- Portrait du commandant Jean Baptiste Charcot
- Musée historique de Saint-Malo
EXTRAITS
La glace que nous devons traverser est plus épaisse que nous croyons. Des plaques de banquises s’appuyant sur de gros icebergs nous opposent une barrière qu’il faut franchir de vive force et les écueils dont les têtes noires surgissent de l’étendue blanche ne nous laissent pas notre liberté de manœuvre. Maintenant , c’est entre les murailles perpendiculaires des icebergs que nous avançons à toute petite vitesse, mais la mer est libre et il fait heureusement clair et calme car, sans cela, nous n’aurions pu nous tirer de cette dangereuse impasse. Godfroy, dans le nid-de-corbeau, veille aux bas-fonds que la surface unie et la transparence de l’eau permettent de très bien distinguer de cette hauteur.
... Le paysage est superbe ; la côte sauvage et élevée dont les roches tranchent en noir sur le blanc de la neige et le bleu des glaciers est magnifiquement éclairée et nous voyons, se dessinant sur le ciel, les deux dômes arrondis du Mont-du-Matin, nom que j’avais donné en souvenir reconnaissant pour le journal qui, par sa générosité, m’a permis de faire ma première expédition et qui ne nous a jamais depuis ménagé son concours, et d’autres sommets qui leur succèdent. A 10 heures, le soleil se couche et les terres se teintent délicatement en rose. Autour de nous, entre les icebergs s’ébattent de nombreux mégaptères ; deux d’entre-eux, pendant plus de dix minutes, frappent violemment la mer de leur queue, qu’ils laissent retomber bien à plat avec un bruit assourdissant. C’est peut-être une démonstration amoureuse, car il n’y a, dans ces mouvements, ni le désordre, ni la brutalité qui résulteraient par exemple d’une attaque d’orques, les ennemis si redoutables des baleines... (Page 58)
... Une pluie fine ne cesse de tomber, genre crachin de Brest et il en est ainsi jusqu’à 3 heures de l’après-midi. A ce moment le soleil se montre mais presque en même temps le vent se met à souffler en tempête du N.-W. J’espérais, étant donné l’étroitesse de la baie, que le vent des régions Ouest ne pourrait soulever ici de mer dangereuse, mais je me suis étrangement trompé, car en fort peu de temps, elle devient si forte que le pont est couvert par les embruns. De gros morceaux de banquise se détachent et viennent frapper violemment notre arrière et notre gouvernail, nous menaçant des plus graves avaries. Tout le monde, avec des perches, des avirons, se met à dépousser et à déborder les glaçons, et après deux heures de lutte, nous parvenons à en faire passer la plus dangereuse partie sur l’avant.
Mais le bateau continue à donner de grands chocs contre la banquise jusqu’à ce que des débris de floes et d’icebergs, venant s’accumuler petit à petit autour de nous, forment une bordure d’une quarantaine de mètres qui arrête complètement la houle ; la bateau ne bouge plus alors que par la gîte que lui impriment les grandes rafales. Notre ennemi habituel, la glace, est devenu cette fois notre allié protecteur. Il était temps, car nos forces commençaient à s’épuiser... (Page 90)
... Depuis quatre jours, je n’avais pu aller rendre visite au petit phoque, la banquise ayant été cassée et le coup de vent ne permettant pas de sortir en embarcation. J’y suis retourné ce soir pendant une accalmie et j’ai retrouvé la mère et l’enfant se portant bien. Mon petit ami dormait à côté de sa maman. Au bruit que j’ai fait, il s’est réveillé et s’est mis de nouveau à s’agiter drôlement. Il a un peu grandi et est devenu un peu plus habile dans ses mouvements. Je l’ai encore tripoté et il s’est laissé faire, mais maintenant, soit pour jouer, soit pour montrer qu’il est devenu un grand garçon, il ouvre une bouche menaçante et souffle comme père et mère. Madame phoque, un peu inquiète à mon sujet au début, s’est vite rendu compte qu’elle n’avait rien à craindre de moi ; pour lui donner confiance, je l’ai même caressée et elle me laissait désormais faire ce que je voulais du petit. Devant moi, elle lui a appris à marcher, se faisant poursuivre, montrant comment il fallait balayer la neige avec la tête, comme le font tous les phoques pour avancer, bien qu’aujourd’hui la couche fort peu épaisse ne nécessitait pas cette précaution. Il est très probable que le père vient rendre visite assez fréquemment à son épouse et à sa progéniture, car il y a, tout à côté, un trou de phoque bien entretenu et des traces récentes de passage... (Page 189)
Commandant Charcot
Le Pourquoi-Pas ? dans l’Antarctique - Automne - hiver - printemps 1908 - 1909
Édition Flammarion - 1968
- Le Pourquoi Pas ? à l’île Petermann
- 1939 - Etienne Blandin - Musée historique de Saint-Malo