EXTRAITS
Des intellectuels marginalisés
Tous schizos ou presque
… C’est que la situation des intellectuels à Montréal tient de la schizophrénie. Les intellectuels francophones, qui appartiennent à la culture majoritaire au Québec, pour cette raison volontiers impérialiste dans ses rapports avec les minoritaires francophones du Canada, gardent peu ou prou les yeux rivés sur Paris, aux yeux de laquelle ils évoluent dans la marge. Parallèlement, les intellectuels anglophones, minoritaires à Montréal et souvent ignorés de leurs vis-à-vis francophones, s’estiment de surcroît négligés par l’intelligentsia anglo-canadienne de Toronto (d’où la création d’associations et de prix littéraires anglo-montréalais), alors que les écrivains et les intellectuels torontois, à quelques exceptions près, sont souvent eux-même traités avec la condescendance réservée aux provinciaux dans les milieux éditoriaux de la Côte Est américaine.
… C’est que les chiffres jouent des mauvais tours aux intellectuels. En 2004, le service public de la radio et de la télévision de Radio-Canada, en mal d’audience, et souvent forcé de justifier, auprès de politiques méfiants, les budgets accordés par l’État canadien, a remanié en profondeur – ou plutôt en légèreté – sa grille des programmes à la radio, tant de langue française que de langue anglaise. Mais c’est du côté français que le changement de cap fut le plus radical, alors que la deuxième chaîne, dite Chaîne culturelle, qui offrait jusque là des programmes sur la littérature, les arts , les idées, fut abolie et remplacée par une chaîne entièrement musicale : Espace musique – comme si Radio France décidait de saborder France Culture, jugée trop élitiste, au seul bénéfice de France Musique. Du coup, même si la cause semble entendue chez les dirigeants du réseau français de Radio-Canada et dans le grand public, le procès n’a pas fini d’être instruit dans le milieu intellectuel montréalais et dans celui des arts, où le sujet revient comme un leitmotiv dès qu’il est question de culture, et sans qu’on l’ait sollicité.
Marie-Andrée Lamontagne
I do love you Montréal
A vrai dire, chacun entre dans la valse des langues en fonction de son histoire personnelle. « Ma langue maternelle est l’américain de Chicago, explique le romancier et traducteur David Homel. C’est pourquoi, quand je parle anglais à Montréal, c’est encore une langue étrangère que je parle. Mon roman Midway porte sur cette ville, ses particularités et le formidable terrain de jeux qu’elle incarne pour l’étranger. » Heather O’Neil se souvient de son enfance à Montréal. « La nouvelle petite amie de mon père était canadienne-française. J’ai donc grandi dans une maison où l’on parlait beaucoup le français. C’est elle qui nous a appris à hurler en français des obscénités ou à déclarer, dans cette langue, un amour éternel. Puis, elle a eu un bébé, ma demi-sœur, et ce bébé était si mignon qu’on ne lui parlait plus qu’en français. Du coup, si vous êtes vraiment mignon, je vous parlerai en français, c’est fatal. »
La romancière Kathleen Winter, originaire de la province de Terre-Neuve et installée depuis peu à Montréal, fait remarquer : « J’aime vraiment la rumeur française des rues de Montréal. Comme je n’en comprends à peu près que 60%, il en résulte un agréable et mystérieux bruit de fond à mes oreilles ».
(Ian Mc Gilis, traduit de l’anglais par Marie-Andrée Lamontagne)
Le regard optimiste de l’immigrant : entre fantasme et réalité
Le désir de rapprocher les cultures reste vif chez Khalid Mrini, qui, à la quarantaine, a mis sur pied à Montréal une équipe de hockey marocaine où jouent côte à côte juifs et musulmans. Pour former son équipe, Mrini a recruté des joueurs juifs marocains qui évoluaient jusque-là dans une équipe de hockey israélienne. Récemment, l’équipe marocaine a même battu, au cours d’un match d’entrainement, une équipe formée de Québécois « pure laine », ce dont l’entraîneur n’est pas peu fier. Mais, équipe de hockey marocaine ou non, Khalid Mrini, comme du reste la plupart des Montréalais, demeure un fan des Canadiens de Montréal, qui défendent les couleurs de la ville dans la Ligue nationale de hockey. « Je les ai dans le sang », affirme-t-il avec une flamme dans les yeux.
Pour sa part, Khalid Mrini, n’aura eu qu’une très courte carrière sur la glace vive des patinoires extérieures, dans les parcs de Montréal. Un jour, après avoir déniché une paire de patins et s’être aventuré sur la glace, seul à la tombée de la nuit, loin des regards indiscrets, notre homme s’est rapidement retrouvé le cul sur la glace ! L’épisode n’aura duré que trente secondes, mais suffisamment pour donner à Khalid Mrini l’envie de prolonger la station assise, cette fois décemment, sur les gradins, avec les supporters, et sans patins...
Avant de quitter la Roumanie, Aura Chiriac et Vladimir Midvichi, alors tous deux dans la vingtaine, rêvaient du Québec comme d’un pays parfait, où il n’y avait pas de criminalité, où l’on trouvait du travail sans problème, où les diplômes étaient reconnus, où la vie était tranquille, les paysages magnifiques, les loyers abordables. Contrée baudelairienne, en somme, où tout n’était « qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté... »
Dans leur pays d’origine, tout deux avaient d’ailleurs adopté plus volontiers l’anglais comme seconde langue que le français, même si leur langue maternelle, le roumain, appartient à la famille des langues latines et présente, pour cette raison, de nombreux traits communs avec le français. Depuis leur arrivée à Montréal en 2006, les jeunes gens ont mis les bouchées doubles, et tous deux s’expriment remarquablement bien en français, voire ont peu à peu perdu leur anglais.
Tout compte fait, et après quatre années de séjour, le couple estime que le Québec qui les a accueillis n’est pas si éloigné de celui qui leur avait été présenté alors qu’ils vivaient en Roumanie. « Les neufs premiers mois ont suffi pour nous monter où on était arrivés, explique Vladimir Midvichi. Je ne sais pas si c’est juste à Montréal, où dans tout le Québec, mais j’aime la politesse des gens ici. J’aime que les gens attendent l’autobus en faisant la queue par exemple. » Cependant tous deux se montrent critiques à l’endroit des délais d’attente dans les urgences de hôpitaux, délais qui leur semblent s’être indûment prolongés au cours des dernières années. « Cela ne s’appelle pas urgence, cela s’appelle « patience », déplore Auria Chiriac. Cette situation leur semble particulièrement regrettable alors que plusieurs médecins d’origine étrangère qui pratiquaient la médecine dans leur pays d’origine ne voient pas leurs diplômes reconnus au Québec, rappelle Vladimir Midvichi. A titre d’exemple, il mentionne le cas d’un compatriote, médecin réputé en Roumanie et directeur d’hôpital, qui a dû, à Montréal, se contenter d’un boulot de concierge, avant d’en repartir et de trouver à être embauché comme médecin... en France.
Caroline Montpetit