Il était une fois... une jeune dessinatrice coréenne qui travaillait pour une maison d’édition de son pays, Sai Comics. Loin de l’univers des mangas, majoritaire, voir hégémonique, au pays du « matin calme », elle se consacrait à une bande dessinée dite alternative. La jeune femme devait exercer ses talents de graphiste pour arrondir ses fins de mois. Son métier n’était pas très populaire et les perspectives bouchées. Un jour, Sai Comics lui proposa de venir au Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême, dans le sud ouest de la France. N’écoutant que le désir d’enrichir son expérience et de connaître autre chose de la France que la Tour Eiffel, elle fit ce voyage, les yeux et le cœur grands ouverts ! C’était il y a quatre ans. Yoon-sun Park est toujours à Angoulême... Que les sceptiques qui liront ces lignes et s’étonneront qu’elles commencent par « il était une fois » imaginent un instant ce que peut représenter pour une jeune femme habitant Séoul, l’installation dans une petite ville de province française. On parle de choc des cultures pour bien moins que cela ! Mais Yoon-sun Park se sent comme un poisson dans l’eau, ici. Un poisson qui commence sa quatrième année en résidence artistique à la Maison des Auteurs et vient de publier son premier album de bande dessinée « fait en France », Sous l’eau l’obscurité * !
- Yoon-sun Park, à la fenêtre de la Maison des Auteurs - Angoulême
- Ph : ZigZagthèque
« En Corée, soit je travaillais sur commande et ne pouvais développer aucune expression personnelle, soit je dessinais selon mes envies pour le milieu de la bande dessinée alternative mais je n’avais pas lecteurs »... résume-t-elle la situation. « Le passage de la culture du manga qui est basée sur un grand nombre de pages et peu de texte à une culture franco-belge où la présence du texte est primordiale est une vraie révolution. Mais pour un Coréen, partir loin pour étudier est une chose normale alors je suis partie... » Un départ qui lui a permis d’échapper quelque peu à une société qu’elle juge trop hiérarchisée et qui ne fait pas beaucoup de place aux femmes, aux artistes et aux célibataires. Yoon-sun Park cumulait... cumulait l’ensemble ! « L’éloignement m’a libéré de contraintes et aussi a libéré mon regard. Par exemple je travaille maintenant sur un album humoristique. Je ne m’étais jamais permis l’humour en Corée ». Un humour d’autant plus risqué qu’il se moquera de la société coréenne. « Une société de compétition, une jungle d’où mon personnage tentera d’échapper en devenant un chien... un chien policier... qui ne rêve que de manger et dormir tout en étant fonctionnaire ! » Une idée de scénario que Yoon-sun Park a amené dans ses valises mais qu’elle a située à Angoulême en fréquentant un café au coin de sa rue. Preuve que la Corée et la France se distinguent par bien des points mais que finalement l’humour peut rapprocher !
- Sous l’eau, l’obscurité
Au delà des questions qu’elle se pose sur la compréhension de l’humour, toujours fortement marqué par les différences culturelles ou géographiques, Yoon-sun Park doit aussi résoudre les problèmes liés à la traduction des dialogues. Bien que son expression française soit tout à fait convenable, elle n’est pas suffisante pour ciseler parfaitement le dialogue de Sous l’eau, l’obscurité dont l’action se passe en Corée. « Tout a été écrit par moi en Coréen, et traduit, avec l’aide des amis de la résidence. Le principal problème est que le texte initialement écrit, en coréen donc, était beaucoup plus court en français. Votre langue demande plus de précisions, de concisions... chaque bulle a été écrite, réécrite encore et encore ! » Et puis, il faut se méfier des incompréhensions dues aux différences culturelles. « En Corée, on est habitué à trouver un supermarché et une église dans le même immeuble ; on doit dessiner les entrées de maisons équipées d’étagères à chaussures... »
- Sous l’eau, l’obscurité
Quand on demande à Yoon-sun Park si elle voit son avenir à Séoul ou sous le ciel charentais, elle ne semble pas hésiter. La Corée lui semble bien loin... « Pour consacrer ma vie à la bande dessinée, je dois rester en France. Je vis pour la bande dessinée pas pour mon pays. Beaucoup de Coréens viennent apprendre ici puis repartent exercer au pays, s’attendant à être employés dans de bonnes conditions grâce à leur diplôme acquis en France, en Europe ou aux Etats-Unis. Je ne suis pas dans cette optique. » Dans un sourire un peu gêné la jeune femme conclut : « Et puis je ne veux pas me retrouver dans un contexte où personne ne lit mon travail ! »
Il était une fois... une jeune dessinatrice coréenne qui décida de s’installer en France. Elle dut s’habituer à deux bizarreries d’ici : « En France, je trouve qu’on aime classer, trier, séparer... par exemple le sucré et le salé. En Corée tout est mis sur la table, mélangé, ici on distingue, on choisit les vins avec précision, on ne mange pas salé après avoir mangé sucré... c’est très codifié. » Quant à la seconde bizarrerie, elle n’étonne pas que les jeunes femme coréenne : « Quand je vais dans une administration, poser une question, j’ai autant de réponses différentes que d’interlocuteurs ! En Corée, il y a une marche à suivre... » Finalement cette bizarrerie correspond sans doute mieux à l’esprit créatif de Yoon-sun Park et facilite sa présence ici. 환영합니다 ! *
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