisir, quel animal elle aurait aimé être. Tout d’un coup, elle a dit : « un aigle ! » Pour elle, c’est un animal merveilleux, très fort, qui peut voler incroyablement haut et traverser de longues distances sans s’arrêter. Ce qu’elle admire le plus, c’est la perspective de l’aigle et la largeur de ses ailes.
Comme nous étudions toutes les deux la littérature, nous avons parlé de livres. Son écrivain français préféré est Antoine de Saint-Exupéry, qui est aussi pilote. Elle semblait tout à fait obsédée par le vol. Elle a lu Le Petit Prince en quatre langues et le raconte souvent à sa petite sœur. Je lui ai parlé de la mort étrange de l’auteur, qui a été tué par un pilote allemand qui admirait le travail de l’écrivain français et qui plus tard, quand il a découvert qu’il avait fait écraser son avion, a dit qu’il ne l’aurait jamais fait s’il avait su qui était dedans. Cette histoire l’a rendue triste.
Cela n’aurait pas été une conversation de 2020 si nous n’avions pas parlé du coronavirus. Nous avons commenté cette nouvelle version de la vie à laquelle nous nous y étions habitués comme si la vie normale s’était terminée il y a déjà longtemps. Je voulais savoir, si elle avait pu voyager dans le temps, où elle serait partie, dans le passé ou le futur ? « L’avenir bien sûr », dit-elle. Pourquoi ? « Parce qu’il a été démontré à quel point nous savons peu sur notre avenir et à quel point il est imprévisible. » Puis, elle s’est arrêtée et a souri. « Ou peut-être que j’irais dans le passé pour sauver Saint-Exupéry. Ainsi il aurait pu me dédier un livre. »
Même si elle aime les films romantiques et semble si passionnée et émotive, elle ne pense pas aux garçons. Ils ne l’intéressent pas pour le moment : elle se consacre à ses études. Je n’y ai pas cru au début, mais elle m’a convaincue en disant que c’est ainsi qu’elle avait été élevée et éduquée. Elle a même ajouté une drôle de phrase que sa mère lui répète souvent, je cite : « Quand tu vois un garçon, fuis ». Au fur et à mesure que le temps passait, l’enthousiasme et les idées s’essoufflaient, nous avons donc mené lentement l’entretien jusqu’au bout. Je dois dire que j’ai vraiment apprécié de parler avec elle et je pense que c’était réciproque.
C’est une belle fille intelligente qui souhaite voyager et rencontrer des gens et aller vers l’ailleurs pour découvrir de nouvelles choses, mais qui ne peut pas pour le moment. C’est peut-être pour cela que le vol était très présent dans ses propos, car elle ressent le besoin
d’étendre ses ailes et de s’envoler.