1er prix catégorie « jeunes étrangers »
Araïta Ahmed Araïta,
23 ans - Djibouti
Les habitants du " quartier 3 " se rappelleront longtemps, le sourire au coin, de ce 11 août 2009. Un jour de chaleur redoutable comme on en a l’habitude à Djibouti ville mais allant crescendo chaque été. Mais aussi un jour mémorable par le scandale qui éclata au grand "jour" opposant le boutiquier d’origine éthiopienne Houssein, installé depuis 20 ans après avoir fui la galère de son pays où la famine avait sévi dans les années 80, au vieux chef de quartier, policier célèbre à la retraite et mentor des jeunes. On le surnommait Moussa "bridel", bridel étant la marque d’un lait dont on comparait ironiquement la blancheur à la peau bien noire de celui-ci. Derrière ce problème se cachaient trois fauteurs de trouble de tout juste 15 ans, Ali, Zyad et Kamil, mais qui avaient un mobile qui tenait la route.
En effet, ne supportant plus de se faire arnaquer pour la énième fois par ce boutiquier, qui venait de leur vendre un baladeur défectueux dont on ne pouvait même pas zapper les chansons. Ils décidèrent de l’escagasser, le mot est faible, en le piégeant. Car il faut le dire, Houssein aimait les femmes...malgré ses trois épouses cloîtrées sagement à la maison. Apres une véritable séance de remue-méninges, ils eurent l’ingénieuse et cruelle idée d’utiliser comme Cheval de troie Fatouma, la superbe adolescente de 17 ans et par ailleurs fille du chef de quartier. Cette dernière à qui Houssein faisait des avances depuis un moment, se laissa convaincre exprès d’enfin accepter un rendez-vous à l’arrière de sa boutique. Sauf que la variante de ce rendez-vous charnel fut l’apparition surprise... de Moussa ’bridel’ accompagné des trois jeunes revanchards.
1er prix catégorie « jeunes français »
Diane Steinmetz,
25 ans
"ALLO ? (…) ALLOOOO ? ( …) ALLOOOOOO ?!"
Absorbée à zapper sur mon baladeur une énième chanson grotesque téléchargée par les soins de ma tendre moitié, les vociférations de la vieille bique postée au centre du bus me firent l’effet d’une sirène de pompier enrouée. Mon cœur rata un battement et ma main droite tressauta pathétiquement.
La mamie était vraisemblablement en pleine galère avec son mobile, et s’échinait à hurler dedans en proposant pour seule variante un râle de mécontentement.
"ALLOOO ? ( …) Yvette ? Yvetteeee ? "
Sa voix de crécelle diarrhéique venait se loger sournoisement dans mes oreilles.
Ayant sorti de leur douce torpeur la majorité des passagers, la rombière commençait à se faire dévisager férocement.
On pouvait sentir la haine monter crescendo au sein du bastion de voyageurs.
C’était à celui qui la ferait plier en lui lançant le plus glaçant des regards.
"ALLOOO ? (…) ALLO ? Yvette, tu me reçois ?! "
La septuagénaire commençait sérieusement à m’escagasser. Rassemblant dans la hâte mes neurones - encore tout consternés par cet insidieux assaut verbal, j’ambitionnais de trouver une parade qui ferait capituler l’impudente passagère. A coup sur, l’on pouvait entendre par-dessus les diatribes de la vieille, les rouages que faisait mon remue-méninges.
C’était décidé. Mon cheval de Troie serait de lui céder ma place assise et de perfidement lui assener un coup de coude, judicieusement placé, qui aurait pour conséquence de faire choir l’objet du délit.
Je me voyais déjà acclamée par la foule en délire… Quand une voix de ténor retentit au fond du bus :
" Mais tu n’voudrais pas l’écraser un peu la vioque ?!"
Simple.
Rapide.
Efficace.
La grand-mère se liquéfia sur place, et sans moufter, remisa son téléphone dans son cabas.
Mon sauveur ! Mon mentor ! Mon adoré !
1er prix « libraires français »
Hayssam Hoballah,
27 ans – Maroc
Roland Magnon, verbicruciste parisien réputé, a agressé verbalement sa coiffeuse la semaine dernière après l’avoir demandée publiquement en mariage entre les stations Picpus et Bercy. La demoiselle aurait refusé en exprimant à ce dernier sa volonté de le « zapper » et après lui avoir demandé de ne plus l’escagasser.
Son nom est connu de tous les cruciverbistes, occasionnels comme chevronnés qui, pour passer le temps dans le métro, baladeur vissé sur les oreilles ou remue-méninges collectif à l’appui, tentent de déchiffrer les mots croisés ardus que Roland Magnon publie dans les colonnes de Métro, le quotidien mentor des autres gratuits du métro parisien.
Ce serait donc devant les yeux effarés des voyageurs de la ligne 6 que M. Magnon lui-même aurait été surpris hier à courtiser sa coiffeuse au prétexte qu’elle l’avait sorti de sa « galère de coupes ratées ». Ce dernier est en effet réputé pour son cheveu récalcitrant et ses coiffures aux variantes excentriques, qu’il arbore notamment dans l’émission Creusez Méninges.
Selon un des voyageurs ayant assisté à la déclaration capillaire, le ton serait monté crescendo au point que la demoiselle a perdu patience en arrivant à Bercy et lui a subitement faussé compagnie en lui lançant au descendre de la rame de « m’oublier et d’effacer mon numéro de mobile. » Magnon l’aurait alors traitée de péripatéticienne. Quelques instants auparavant, il lui avait pourtant demandé publiquement sa main en jurant fidélité à son petit « cheval de Troie » qui était « entré furtivement dans ma vie en bousculant mon cheveu et mes cases. » La belle serait troyenne.
Les raisons du refus de la jeune femme restent floues et Roland Magnon aurait été visiblement très affecté par cet incident. Métro n’a d’ailleurs plus publié aucun mot croisé depuis plusieurs jours, à en croire que l’inspiration lui manque. Les mots croisés du métro auraient ainsi trouvé dans la coiffeuse un cheval de Troie à l’épreuve des forteresses syntaxiques de Maître Magnon.
1er prix « libraires étrangers »
Guillaume Baudin,
32 ans
La course.
Il était heureux de ce qu’il lui arrivait.
Pourquoi avait-il chuté au pied de ce succès tant espéré ?
Antoine, 25 ans, sportif de haut niveau, courait chaque jour quelques kilomètres, baladeur sur les oreilles, un monde muet défilant autour de lui. Discipline pour rester alerte et échauffé pour l’entraînement journalier du début d’après-midi. Coureur professionnel de saut de haies, il était prêt pour la dernière compétition de la saison. Dans quelques jours, elle aurait lieu. Son mentor Paul l’avait préparé comme il s’était préparé une vingtaine d’années auparavant pour la remporter. Gagner cette course signifiait un futur sportif engagé. Mais le court de sa vie allait basculer à cause d’elle, Hélène.
Assistante de direction, Hélène avait la vingtaine. Sportive, elle fréquentait aussi les pistes. L’avant-veille de la compétition, chez des amis communs, Hélène rencontra Antoine. Durant le repas, ils firent connaissances et très vite, ils se sentirent attirés l’un vers l’autre. Je te raccompagne, lui dit-il, oui merci, répondit-elle. Un remue-méninges dans sa tête. Jamais elle n’avait été aussi crescendo dans une relation songea t-elle. Hélène se jeta à l’eau, aucune variante : tu veux monter ?
Dans la torpeur de l’appartement, ils firent l’amour. Le lendemain Antoine la rappela. Hélène, perdue par cet enchaînement d’événements, ne décrocha pas. Le jeune homme s’interrogea sur le mobile de ce silence. Elle a déjà zappé. Pourtant, le cœur en galère, il n’arrêtait pas de penser à elle.
Le jour J. La course avait bien commencé. Il était second. Suivant la technique du cheval de Troie, il allait jeter ses dernières forces dans la bataille, surprendre ses rivaux et remporter la victoire. Il accéléra furieusement, mais au moment précis où il sauta la dernière haie et gagner, il la vit, elle, le contemplant amoureusement dans son effort. Il chuta dans le vert azur des yeux de la belle. Étendu sur la piste, à moitié escagassé et bon dernier, il sourit.