Francophones de Flandre :
Quelle est la position des partis politiques ?
Le 31 juillet 2011, il y aura dix ans que la Belgique a signé la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales. Mais... elle ne l’a toujours pas ratifiée en raison de l’opposition des partis flamands. Il y aura aussi dix ans et même un peu plus que l’APFF se démène pour faire reconnaître les droits culturels des 367.000 Francophones vivant en Flandre. Fatigués de nous heurter à des "niet !" obstinés, nous avons dû en appeler à l’ONU. Notre plainte est à l’examen et sans nul doute il y sera fait écho lors de la réponse que notre pays devra présenter, en septembre, à Genève, suite à la recommandation des Nations Unies de ratifier ladite convention.
L’interminable négociation sur la restructuration institutionnelle du pays nous a paru une bonne occasion pour prier les présidents des partis politiques de préciser leur position sur ce problème.
Nous leur avons donc posé trois questions relatives à la protection des minorités et à un accord de coopération culturelle entre Flamands et Francophones (Les textes complets des questions et des réponses se trouvent sur notre site internet).
Les réponses
A tout seigneur tout honneur : commençons par le parti de Bart De Wever étant donné son poids politique en Flandre. Nous ne citons que les passages qui nous paraissent éclairants.
N-VA* : Il est évident, d’après des analyses juridiques minutieuses que "la ratification aurait pour conséquence que les Francophones pourraient, s’ils le demandaient, obtenir, partout en Flandre le droit à une administration en français, une justice bilingue, tous les panneaux officiels en français, un enseignement en français etc... etc... De telle sorte que la Flandre entière deviendrait une grande commune à facilités".
CD&V* : Le grand parti traditionnel qui avait recueilli en son sein la N-VA, se contente de renvoyer à la position du gouvernement flamand et au contenu de l’accord gouvernemental flamand : "Cela signifie qu’il a été convenu de ne pas ratifier la Convention".
Sp.a* : Le parti de Caroline Gennez fait valoir que : "L’Union belge doit s’appuyer sur un certain nombre de piliers. Les plus importants étant la territorialité et la solidarité. Au sujet de la protection des minorités, nous estimons souhaitable une attitude plus ouverte dans laquelle une protection claire de sa propre langue et de sa culture irait de pair avec une position plus raisonnable quant à la question des minorités". (...) "La Communauté flamande lie un accord culturel à la reconnaissance par les Francophones du principe de territorialité."
Vlaams Belang* : Clair et net : "Pour le Vlaams Belang les Francophones ne constituent pas une minorité en Flandre dans le sens de cette convention". (...) "Pour le Vlaams Belang l’unilinguisme de la région flamande doit être respecté. Ceci implique que les facilités et autres privilèges linguistiques doivent être supprimés dans la périphérie."
Open Vld* : "Les critères généraux tels que mentionnés dans la résolution 1201 (1993 reconnaissant une minorité francophone en Flandre) ne peuvent être appliqués sans plus à des ’minorités régionales’."
Groen !* : "Il est essentiel pour Groen ! que la discussion sur les minorités ne puisse conduire à la remise en question de la législation linguistique ou des frontières linguistiques et régionales." (…) "Groen ! est plus que partie prenante d’un accord de coopération culturelle entre les communautés."
LDD* : La Liste De Dekker est assez radicale. Son slogan en matière institutionnelle : "Met België als het kan, zonder als het moet (avec la Belgique si c’est possible, sans si il le faut)". LDD veut la suppression des facilités dans la périphérie.
Qu’en est-il du côté des partis francophones ?
A commencer par le grand vainqueur aux dernières élections, le PS. Son président étant chargé d’une mission de formateur, ne peut avancer de prise de position partisane... Dès lors, il ne peut que renvoyer aux efforts de la Communauté française.
cdH : Le parti rappelle que c’est à sa demande expresse que, lors des négociations de la Saint Polycarpe, a été signée la Convention-cadre et il ajoute : "La défense dela minorité francophone de Flandre, constitue, en effet, depuis toujours, une priorité du cdH". (...) "Le statut de ’minorité nationale’ doit être reconnu aux Francophones de Flandre sans limitation territoriale." (…) une coopération culturelle approfondie doit constituer, selon nous, un élément essentiel du fédéralisme belge de demain.
Ecolo : Selon ce parti : "Il s’agit de reconnaître et de protéger toutes les minorités identifiées comme telles, au niveau fédéral, communautaire et régional, sans réserve incompatible avec le contenu de la Convention-cadre". Ecolo demande "que soient respectés les droits judiciaires et électoraux de la minorité francophone de la périphérie, ainsi que le régime des facilités octroyées aux communes à statut spécial". (…) Ecolo entend dès lors "que chaque Communauté prenne les mesures visant à protéger les minorités installées dans son ressort territorial".
FDF : Le parti amarante conteste "la seconde déclaration faite par l’Etat belge lors de la signature de la Convention-cadre, selon laquelle la définition de minorité nationale devait être effectuée par la Conférence Interministérielle de Politique Etrangère (CIPE)". "La minorité francophone de Flandre doit être reconnue dans son intégralité." (...) "La Flandre doit renoncer au principe de territorialité pour qu’on puisse passer un accord culturel."
MR : "Les travaux menés par les experts au sein de la commission de Venise, permettent de comprendre ce qu’il faut entendre par ’minorités’ en Belgique en visant les minorités sur le plan national et les diverses minorités existant sur le plan régional en ce compris les Francophones vivant dans la région de langue néerlandaise. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle confirme cette approche. Pour le Mouvement Réformateur, ceci est la référence à prendre en compte dans le cadre du processus de ratification de la Convention-cadre." A propos de l’accord culturel, le MR déclare : "Le Mouvement Réformateur s’inscrit totalement dans cette logique qui apporterait une plus-value au modèle fédéral belge en renforçant les droits culturels de l’ensemble des citoyens".
Analyse
Alors que tous les partis francophones exigent la ratification de la Convention-cadre sur la protection des minorités, tous les partis flamands s’y opposent. La crainte d’une "refrancisation" de la Flandre est à l’origine de cette position. Position irrationnelle, faut-il le souligner ? Qui, dans le monde francophone aurait pour objectif un fantasme pareil ? Dans son rapport, qui a abouti au vote de la résolution 1301 du Conseil de l’Europe, Lili Nabholz avait déjà souligné que journalistes et hommes politiques flamands agitaient continuellement un argument sans fondement.
Par contre, les Francophones de Flandre subissent, eux, un préjudice réel. Il y a en Flandre des dizaines d’associations proposant des activités culturelles en français. Jusqu’en 2000, elles pouvaient être aidées par la Communauté française. Quelle horreur ! Des Francophones, bilingues dans leur immense majorité, au point de lire aussi des auteurs en néerlandais, ont des activités en français sur le sol flamand ? Et c’est la Communauté française qui les subsidie ? C’en est trop ! Plainte est déposée à la Cour d’arbitrage, dont l’arrêt interdit à la Communauté française de soutenir un état de fait aussi diabolique. Pas question non plus que la Flandre prenne le relai. C’est le lent étranglement. Un génocide culturel silencieux.
Depuis dix ans, nous tendons la main amicalement : aucune réponse ! Comble de la discrimination : la Flandre signe des accords culturels avec la France et d’autres pays ou régions de langue française, mais refuse de traiter avec les Francophones de Belgique !
La Flandre nationaliste s’enferme derrière la frontière linguistique. Elle invoque le principe de territorialité, protégeant l’unilinguisme. Par parenthèse disons que le Québec aussi s’est protégé en invoquant le principe de territorialité... mais en respectant la minorité anglophone.
Dans le rapport qu’il avait fait à la demande du Roi, Johan Vande Lanotte fait valoir que le principe de territorialité n’exclut ni le respect ni le développement de minorités. C’est un lumignon d’espoir. N’est pas passée inaperçue une déclaration de Kris Peeters au Parlement flamand : "le gouvernement flamand ne ratifiera pas le traité tant qu’il n’y aura pas de définition de ’minorité nationale’ acceptable par la Flandre". Ce n’est plus le "niet" absolu, mais l’acceptation sous condition. A la fois défi et ouverture.
Importante et révélatrice aussi la déclaration de Steven Vanackere, ministre des Affaires étrangères à l’occasion de l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU : "Mes services n’ont jamais reçu de contribution écrite des entités francophones insistant sur l’intégration, dans le rapport national, d’un point relatif à la ratification de la Convention-cadre". Si l’on rapproche de cette révélation, la petite phrase de Jean-Pierre Stroobants du journal "Le Monde" (28/04/2011) : "les Francophones de Flandre - soutenus, en théorie, par les partis politiques de leur communauté - demandent la ratification de la Convention-cadre…", on constate avec amertume la distance qu’il y a entre les paroles et les actes. Il est vrai que la pression de la Flandre s’exerce tous azimuts et que les élus francophones, assaillis de toutes parts, ne paieront pas n’importe quel prix pour défendre une cause aussi noble soit-elle.
Dernier élément-clé dans la série d’épreuves de force en cours : Rudy Demotte, Ministre-président de la région wallonne a demandé à Yves Leterme, Premier ministre de convoquer la Conférence Interministérielle de Politique Extérieure (CIPE) afin qu’on puisse y définir le concept de "minorité nationale" en Belgique. Quant à la plainte que notre association a dû se résoudre à déposer à l’ONU, elle pèsera dans cet immense débat sur la protection des minorités par la solidité et la logique de son contenu.
Retentissement international
Le dépôt de notre plainte à l’ONU a trouvé un retentissement international. Prompt sur la balle, "Le Monde" mesurait immédiatement l’importance de l’événement sur le plan des principes. Le journal évoque le "génocide culturel silencieux". Une série impressionnante de médias, des quatre coins de la planète, ont évoqué nos problèmes et notre combat. Ils ont été alimentés par les grandes agences de Presse, Belga et Agence France-Presse en tête, suivis notamment par Deutsche Presse Agentur, Athens News Agency, MTI (Hongrie)... L’événement fait "boule de neige". Tous ces médias ont demandé qu’on les tienne au courant de l’évolution de la situation.
Et dire que nous ne demandions qu’une seule chose : ne pas faire l’objet d’une injuste discrimination et être traités au même titre que les autres groupes linguistiques ! Que de soucis, de luttes et de temps perdu eussent été épargnés si, au lieu de réagir suivant les pulsions quasi névrotiques qui déforment la réalité, on avait suivi le chemin de la raison, de la bonne volonté et de la confiance. Mais, le proverbe dit : il n’est jamais trop tard pour bien faire...
(*) traduit du néerlandais
Marcel BAUWENS et Edgar FONCK
Association pour la Promotion de la Francophonie en Flandre