Un festival “imaginé pour défendre la langue française en images et à travers toutes ses cultures”…
Nous avons effectivement utilisé cette formule quand nous avons créé le festival, sousentendu qu’il s’agissait là d’un travail de longue haleine, dédié aux 49 nationalités présentes à Vaulx-en-Velin, généralement originaires des excolonies françaises. L’idée de départ étant d’emmener au cinéma des gens qui n’avaient pas forcément l’habitude d’y aller, pour retrouver une certaine forme de pratique culturelle à travers la langue et l’image. Le Festival du film court francophone est ainsi devenu au fil des années un vrai festival de “cinéma populaire”, au sens où on l’entendait dans les années 1950.
Le choix de la francophonie ?
Comme un dénominateur commun à ces diverses populations issues des excolonies d’Afrique, mais avec l’idée d’ouverture aux autres pays de langue française que sont le Canada, la Belgique, etc. Et cet espace du cinéma francophone permet ainsi un vrai mélange des publics ; à l’instar de ce qui est fait dans cette ville depuis longtemps, en matière d’accueil des populations.
C’est donc à Vaulx-en-Velin et nulle part ailleurs.
Oui, puisque notre action est bien sûr d’être en phase avec ce qui est l’essence de notre commune. Ensuite, nous sommes de fait un cinéma municipal et notre festival est très largement soutenu par la ville.
En termes d’évolution…
Au départ, il était surtout question de soutenir le cinéma africain, qui manquait singulièrement de moyens et de visibilité. Ensuite, le festival s’est progressivement ouvert à tout l’espace francophone, tout en recueillant une certaine reconnaissance sur le plan international. Techniquement parlant, nous avons accepté graduellement la vidéo et le numérique, en plus des films tournés en 35 millimètres, sachant que les jeunes réalisateurs ont rarement les moyens financiers pour tourner, et spécialement en Afrique.
Le choix du court métrage est également de nature économique ?
Oui, par rapport à ce que nous venons d’énoncer. Et non, puisque nous ne considérons pas le court comme le parent pauvre du long métrage. C’est un exercice à part entière, qui en dit souvent plus qu’un long et qui s’inscrit parfaitement avec notre philosophie : nous ne sommes pas là pour faire du cinéma de divertissement, mais du cinéma qui dit des choses et qui s’intéresse à des situations de la vie réelle ; du cinéma engagé, en quelque sorte !
Il semblerait que cette notion d’engagement soit primordiale tout au long du festival ?
Bien sûr. En dehors de la compétition à proprement parler, nous organisons des soirées thématiques pour débattre après les projections avec nombre d’intervenants, réalisateurs ou non, de sujets comme “Désir au féminin, désir au masculin”, “Travailler moins pour gagner plus” et, cette année, “L’exil”. Parce que le jeune public des quartiers populaires n’a plus l’habitude de voir des films différents et d’en discuter ensuite ! Et il y a un vrai enjeu citoyen à apprendre à débattre ensemble pour au final sélectionner un film parmi d’autres. C’est même l’usage de la démocratie… Et si, au début, nous avions du mal à trouver des jeunes pour participer, aujourd’hui ça se bouscule au portillon pour faire partie du jury. Notre intérêt n’est pas seulement qu’il y ait du monde dans la salle, mais aussi en coulisses ! Et c’est un travail de fond tout au long de l’année avec ceux qui composeront le public de demain.
En lui faisant découvrir un autre cinéma…
Qu’il ne peut connaître autrement. Et chaque année un pays est mis à l’honneur à travers son cinéma. Pour cette 10e édition, ce seront les îles de l’océan Indien : Madagascar, Maurice et la Réunion.
- Cotonov Vanished de Andreas Fontana
Vous abordez lors de ces soirées des thèmes souvent délicats comme le déracinement, l’émigration clandestine, l’aide humanitaire, la fin de la vie, etc. C’est une marque de fabrique ?
Absolument. Et qui plus est, nous faisons le plein de spectateurs lors de ces soirées hors compétition (!), vraiment importantes à nos yeux.
Il n’en reste pas moins que vous présentez également 4 programmes de films en compétition.
Avec 4 types de jurys : professionnel, presse, jeune et adulte, ces 2 derniers étant composés uniquement de Vaudais(es).
Une façon de dire que c’est leur festival ?
Oui, et il y a un vrai accompagnement en amont, 3 mois durant, pour les aider à décrypter les images et aiguiser ainsi leur jugement en définissant des critères de sélection. Ou comment ne pas se laisser seulement embarquer par l’émotion propre à un film.
Vous évoquez ainsi “l’éducation à l’image”, puisqu’une grande partie de votre programmation s’adresse aux jeunes publics. Avec quel objectif avoué ?
Qu’ils ne se fassent pas avoir au final par tout ce qui représente le “système de l’image”, que l’on parle de blockbusters, de publicité ou d’Internet. Il y a ainsi tout un travail d’analyse et d’interprétation des images, que nous faisons avec eux. Ici un planséquence et là un silence qui peutêtre en dit long… Nous opérons en quelque sorte des arrêts sur images. Afin de permettre progressivement à ce jeune public de se faire sa propre opinion. Son propre jugement critique.
“Opérer des arrêts sur images” : là est votre vocation ?
Certainement, et on en profite pour remercier Daniel Schneidermann.
- La délogeuse de Julien Rouyet
Comment s’effectue la sélection des films projetés (sachant que 28 sont retenus en compétition sur 750 reçus…) ?
Audelà de la francophonie, il s’agit de mélanger les regards entre experts et nonexperts et de présenter réellement un autre cinéma. Mais la sélection se fait aussi sur la qualité des scénarios, le jeu des comédiens et la façon de tourner. Il s’agit bien de tirer les gens vers le haut.
Quid du déroulement du festival ?
Un festival off qui commence le 4 janvier et un festival in qui courra du 16 au 23. Le off servant de manière ludique à la promotion du in : il y aura ainsi une soirée de lancement au cinéma CIFA Saint Denis à la Croix Rousse, des rencontres et tables rondes en divers lieux de Vaulx-en-Velin (concernant par exemple l’enjeu de la loi Hadopi et l’explosion de “films” sur Internet) et un bus itinérant qui va sillonner la ville ! Ensuite, ce sera le in à proprement parler à partir du 16 janvier, agrémenté de 3 soirées thématiques, avec une projection journalière des films en compétition jusqu’à la soirée palmarès du samedi 23 et la remise des prix ; sachant que nombre d’intervenants seront à chaque fois invités, dont cette fabuleuse comédienne qu’est Judith Magre, pour venir débattre avec le public. Nous accueillerons également plus de 3 200 scolaires durant la semaine en leur permettant de rencontrer réalisateurs et comédiens afin de générer une vraie relation d’échange. Et tous les publics participeront ainsi à la remise des prix.
Une conclusion quant au cinéma que vous avez envie de défendre ?
Quand on assiste à la fermeture du CNP Odéon et peutêtre à la mort programmée des autres CNP, voire du cinéma Opéra, et que dans le même temps les multiplexes poussent comme des champignons, on se dit qu’il n’y aura bientôt plus aucune place pour un cinéma sensible, différent et engagé, d’art et d’essai… Heureusement qu’il reste des cinémas “de proximité” comme les CNP et comme les nôtres (les Amphis ici, Gérard Philipe à Vénissieux, les Alizés à Bron, le Toboggan à Décines, le Zola à Villeurbanne, etc.) qui permettent à certains réalisateurs d’être tout simplement diffusés et qui s’engagent à sensibiliser le jeune public à un cinéma autre que celui du divertissement de masse. Nous faisons corps contre l’uniformisation du cinéma telle que nous la vivons actuellement, considérant qu’elle renvoie ni plus ni moins à l’uniformisation de la pensée. Nous n’avons pas de “temps de cerveau disponible” à offrir aux vendeurs de Coca et de popcorn.
Que peut-on vous souhaiter à l’aube de cette 10e édition ?
Que chacun puisse s’enrichir grâce aux débats et aux projections. Quoi qu’il en soit, ce sera une belle aventure humaine.