« Do you want coffee ? ». Cette aimable proposition est faite par mon voisin de table, un concitoyen, le lendemain de notre arrivée en Libye où nous effectuons un voyage culturel sur les sites gréco-romains de la côte libyenne. Ce recours à l’anglais pour communiquer est devenu banal dès que l’on change de pays qu’il soit situé dans l’espace européen ou hors des frontières de l’UE. Ainsi, voyager à l’étranger enclenche, ipso facto, l’utilisation d’un autre registre langagier, en permutant du français à l’anglais, annexant jusqu’aux marqueurs initiaux de la communication orale, les formules de politesse telles que bonjour, bonsoir, merci, etc.
Cette manière de procéder est partagée aussi bien par les parfaits locuteurs de l’anglais que par ceux qui le maîtrisent difficilement, s’appuyant sur la traduction mot à mot. Cet éclairage sur notre comportement linguistique à l’étranger est en partie sous-tendu par le fait qu’on ne cherche pas à savoir quel est le degré de réceptivité au français de notre interlocuteur en faisant l’hypothèse implicite de sa méconnaissance du français. Nous nous astreignons à fabriquer un cadre restrictif, limité à des échanges usuels insatisfaisants, approximatifs et dépourvus d’expression émotive dont le tableau peut être comique pour le spectateur.
De nos séquences langagières
L’emploi du dictionnaire n’y change rien, ni celui des expressions toutes faites accompagnant les documents de voyage, censées nous sortir de l’embarras qui créent l’illusion d’une fluence éphémère vite contrariée par une prononciation à la française suscitant l’étonnement ou l’incompréhension de notre interlocuteur. Tableau attristant, duquel peut jaillir une phrase salvatrice sous la forme de « ne cherchez pas, je parle français ». Ainsi, en adoptant un profil supposé convenir à notre interlocuteur, on crée une sorte de brouillage d’autant plus préjudiciable qu’il impacte l’expression de la pensée et qu’il conduit à un sentiment de frustration ou d’infériorité.
- Touristes à Angkor... in english ou en french ? (Ph : Flickr - Babak Fakhamzadeh)
Combat perdu d’avance ? Obligation de dépendance linguistique ?
Citons trois exemples parmi d’autres recueillis au cours de voyages. Revenons à la Libye, aux sites romains de Tripolitaine et de Cyrénaïque sur lesquels nous avons rencontré à quatre reprises des guides locaux entraînés à la pratique du français, car ils avaient participé à des missions de fouilles archéologiques dirigées par le professeur André Laronde, quelques années auparavant. Habitués, même pour les groupes francophones, à conduire la visite en anglais, ils l’adaptent à notre demande, en langue française, étayant leurs commentaires d’anecdotes et de souvenirs du chantier de fouilles. Plus loin, au Cambodge, à l’époque de la réouverture du pays au tourisme, l’agence locale responsable de la visite du temple d’Angkor précise que la visite s’effectuera en anglais ! Or, le guide qui nous attend détecte rapidement que ses clients sont francophones. Comme il avait fait ses études secondaires à Ivry-sur-Seine, puis suivi un cycle d’Histoire de l’art, dans une université française, il nous fait partager avec saveur sa connaissance du lieu... en français. 15 ans après, ce voyage, l’histoire du temple, de son architecture et de ses trésors restent marqués dans ma mémoire. En Allemagne, à Dresde, à la suite d’une erreur d’orientation nous ayant conduits dans les faubourgs de la ville, la nuit tombée, nous sommes tirés d’affaire par un couple d’Allemands qui utilisent amicalement leur connaissance du français pour nous remettre sur la voie du retour. On pourrait multiplier les exemples découlant d’une prise de parole initiale en français. Sans faire un détour par les statistiques sur « La langue française dans le monde », il n’est pas inutile de rappeler que le français, selon le dernier rapport (2014) de « l’Observatoire de la langue française », est la 2e langue apprise comme langue étrangère après l’anglais et que l’on dénombre 125 millions d’apprenants du/en français. Nous ne pouvons pas ignorer que nous avons une chance, une forte chance, de rencontrer des francophones silencieux ne révélant pas leurs acquis dans l’instant. Y accéder suppose de notre part une démarche créant les conditions de l’échange. L’incitation initiale joue comme un déclic...
En conclusion, en tant que francophones, notre implication personnelle est nécessaire pour favoriser l’expression de notre langue dans le monde. Cela passe par notre détermination à parler français à l’étranger aussi souvent que cela est possible. Au titre des initiatives personnelles permettant de promouvoir le français à l’étranger, cette manière de procéder laissant de côté le comportement de repli frileux contribuerait à nous rendre acteur de la vitalité de notre langue et médiateur exigeant du maintien de sa place et de son rôle dans le dialogue entre les Nations.