- Tahar Ben Jelloun
- Photo : Hélie / Gallimard
Qui est Tahar Ben Jelloun : un écrivain, un sociologue, un poète, un intellectuel ? Comment vous définissez-vous ?
Je suis écrivain, point à la ligne.
Vous êtes un touche-à-tout : islam, Palestine, banlieues... Est-ce une manière de surfer sur les thèmes à la mode ?
Un écrivain est un témoin de son époque. Il m’arrive d’intervenir dans la presse parce qu’on ne peut pas attendre l’écriture d’un roman pour dire certaines choses. Il est normal que je m’intéresse à l’islam, surtout quand il est détourné de son sens, à la Palestine parce qu’elle est occupée et son peuple martyrisé, les banlieues parce que c’est là que vit une grande partie de notre communauté.
Vous avez obtenu le prix Goncourt pour La nuit sacrée. Est-ce vraiment votre meilleur livre ?
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Quand j’ai commencé l’aventure de l’écriture, j’ai fait une profession de foi où je disais “j’écris pour ne plus avoir de visage”. Ce qui m’intéresse, c’est l’œuvre, pas mon image. Il ne faut pas qu’un livre soit encombré par le narcissisme de l’auteur. Et puis j’oublie ce que j’écris.
Vous êtes un prolifique : presque une œuvre par an. Vous courez après un record ?
Je fais juste mon travail. Parmi les œuvres qui paraissent, il y a beaucoup de rééditions. On va dire que je mets à peu près un an pour écrire un roman, et après il faut l’éditer.
Combien avez-vous écrit de livres ? Vous tenez encore le compte ?
Non, je ne l’ai jamais fait. Je ne cultive aucune mémoire de ce que j’écris. Je n’ai sincèrement aucune idée, comme ça, à brûle-pourpoint, du nombre de mes écrits. Mon œuvre est une grande maison, dans laquelle tout le monde est le bienvenu, pour visiter comme pour habiter... Pour un écrivain, l’important est d’avoir une production littéraire cohérente.
On vous accuse parfois d’être un combattant de la 25ème heure : vous auriez préféré vous taire sous Hassan II et dénoncer une fois l’ancien monarque décédé...
Ceux qui portent de telles accusations ne m’ont pas lu. Je vous cite un roman publié en 1978 : Moha le fou, Moha le sage. C’est un livre que les Marocains connaissent bien. Un livre qui dénonce la torture au Maroc, qui raconte l’oppression.
La politique au Maroc, vous en pensez quoi ?
Je suis un citoyen engagé, pas dans un parti, mais par ma façon de voir les choses et de les présenter.
Quel est votre combat le plus significatif ?
Les droits de l’homme, que je décline de toutes les manières possibles : droits des minorités, des femmes, de l’enfance...
Que vous inspirent les futures communales ? Seriez vous prêt à voter pour le PAM ?
J’avoue que je n’ai pas suivi les dernières évolutions de la scène politique. De toute façon, ma famille politique est la gauche, celle qui défend les laissés pour compte, les sans-voix.
Vous vous dites de gauche ?
Absolument, d’ailleurs la plupart de mes amis sont de gauche.
Beaucoup d’entre eux ont dû monter dans le tracteur de Fouad Ali El Himma. On n’a pas essayé de vous draguer, vous ?
Non, je pense qu’ils ont compris que ça ne servait à rien et que ça ne m’intéressait pas.
Certains arrivent à concilier politique et écriture, pas vous ?
Ce n’est pas comme ça que je conçois ma vie. Et puis je ne pense pas qu’on puisse mener les deux activités avec autant d’efficacité. Il faut choisir. Pour ma part, j’ai choisi, et c’est très bien comme ça.
C’est donc un non définitif : vous ne seriez pas tenté par des fonctions officielles ?
Ya latif, jamais de la vie, Allah y N’jjina. Un écrivain doit faire son métier. C’est pour ça que je n’ai aucune ambition politique. Et comme je l’ai dit, j’estime qu’on ne peut pas faire deux choses bien à la fois.
N’est-il pas inconfortable de vivre à cheval entre la France et le Maroc ?
J’ai quitté le Maroc en 1971, à un moment politique difficile et, depuis, j’ai effectivement gardé des attaches très fortes avec mon pays. Aujourd’hui je vis à Tanger, mais je me déplace très souvent en France, au moins une fois par mois, pour les besoins de l’Académie Goncourt.
A ce propos, comment arrivez-vous à concilier votre activité de critique à l’Académie et celle d’écrivain ?
C’est effectivement une difficulté. Parfois, ça me met mal à l’aise, et j’ai l’impression d’être à la fois juge et partie. Mais ce n’est après tout qu’un sentiment normal. Je suis loin d’être le seul dans ce cas.
Vous avez aussi été critique de films, c’était pour l’argent ?
J’ai écrit des articles sur le cinéma, mais pas de critiques. Par contre, j’ai tenu une chronique de critique littéraire au Monde durant une vingtaine d’années. Au début, ces piges dans les pages littéraires du Monde me permettaient de vivre bien sûr, mais cela me donnait aussi l’occasion de faire découvrir la littérature arabe et des écrivains d’expression française.
Finalement, tout ce qu’on dit est faux : la littérature nourrit bien son homme, non ?
(Rires) Eh bien, ça dépend pour qui... En ce qui me concerne, j’ai quand même galéré à mes débuts. Je pigeais beaucoup pour les journaux et j’ai accumulé les petits jobs. Mais le Goncourt a tout changé, c’est vrai.
En France, sur les plateaux télé, vous n’avez pas parfois l’impression d’être “l’Arabe de service” ?
Non, c’est fini cette histoire “d’Arabe de service”. Je l’ai assez dénoncé dans mes prises de position et quand on m’invite c’est en mon nom personnel, car je ne suis désigné par personne pour parler au nom des Arabes.
Un roman sur la monarchie, ça ne vous tente pas ?
J’ai beaucoup trop de respect et d’estime pour Mohammed VI pour en faire un personnage de roman. D’ailleurs qui peut dire qu’il connaît bien Mohammed VI ? C’est un chef d’Etat qui travaille selon son rythme et qui a fait et fait beaucoup pour son pays. Alors un roman sur la monarchie, non.
... son dernier roman :
Au Pays
Edition Gallimard 2009