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Festival les Francophonies en Limousin

Festival les Francophonies en Limousin

Partenariat AGORA / GRAND TOUR 2017 - Par Arnaud Galy
1er octobre 2017 - par Arnaud Galy 

Raconter les Francophonies en Limousin, quel défi ! À ceux qui ne viendront pas dans ce cœur de France, que beaucoup d’ignorants ou de Parisiens parisianistes considèrent avec un dédain qui ne les honore pas, commençons par dire que ce festival est tel un plat de tajine. Tous les ingrédients connus sont là, ils mijotent longtemps à l’abri des regards, toute une année. Chacun pimente, assaisonne, adoucit le plat avec sa propre vision, sa propre utopie. Fin septembre, le chef soulève le couvercle et les parfums s’envolent aux quatre coins de la ville. Parfois plus loin. Ici, un air de jazz venu de Lubumbashi, là des lycéens lecteurs apportent leur soutien à une jeune auteure belge, plus loin la révolte gronde contre l’uniformisation et le libéralisme échevelé. De partout des voix s’élèvent, des voix francophones, des voix violemment bienveillantes, créatrices d’émancipations, défonceuses de portes, débusquant des mémoires occultées, interdisant le « à quoi bon ». Être en harmonie avec l’ensemble de ces prises de position demanderait trop de gymnastique et de grand écart intellectuel et conduirait à une nouvelle sorte de « pensée unique » dénoncée haut et fort en ce lieu. En revanche, se nourrir, alimenter le débat, regarder frontalement ses propres contradictions, voilà à quoi servent les Francophonies en Limousin. Et puis, si jamais, la seule envie qui tenaille le festivalier est de se goinfrer de spectacles, de sons, de paroles et de corps, de créations artistiques éclectiques et de coups à boire, l’endroit est, aussi, idéal !


Galerie photographique


Carnet de route d’un festivalier...

L’écrivain Michel Beretti et Kouam Tawa échangent avec le public (Ph : A. Galy - Agora)

Maux d’ailleurs

La salle est pleine comme un œuf. Sur scène de jeunes acteurs du Conservatoire de Mons (Belgique). Au premier rang, discret, caché sous un chapeau - on ne distingue que ses grands yeux - Hakim Bah. On dirait un gamin, un adolescent ! Ne pas se fier aux apparences, jamais ! Hakim Bah est une plume guinéenne déjà confirmée. Confirmé aussi son regard sans concession posé sur son pays, son peuple, sa société. Les jeunes belges respirent un grand coup et se lancent. Lecture de « Gentil petit Chien ». Histoire d’une jeune femme parisienne, qualifiable sans dédain de « lambda », qui se voit fortuitement sauvée d’une mort par balle, grâce au geste fou d’un clochard africain et de son chien. Redevable, naïvement animée par l’envie de bien faire, la jeune femme n’en faisant qu’à sa tête, décide de ramener le corps de l’homme et de son fidèle compagnon chez lui, au village. L’envie de bien faire tourne au drame. Héros pour elle, paria pour sa famille. Hakim Bah n’a pas peur de décrire la société du village en question sous des traits empreints de violences familiales, de mercantilisme et d’égoïsme. Que ne dirait-on pas si l’auteur était « blanc, bourgeois, parisien » ? Hakim Bah est-il un extra-terrestre ? Un auteur ingrat qui répugne à respecter la terre de ses ancêtres ? Assurément non. Juste un auteur, observateur, honnête avec lui même. D’ailleurs, il est loin d’être le seul à oser s’opposer au filet d’eau tiède consensuel. Voici Kouam Tawa. Auteur camerounais bien connu en Limousin. Les acteurs de Mons sont toujours à l’œuvre. Son texte, « Nuit de veille » est puissant, dérangeant, cru et implacable. Kwam Tawa imagine une veillée sous l’arbre à palabre. Une parole libre émanant des « petites gens » explose. Façon, bombe à fragmentation. De multiples éclats jaillissent dans tous les sens. Il y en a pour tout le monde ! Les « petites gens » mettent leur grain de sel sur toutes les plaies. L’indépendance, le président autocrate (pour les distraits, le portrait de Paul Biya est projeté sur un écran en fin de lecture), l’histoire « révisionnée », la condition de la femme, l’émigration, le rapport à la colonisation et aux anciens colonisateurs... les palabres font éclater au grand jour les contradictions qui tiraillent une grande partie de l’Afrique subsaharienne, voir le continent ! Comme ce moment où un acteur énumère, mot à mot, crescendo, violemment, les maux de l’esclavage et de la traite des Noirs pour conclure : « Mais si j’étais un fils d’esclave, je serais Michael Jordan » ! Dans la même veine, Kouam Tawa ose interroger la salle d’une tirade du style... « si la colonisation avait été si terrible pourquoi rêvons-nous tous d’aller faire nos vies au pays du colonisateur !? »

Fiston Mwanza Mujila embarque le public dans son Tram 83 ! (Ph : A. Galy - Agora)

La douceur d’une voix, la violence d’un texte...

Atmosphère glauque au pays du diamant. Un café. La nuit. Violence ordinaire, entre types louches, musicos, putes et perditions diverses. Ici, la loi et la magouille ne font qu’une. Dans une moiteur charnelle, des hommes jouent les coqs et les femmes vendent leur corps. Lumière fade, boite de nuit, jazz... Voilà pour le côté scène. Côté écriture, voici Fiston Mwanza Mujila. Le contraste est saisissant. Est-il une sorte de docteur Jekyll et M. Hyde ? Sans doute pas., simplement un homme d’une apparente aimable douceur établi en Autriche après être passé par l’Allemagne et brièvement la Belgique. Pourquoi l’Autriche ? « C’est mieux par rapport à la question coloniale ! » Et pourquoi écrire hors de la République Démocratique du Congo ? «  Pour interroger le pouvoir actuel en République Démocratique du Congo, il est indispensable de prendre de la distance avec le pays. Ce regard distancié apporte la légitimité. » En RDC tout va vite, trop vite. La politique est en effervescence, le calendrier électoral est une cause de tensions, la violence est quotidienne. « Les écrivains plus anciens étaient le plus souvent en exil définitif pour des raisons politiques, ma génération fait des aller-retour ce qui permet de connaître la situation tout en résidant à l’étranger. Cela est valable pour les écrivains comme pour les artistes en général. »

Et la langue française ? « J’écris dans une langue qui est mienne. Ce n’est pas la langue française, ce n’est pas langue de la RDC. Je me suis construit ma propre langue en prenant garde que le lecteur n’ait pas besoin de décodeur ! Congolais et Français liront mes livres de manière différente, avec leur bagage culturel. Et là encore, il y a des subtilités, car le pays est immense et Kinshasa ou Lubumbashi, par exemple, baignent dans des univers différents et ne comprendront pas mes écrits de la même manière. Cela dit, mon premier lecteur est ma mère. Ce n’est pas une grande lectrice, elle n’a pas côtoyé l’université, mais elle a le même bagage culturel que moi. » La diffusion ? « Le grand problème ! Les auteurs restés au pays ont pour beaucoup une vie artistique régionale. Reprenons Kinshasa et Lubumbashi, un auteur travaillant dans cette dernière a peu de chance d’être diffusé à Kinshasa. Les imaginaires sont différents et les déplacements sont très longs... » Paris ? « C’est le passage incontournable pour trouver une légitimation. Le travail d’édition est bien plus rigoureux qu’en RDC, bien plus contraignant aussi...  »

Lever les hypocrisies

Pour qui s’intéresse à l’émancipation des peuples et à la manière de laisser ces derniers respirer sans l’assistance forcée d’une religion, la Tunisie est une intarissable source d’inspiration. Au pays de Bourguiba, se dire laïc ou athée, relève de l’exercice périlleux. Aujourd’hui encore, même si des lignes bougent. Avant le début des révolutions arabes, le périlleux était tout simplement folie. Le film de Nadia El Fani, « Laïcité, inch’Allah ! » décortique le phénomène. La réalisatrice tunisienne, n’hésitant pas à produire un film où elle se met au premier plan, ne se cachant pas derrière un procédé de narration anonyme, monte au front. Le front pourrait s’appeler l’hypocrisie. Les images sont tournées pendant le ramadan. Si, nombre de Tunisiens traduisent leur foi par un suivi scrupuleux du jeûne, il saute aux yeux du spectateur que bien d’autres jouent de stratégies enfantines pour passer au travers de la contrainte. Une contrainte que, d’ailleurs, peu de Tunisiens reconnaissent qu’elle n’existe pas ! Rien, dans la constitution tunisienne ne dicte la conduite à tenir en période de ramadan. Beaucoup le pensent, certains font semblant de le croire, d’autres confondent ce que dit l’imam et les articles de la constitution ! « Le Tunisien » ayant de l’humour, ce méli-mélo donne lieu à des scènes cocasses, des sourires complices, des non-dits bruyants et des soupirs excédés de Nadia El Fani.

Jean-Noël Jeanneney poursuit le débat... (Ph : A. Galy - Agora)

Érudition taquine

Érudit touche à tout, toujours maillot jaune dans les courses dont il prend le départ, Jean-Noël Jeanneney est aussi un être taquin. Pour preuve, la causerie donnée à l’auditorium de la Bibliothèque Francophone Multimédia sur l’histoire et la francophonie. Sans se départir de la rigueur de l’historien, l’ancien président de la Bibliothèque Nationale de France a abreuvé l’auditoire d’anecdotes et de douces perfidies. Sourire aux lèvres, étonnant pince-sans-rire, un humour qualifiable de British ! Un comble en ce lieu ! JJN plaque le public au sol dès l’introduction rappelant que dans la Divine Comédie de Dante, l’homme qui a été impie avec la langue se retrouve direct en enfer ! Afin d’éviter ce sort peu enviable, quoi que... enfin, afin d’éviter ce sort peu enviable, l’ancien président des Rencontres photographiques d’Arles, propose trois angles de réflexion.

Lâcheté, snobisme et arrogance
Quel trio ! À quoi pense l’ancien double Secrétaire d’État de François Mitterrand quand il parle de lâcheté ? En compagnie d’Alphonse Allais, Jean-Noël Jeanneney fustige les « àquoiboniste ». Souvenons-nous avec lui de Louis XV soutenant qu’à quoi bon se battre pour quelques arpents de neige ? Position qui conduisit tout droit à la domination de la langue anglaise sur la quasi-totalité de l’Amérique du Nord. Aquoibonisme qui fait dire au philosophe Michel Serre, par la voix narquoise de Jean-Noël Jeanneney, qu’il y a davantage de mots anglais sur nos murs qu’il n’y en avait en allemand en 1942 !
Calmons-nous, Jean-Noël Jeanneney est bien trop au fait de la marche du monde et des idées pour se figer dans la radicalité. La langue est vivante, les passages de frontières touchent aussi les mots. L’anglais a tant emprunté au français que nous devons rester mesurés. Prendre un mot étranger et l’absorber n’est pas si grave. Ce qui est lâche est de le faire sans raison ! Pire encore d’alimenter le réservoir des faux amis et marier lâcheté et fainéantise.

Convainquant par l’exemple Jean-Noël Jeanneney s’acharne sur ce pauvre mot « timing ». Un mot qui, à son corps défendant, s’est substitué à moment, déroulement, délais, minutage et tant d’autres. Quel appauvrissement. Au secours Dante ! La lâcheté, selon Jean-Noël Jeanneney, c’est l’abandon sans tambour ni trompette de la langue française entre les murs de l’ONU ou des JO. «  Made for sharing », la triste invention des publicitaires vendant les JO parisiens en est l’expression la plus ridicule. Pour clore ce réquisitoire, Jean-Noël Jeanneney évoque le merveilleux travail des Alliances Françaises et des Lycées français à l’étranger... qui sont les acteurs de l’offensive face à la lâcheté.

Snobisme ? Dans la bouche de Jean-Noël Jeanneney, le snobisme est la peur d’avoir l’air ringard. C’est l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing s’exprimant en anglais (déplorable d’ailleurs !) après son élection en 1974. Idem, le ridicule « positiv attitude » de Jean Pierre Raffarin et le fameux CARE de Martine Aubry ! Encore une fois, Jean-Noël Jeanneney balaye d’un revers de main les tentatives de le faire passer pour un ronchon à tendance réac ! Bien sûr, il faut apprendre l’anglais et bien d’autres langues, bien sûr ! Mais pourquoi parler anglais, dans une assemblée en France devant une salle remplie de Français... suivez son regard qui pointe vers les entreprises mondialisées tenant réunion... Enfin l’arrogance. Être fier et responsable, oui. Arrogant, non. L’historien se souvient de Rivarol qui soutenait l’idée que ce qui n’est pas clair n’est pas français, ce qui n’est pas clair est allemand, italien... Que pensez de l’arrogance napoléonienne, qui par « le glaive » voulut imposer la France et sa langue à l’Europe entière ? Au-delà de l’échec, la tentative s’est soldée par un mouvement de résistance sans comparaison...

Quid des langues régionales qui survivent sur le territoire français ? Jean-Noël Jeanneney, aimant manier l’ambiguïté et l’humour, quitte à faire perdre le fil à l’interlocuteur qui aurait eu une fraction de seconde d’inattention, termine son propos en faisant allusion au révolutionnaire Abbé Grégoire. Ce redoutable homme de foi, un brin radicalisé comme nous dirions aujourd’hui, écrabouilla les langues régionales suivant l’analyse que si les langues régionales gardaient leur puissance, les bourgeois qui eux parlaient français, garderaient leur suprématie sur l’ensemble de la société. Preuve que la question de la langue n’est pas qu’une histoire préoccupant les linguistes et autres intellectuels de salon, mais bien un sujet politique !

Léonore Confino tente de remettre ses idées en place ! (Ph : A. Galy - Agora)

Pleurer d’émotions en attendant « le Poisson belge » !

Le prix Sony Labou Tansi prend son envol ! Ce moment fut magique, inattendu. Plus d’un millier de lycéens de métropole, d’outre-mer et de lycées français de l’étranger participent à ce concours. Il est déjà réconfortant de savoir que ces jeunes savent qui est Sony Labou Tansi et qu’ils consacrent une grande partie de leur temps «  libre » à lire du théâtre ! Mais, là où le succès est total, est quand la remise des prix fait pleurer de joie, de fierté, et d’émotion justifiée un public enthousiaste et une auteure sidérée. Car c’est bien là, la cerise sur le gâteau. Voir l’auteure arriver en larmes, incapable de s’exprimer, sur scène, entourée d’une jeune troupe venant de jouer avec brio un extrait de son texte... ça, c’est merveilleux ! Pour contourner son délicieux malaise, Léonore Confino décide d’être belge, tout naturellement. La jeune femme part en vrille. Surréaliste. Épatante. Les jeunes acteurs sont émus de la voir aussi émue. Le public est médusé. Sony Labou Tansi veille sur le prix qui porte son nom, ça se voit !

Léonore Confino - « Le Poisson belge »

Instantanés volés !

 Elle arrive, lèvres pincées. L’arrogance se lit sur son visage. Comment, elle qui « est dans le théâtre » ne pourra pas assister à la lecture ! Elle qui a fait 200 km et qui chaque année « fait Avignon », comment peut-on l’empêcher d’entrer ? Juste, car la salle est pleine de gens qui ont réservé. Les choses les plus simples étant parfois les plus complexes à comprendre, Madame est offusquée ! « Que c’est rural ici ! » Les clichés ont la vie dure, même aux Francophonies du Limousin !

 Discrètement, une collégienne envoie un SMS à... à qui elle veut ! « Je suis à la conférence de l’auteur de TRAM 83 et de la menteuse en scène de la pièce ». Magnifique correcteur d’orthographe.


Photos de spectacles : Christophe Péan

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