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CAP VERT - Le français, une place de choix en sursis

CAP VERT - Le français, une place de choix en sursis

Par Anne-Françoise Counet, partenariat avec Nouvelles de Flandre
7 juillet 2015 - par Anne-Françoise Counet 
ph : Flickr - julien lagarde

Nombre de Capverdiens de la diaspora résident dans des pays francophones. Dans les réunions internationales (à l’exception des rencontres entre pays lusophones bien sûr), les représentants du Cap-Vert utilisent le français et non l’anglais. Multiples raisons pour lesquelles, depuis 20 ans, le Cap-Vert a décidé d’unir son sort à la Francophonie.

L’importance de l’enseignement
L’éducation a toujours fait partie des priorités des gouvernements successifs. C’est actuellement un des pays les plus alphabétisés d’Afrique. D’après l’UNICEF, le taux de scolarisation à l’école primaire est de 94% et le taux d’alphabétisation des adultes de 85%. Sur n’importe quelle ile, même dans les villages les plus reculés, il n’est pas rare de croiser un aluguer (minibus servant de taxi collectif) qui effectue le ramassage scolaire.

Claudia Silva s’entretient avec AF Counet de Nouvelles de Flandre (ph : NdF)

L’apprentissage des langues étrangères revêt une importance toute particulière. Les petits Capverdiens quand ils entrent à l’école, parlent leur langue maternelle, le créole, puis peu à peu sont mis en contact avec le portugais pour arriver à un enseignement uniquement en portugais. Comme le souligne Claudia Silva, conseillère du ministre de l’éducation, cette diglossie, si elle est enrichissante, peut entrainer un certain nombre d’échecs surtout pour les enfants vivant dans des milieux défavorisés ou dans les campagnes isolées car ils sont peu en contact avec la langue portugaise. Dès la 7ème année (1ère année du secondaire), les lycéens commencent l’apprentissage de deux langues étrangères, l’anglais et le français, à raison de 3 heures chacune par semaine. Tous les jeunes apprennent donc le français au moins pendant quelques années puisque l’école est obligatoire jusqu’à 15 ans.

Le Cap-Vert s’est doté de deux universités. L’université publique du Cap-Vert (Uni-CV) propose un cursus de langue, littérature et civilisation françaises (environ 110 étudiants inscrits). L’ouverture d’un Master FLE (français langue étrangère) est prévue pour la prochaine rentrée scolaire. A l’université Jean Piaget, (établissement privé), tous les cours se donnent en portugais et certains étudiants apprennent le français en tant que langue étrangère, ce qui leur permet parfois de «  partir en Erasmus » dans des pays francophones africains.

Nylton Dos Santos (ph : AF Counet - NdF)

L’APROF, (association des professeurs de français du Cap-Vert) a joué son rôle dans l’appui du français face à l’anglais. Pour le président, M. Nylton dos Santos, l’engagement politique pour l’enseignement des langues est primordial. Le français est, au niveau professionnel, un atout indispensable pour bien des Capverdiens. Il faudrait cependant une meilleure coordination entre les professeurs et le ministère de l’éducation notamment en ce qui concerne la rédaction des manuels scolaires. Les enseignants ayant bénéficié d’une formation devraient pouvoir en faire profiter leurs collègues plus facilement et être mieux valorisés dans leur carrière.

Un soutien évident et efficace
Depuis l’indépendance, le gouvernement français a soutenu de très près le Cap-Vert d’un point de vue linguistique (entre autres) en offrant notamment des bourses d’études ou de nombreux stages en France. Ces dernières années, un effort tout particulier a été fait en faveur de l’enseignement du français considéré comme vecteur de développement. Les 2 pays ont signé des accords bilatéraux de coopération culturelle et éducative. De 2010 à 2014, le projet ADEF «  Appui au développement de l’enseignement du français » a permis de mettre sur pied le futur Master en français langue étrangère (formation des professeurs de français sur place, à l’Uni-CV et non plus à l’étranger) ainsi qu’un soutien à la formation continue ou encore à la rédaction de programmes scolaires.
Ce projet comportait également un important volet culturel dont bénéficiait l’Institut culturel français de Praia. Cet espace culturel, situé en plein cœur du centre historique de la capitale capverdienne, jouait un rôle essentiel pour la francophonie locale. C’était un lieu très fréquenté offrant de nombreuses activités culturelles (concerts, expositions, projections de films), un centre de documentation, des cours de français divers et variés et la possibilité de rencontres et d’échanges autour d’un verre.

Un abandon pur et simple
Il y a quelques années, l’Institut a été déplacé dans un quartier décentré, peu animé et beaucoup moins accessible, à proximité de l’ambassade. Personne n’a compris la raison de ce déménagement suite auquel la fréquentation a diminué. Et, en août dernier, au grand dam de tous les francophiles, l’Institut a été purement et simplement fermé, suscitant incompréhension pour ne pas dire colère. Même le président de la République s’en est mêlé et a pris sa plume pour demander au président François Hollande de ne pas fermer cet établissement devenu « patrimoine et partie intégrante du panorama culturel au Cap-Vert  ».

Madame Neves Forte Canihac, attachée de Coopération et d’Action culturelle, à l’ambassade de France à Praia explique cette décision par une réduction budgétaire de la coopération française. De plus, le Cap-Vert n’émarge plus dans les projets prioritaires de la France puisqu’il est passé de la catégorie des pays moins avancés (PMA) à celle des pays à revenus intermédiaires (PRI). N’empêche que les Capverdiens se sentent lâchés. Ils ne comprennent pas cette décision uni- latérale de la France. Ironie du sort ? Hasard du calendrier ? à l’heure où se fermait l’Institut culturel français, s’ouvrait à quelques pas, un institut culturel chinois...

Un prolongement précaire et incertain
À Praia, « les Alizés » (une des rares écoles internationales du Cap-Vert) prodigue un enseignement en français. L’établissement est autogéré et administré par une association de parents d’élèves, tout en étant homologuée par le ministère français de l’éducation. Il accueille 240 enfants dont 70% de Capverdiens. Une opportunité pour ces jeunes de maitriser le français et éventuellement de poursuivre leurs études à l’étranger.
La présence culturelle française survit encore grâce à l’Alliance française de Mindelo sur l’ile de São Vicente. Située, en plein cœur du centre historique, dans un des plus anciens bâtiments, l’Alliance propose cours de langue et activités culturelles et dispose d’une bibliothèque très fréquentée. Dans la cour intérieure ombragée et fleurie, «  La Pergola », un charmant bar-restaurant propose une petite restauration typique et locale. Un lieu de rendez-vous des francophiles et visiteurs de passage, à ne pas manquer.

Evelyne Ayivi (ph : AF Counet - NdF)

Lors de la fermeture de l’Institut culturel français, les fonds et le matériel ont été remis à divers partenaires capverdiens. L’Institut de Langue française (ILF) a été créé au sein de l’université Uni-CV qui a mis à sa disposition des locaux pour l’organisation de cours de langue pour un large public.
Heureusement, précise sa directrice Evelyne Ayivi, l’ILF est bien situé, dans un lieu accessible, au centre de Praia et attire déjà pas mal de monde pour les cours de français. La médiathèque, elle, a reçu une partie des ouvrages mais comme le soulignent les responsables, faute d’argent il ne sera pas possible de mettre à jour ce fonds ni même de renouveler les abonnements en cours, des divers journaux et magazines. Et s’il n’ y a pas de financement, l’ILF ne pourra organiser aucune activité culturelle.

La Bibliothèque nationale a aussi reçu une partie des 17.000 ouvrages de l’ancien Institut qui ont été rassemblés dans un espace dédié à la langue française. Pour l’instant, les livres ne peuvent être consultés que sur place. Ici aussi, si aucun argent n’est investi pour développer des projets d’accessibilité et de mise en valeur de ces livres, cette salle deviendra vite obsolète et sans intérêt alors que, sans doute, l’actuelle sélection de livres offerts par la bibliothèque de Shanghai, elle, se développera.
Comme le disait l’ancien président, en 1995, « le français est la seconde patrie linguistique de toute une génération de Capverdiens d’outre-mer, fruits des migrations vers les terres du destin de la capverdianité. (...) Au delà d’autres dimensions culturelles et d’autres espaces linguistiques, nous appartenons de plein droit à la Francophonie (...) ». Mais si la Francophonie ne renvoie pas la balle aux Capverdiens, il ne faudra pas attendre longtemps pour que le français ne disparaisse peu à peu de ce petit coin de paradis.

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