L’auteur de cet essai n’est pas un intellectuel détaché du pouvoir. C’est dirigeant qui comme on dit familièrement « a mis les mains dans le cambouis ». Le cambouis du Togo, le cambouis du FMI, le cambouis de la politique avec un « p » majuscule et de celle qualifiée de politicienne. L’homme est donc porteur d’une certaine légitimité pour exprimer un point de vue panoramique sur l’Afrique d’hier et de demain. Légitime, oui, mais pas consensuel ! Loin s’en faut...
- Edem Kodjo
Edem Kodjo est de ceux qui ne laissent pas indifférents ! Pour s’en convaincre, il suffit de naviguer sur la toile et de compter les points. Comme dans une compétition de patinage artistique non arrangé, les juges ne perçoivent pas les figures et les chutes avec la même grille de lecture. Les juges ici sont des blogueurs africains, des journalistes d’ici ou d’ailleurs, des hommes politiques... Les notes qu’ils donnent à Edem Kodjo vont de 0 à 10 ! Il est parfois présenté comme l’homme providentiel dont l’analyse pertinente autorisera le continent africain à sortir de l’ornière économique où il stagne depuis « les indépendances ». D’autres le décrivent comme faisant partie du bataillon des fossoyeurs de l’Afrique à la solde des Occidentaux. Le spectre est large, trop large pour être honnête. Les hommes providentiels et les fossoyeurs sont surestimés par leurs adorateurs ou leurs détracteurs.
Les Bambaras disent : « Qui dit toujours la vérité se promène avec son linceul ». Difficile de dire si Edem Kodjo dit toujours la vérité. En revanche ce qu’il dit dans son dernier essai « Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire » n’assagira pas les deux camps. Le texte est court, dense, complexe mais son mot d’ordre est clairement scandé. Afrique, unis-toi ! Ton économie chaotique n’est pas une fatalité ; ne regarde pas le passé colonial comme étant source unique de tes maux ; prends-toi en main ; Afrique, unis-toi ! Bon sens dirons les uns, supercherie dialectique répondrons les autres. Avant d’exprimer toutes certitudes, lisons Edem Kodjo et ensuite débattons !
EXTRAITS
Pourquoi devrions-nous nous contenter de piloter l’arrière-train des nations de la terre ? Pourquoi devrions-nous te condamner à occuper toujours la même place sur l’échiquier international : la dernière ? Pourquoi devrions-nous mépriser nos propres richesses en les laissant piller par ceux qui nous dominent ?
Et pourquoi devrions-nous persister à t’humilier, à t’avilir, à « verser ta figure par terre », en continuant de mendier, de crever la faim, d’appeler toujours et toujours au secours, de demander l’aide publique, éternels assistés du FMI, de la BIRD ou de l’AGOA, ou du Fonds européen de développement ? La révolte gronde dans nos cœurs : c’est quoi cette histoire ?
Cinquante ans après, c’en est trop. Haut les cœurs ! Dis quelque chose, s’il te plaît, à tes enfants : parfois tu me parais complaisante. Une maman doit savoir châtier ses propres gosses, il faut savoir les corriger, les redresser, surtout lorsqu’ils donnent l’impression d’avoir perdu la boussole et le portulan, et qu’ils errent comme des misérables à travers le monde, tandis que leur jeunesse s’entasse sur des bateaux fêlés, des embarcations de fortune qui s’engouffrent dans les eaux noires au moindre souffle de vent, engloutis, à l’image de ces marins et de ces capitaines dont parlait le poète, « qui se sont évanouis » dans « ce morne horizon » ! Pourquoi accepter cette fatalité ? (page 23, 24)
- Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire - Gallimard
L’argent manque-t-il en Afrique ? Tout cet armement qui envahit notre continent, s’insinuant partout, finissant sur des marchés de villages, accessible à tous et qui fait la joie des enfants-soldats, coûte des milliards de dollars. À quoi sert toute cette artillerie ? À entretenir des guerres tribales, à assurer la répression de paisibles manifestants, à impressionner les pays plus ou moins amis, invités aux gigantesques défilés militaires des fêtes nationales. À quoi sert toute cette quincaillerie qu’il faut constamment renouveler, étoffer, accroître, absurde processus cumulatif ?
L’argent manque-t-il en Afrique ? Lorsque des commerçants d’origine levantine débarquent chez nous, presque en haillons, juchés à l’arrière des taxis-motos (les fameux zemidjans), se lancent des des « affaires » et renvoient leurs beaux pays des milliards et des milliards accumulés en très peu d’années.
L’argent manque-t-il en Afrique ? Quand les droits de douanes sont cyniquement sous-évalués, mal perçus, pas toujours récupérés, que la différence nourrit la voracité de commerçants et de fonctionnaires verreux ? Quand les impôts subissent les mêmes errements et que tout le secteur dit « informel » paie si peu de taxes ?
L’argent manque-t-il en Afrique ? Quand tout notre système bancaire fonctionne, comme à l’envers, dispensant des financements à des opérateurs, pour des investissements qui n’ont rien à voir avec nos économies ? Quand nos banquier, au lieu d’aller à la clientèle, attendent tranquillement que les clients viennent à eux et pratiquent des taux qui en décourageraient plus d’un en Amérique ou en Europe ?
Le problème de tes États, chère Mère-Afrique, est d’arriver une fois pour toutes à orienter l’argent disponible chez nous vers le financement de nos propres besoins, et ce à tous les échelons du secteur d’État comme du secteur privé. (page 35, 36)
Comment garder le silence, fermer les yeux, se boucher les oreilles face à cette inclinaison mortelle, à ce fourvoiement désastreux, à cette dérive inacceptable ? Dussé-je me répéter, ânonner, divaguer, radoter, je me tiendrai toujours debout, le drapeau à la main, l’olifant à la bouche pour claironner ce que mille et mille fois j’ai déjà proclamé : L’AFRIQUE DOIT S’UNIR. (page 58)