- Le bonheur ? (Ph : Flickr - daniyal62)
POLITIQUE
Le 10 février dernier a eu lieu un remaniement ministériel à l’issue duquel a été créé le ministère du Bonheur, de la Tolérance et du Futur. Relayée dans la presse internationale, l’information a reçu des commentaires contrastés : cette mesure découle-t-elle d’une véritable volonté politique ou ne fallait-il y voir qu’une stratégie de séduction, d’autant plus qu’à la tête de ce ministère a été nommée la jeune Ouhoud Al-Roumi, dont le sourire publié dans les multiples journaux est devenu celui de la modernité et de l’ouverture ? Souhaitant désamorcer tout début de polémique, le 27 février, Cheikh Mohammed Bin Rashid Al Maktoum, dirigeant de l’émirat de Dubaï et vice-président du pays, dans une lettre ouverte publiée dans le journal Gulf News, l’un des quotidiens les plus lus du pays, s’est exprimé : les jeunes représentent la moitié de la population du monde arabe et ne pas répondre à leurs attentes peut engendrer des conséquences aussi graves que dangereuses. Ce ministère a pour objectif d’accorder toute sa place à la jeunesse qui, souvent, acquiert des connaissances plus rapidement que les anciennes générations. La création de ce ministère est aussi la conséquence d’une réflexion sur la situation géopolitique du monde arabe et sur les extrémismes qui y sévissent. Dans cette perspective, le rôle de l’éducation, déjà majeur, devient crucial. L’objectif est clairement défini : poser un cadre légal à la définition de la tolérance, et se poser en exemple face aux autres pays du monde arabe. L’initiative peut sembler être empreinte de bon sentiment, voire d’un peu de naïveté. Or, la création de ce ministère est l’expression d’une crainte omniprésente dans le pays : celle d’une éventuelle menace terroriste, le scénario le plus redouté étant qu’une telle menace vienne des citoyens eux-mêmes. Ce ministère du bonheur, qui travaille en étroite collaboration avec les ministères de la Santé, de l’Économie et de l’Éducation, a pour lourde tâche de faire disparaître toute frustration et toute crispation au sein de la société émirienne, et de désamorcer ainsi toute potentialité terroriste. Un article de l’hebdomadaire français Le Point, datant du 8 juillet 2016, réaffirmait la forte probabilité d’un attentat ; la question à se poser, selon l’article, n’étant pas de savoir si un attentat sera commis sur le sol émirien, mais plutôt quand.
- Au marché aux poissons - Dubaï (Flickr - jmbaud74)
ÉCONOMIE
Désamorcer une crise future
Les Émirats arabes unis sont tributaires de la conjoncture économique internationale : la frilosité des marchés se fait ressentir sur l’économie nationale. Les projections du Fonds Monétaire International (FMI) reflètent ce ralentissement : alors que la croissance était de 4,6 % pour le deuxième trimestre 2016, elle sera de 2,5 % pour le troisième trimestre de cette année. Deux facteurs participent particulièrement à ce ralentissement : d’une part, le baril de pétrole s’est vendu à 20-30 dollars en 2016 contre 115 dollars il y a un an ; il semblerait que ce tarif particulièrement bas se maintiendrait durant les mois à venir, ce qui fait de 2016 une année plus difficile que les précédentes. D’autre part, la diversification de l’économie nationale, bien qu’amorcée, doit prendre plus d’ampleur. Aujourd’hui, 70 % du PIB vient du secteur non pétrolier : les loisirs, le tourisme, les services financiers et l’éducation sont les domaines sur lesquels les efforts se sont concentrés. À titre d’exemple, le tourisme et les loisirs représentaient 8,4 % du PIB en 2014 avec 126,7 milliards de dirhams (AED) ; ces mêmes secteurs devraient atteindre 9,1 % du PIB en 2025 avec AED 194 milliards. Outre la diversification, plusieurs tâches devront être accomplies par le pays : une meilleure régulation des marchés et un contrôle des dépenses publiques. Il s’agit, pour les autorités du pays, de défis et non pas de crise, et malgré tous ces objectifs à atteindre, les EAU demeurent l’une des économies les plus stables au monde. Le pays a des raisons objectives de conserver une certaine sérénité, notamment une dette publique modérée, une réserve importante en hydrocarbures et l’instauration de la TVA à 5 % à partir de janvier 2018, mesure qui devrait rapporter AED 12 milliards à l’état la première année.
L’émiratisation
L’économie émirienne repose sur la main-d’œuvre étrangère et les compétences apportées par cette dernière. L’un des objectifs du gouvernement est de former les Émiriens afin que le pays puisse reposer sur ses citoyens et non exclusivement sur les étrangers. C’est le départ précipité de nombreux expatriés au moment de la crise de 2008 qui a été le déclencheur de l’émiratisation, mesure gouvernementale visant à former les Émiriens afin qu’ils occupent toutes les fonctions de la vie économique, et non pas seulement les postes de l’administration publique, comme c’est le cas actuellement. En 2015, un budget d’AED 49,1 milliards a été alloué à cette mesure d’émiratisation ; en 2016, c’est la somme légèrement inférieure de AED 48,6 milliards qui devrait permettre la création de 3000 postes d’Émiriens. Outre cela, une fondation a été créée afin de remédier au manque de compétences ; ainsi, un milliard de dirhams ont été octroyés afin de donner des livres à des étudiants, de traduire quelque 25 000 livres en arabe et d’encourager les intellectuels ainsi que les journalistes.
- Dubaï (Flickr - simplethrill)
SOCIÉTÉ
Comment concilier islam et capitalisme, les traditions et les impératifs économiques du monde moderne ? Cette question, qui habite la société émirienne depuis de nombreuses années, a trouvé deux illustrations troublantes lors de ces derniers mois.
Trump et Dubaï
Si le monde arabe a été particulièrement choqué par les propos de Donald Trump, candidat aux primaires américaines, la ville de Dubaï s’est retrouvée dans une situation bien plus complexe que les pays voisins. Damac properties, l’un des grands promoteurs immobiliers de la ville, a signé un partenariat avec la Trump organization pour un projet nommé Akoya et qui comprend des villas ainsi qu’un golf, le tout d’une valeur de 6 milliards de dollars. En décembre 2015, après les déclarations de Trump affirmant qu’en cas de succès électoral, il interdirait l’accès au territoire américain aux musulmans, l’action de Damac properties a chuté de 3,6 %. Des voix se sont élevées pour protester contre ce projet d’alliance. Dans un premier temps, Niall McLoughlin, vice-président de Damac properties, a fait une déclaration à la CNN précisant que le partenariat était conclu avec la Trump organization et qu’il ne commenterait pas la politique américaine ; cependant, devant l’indignation suscitée par les propos du candidat, la pancarte installée à l’entrée du projet immobilier indiquant le nom de Trump a été enlevée. Le partenariat est quant à lui toujours effectif, Trump ayant menacé d’actions en justice tout geste d’y mettre un terme. Si les Émirats arabes unis ont toujours fait preuve de grande diplomatie et de prudente neutralité dans leurs relations internationales, l’affaire Trump a forcé les Émirats à sortir de leur réserve habituelle.
Religion et amalgame
Le 29 juin dernier, Ahmed Al-Menhali, un homme d’affaires de l’émirat d’Abu Dhabi, était en déplacement dans l’état de l’Ohio, dans la ville de Cleveland. Vêtu de sa tenue traditionnelle, la Gandoura, il a suscité la peur irrationnelle du personnel de l’hôtel qui, voyant dans l’Émirien un potentiel terroriste, s’est empressé d’appeler la police ; s’en est suivie une interpellation musclée, qui s’est conclue par l’évanouissement et l’hospitalisation de l’Émirien. Il n’est pas nouveau que l’ignorance soit la cause des amalgames et des préjugés, et que depuis quelques années, les signes de culture arabo-musulmane soient associés au terrorisme. Mais si jusqu’à présent les autorités émiriennes ne s’étaient jamais exprimées officiellement sur ce sujet (en 2010, une Émirienne portant le voile intégral avait été agressée physiquement par une passante dans les rues de Paris), pour la première fois, les autorités émiriennes ont conseillé à leurs ressortissants de s’abstenir de porter l’habit traditionnel à l’étranger.