- Ph : site de Guy Gilbert
De longs cheveux poivre et sel ébouriffés, un jean, des santiags, un blouson de cuir tapissé de pin’s, de grosses bagues aux doigts et un langage à faire bondir les « grenouilles de bénitiers », Guy Gilbert est depuis longtemps connu sous le nom de « curé des loubards ». Une vocation sans faille et des conceptions très personnelles de l’Amour de Dieu pour les Hommes font de lui le prêtre le plus proche des exclus de la société de consommation.
- Ph : site de Guy Gilbert
Une jeunesse entre amour et prise de conscience
Il le dit lui-même, être prêtre était une « idée farfelue ». Son père lui jeta même à la figure le fait que ce désir était « comme une envie de pisser ». Mais le jeune Guy, né au milieu de 15 frères et sœurs à Rochefort-sur-Mer en 1935, avait l’intuition que l’amour qu’il vivait au sein de sa famille devait le conduire à l’amour de Dieu. Il entra au séminaire avec la ferme intention de devenir curé de campagne. Les méthodes éducatives des curés du séminaire le laissent encore perplexe : « Ils étaient durs ou mesquins, peu portés sur l’éducation. J’en ai bavé, et très vite je me suis payé d’innombrables tours de cour, chapelet en main, tournant en rond en silence pendant les rares heures de récréation. Because : je parlais trop en étude ou dans les rangs ». Il se souvient toujours avec délice de la nuit où il se faufila au jardin potager du séminaire et replanta les 300 poireaux à l’envers pour se venger d’un jardinier peu sympathique ! Déjà petit, Guy Gilbert voyait la vie différemment des autres et il affirmait ses vues, sans peur des représailles. Plus tard, il fit son service militaire en Algérie, pendant la guerre d’indépendance. Farouchement opposé à ces « événements » comme on les appelait en métropole, il se lie avec d’autres jeunes aux idées proches des siennes. Certains sont protestants, d’autres communistes ou algériens militants pour l’indépendance de leur pays. Le jeune soldat Gilbert devint infirmier et découvrit les meurtres, la torture, l’injustice et le cynisme. Son cœur et sa foi furent mis à rude épreuve : « J’avais pendant dix ans lu, écouté, chanté l’Evangile. Je l’avais trouvé beau, très beau. Mais très vite, le décalage formidable entre sa lecture et ce que je voyais de la vie de la majorité de nos maîtres m’apparut considérable. L’Evangile parlait d’un homme ouvrier qui parcourait le pays avec une bande d’amis. Ils partageaient tout ce qu’ils avaient, soignaient, guérissaient les malades… Moi, je vivais enchaîné, prisonnier d’un règlement souvent absurde, mesquin, où on était foutu à la porte parce qu’on se trouvait à deux à discuter dans une piaule… » Il décida alors, coûte que coûte, de faire vivre l’Evangile au quotidien, avec ses frères arabes ! « Par reconnaissance pour le peuple arabe, j’entrais à la fin de mon service au séminaire d’Alger… J’ai été fait prêtre en 1965 à Alger ». Un prêtre qui n’en finit pas de bousculer la frilosité de l’Église sur les sujets de société et sur ses rapports avec les exclus de la vie… encore aujourd’hui !
Depuis 40 ans, l’homme de foi s’est glissé dans la peau d’un éducateur doublé d’un écrivain. Guy Gilbert avait appris l’arabe pour pouvoir communiquer avec les Algériens. De retour à Paris il se plongea dans l’argot pour se fondre dans la vie des loubards et des petits voyous de la rue. Ses combats se sont multipliés mais sont toujours animés par des convictions inébranlables : aimer l’Homme confronté à la violence inouïe de la société ; s’opposer aux nantis qui oppriment les faibles ; abolir la prison pour les mineurs ; affirmer sans relâche qu’aucun Homme n’est irrécupérable… Fort de ces quelques préceptes Guy Gilbert se bat. Avec des mots qui sont des coups de gueule et avec des gestes qui sont des provocations aux yeux des catholiques bien-pensants. Lui qui a toujours dénoncé la richesse vaticane, les jeux de pouvoir au sein de la hiérarchie de l’Eglise et l’hypocrisie de bien de ses confrères, s’est immergé dans la vie chaotique des « cabossés de l’existence » : Les jeunes délinquants, les types en souffrance affective, ceux qui se réfugient dans les drogues ou la violence. Sa paroisse s’appelle la rue, et parfois le terrain vague… Pour remplir son sacerdoce, il n’hésite pas à enfoncer les mains dans le cambouis et la saleté. Fidèle à ses mots : « Jésus se baladait avec douze pauvres cons, lourds, bouchés, sur les routes de Palestine, c’était ça son Vatican… », il se coupe du monde « chloroformé » où vivent beaucoup d’évêques, de curés et de religieuses. A la fin des années 70, il achète une bergerie en ruine près des Gorges du Verdon. Pierre après pierre, lui et son armée d’apôtres déshérités reconstruisirent et redonnèrent vie à l’endroit. Depuis, autour d’une équipe d’éducateur, Guy Gilbert accueille, écoute et stimule ceux dont plus grand monde ne veut. Dans une société élitiste où la consommation et l’apparence sont les maîtres-mots, les brebis perdues qui passent à la bergerie ne sont pas les bienvenues partout. Réussite, échec ? Ces mots n’ont pas de sens pour lui. Donner de l’amour n’est pas une compétition. Au fil des décennies, les médias et les hommes politiques nomment ces jeunes de diverses façons : loubard, voyou, sauvageon ou dernièrement racaille. Dans la bouche d’un ministre de l’intérieur, ces mots froissent et déclenchent des émeutes. Guy Gilbert les prononce avec amour, en connaissance du terrain et de l’argot, pas par mépris. Au fait, les prononcent-ils ?
Ce curé « rock and roll » qui compte plus de 70 « piges » ne s’est pas assagi. Sa notoriété et son humble engagement empêche la hiérarchie de l’Eglise de le désavouer. Pourtant, il détonne toujours autant. Certes, il ne va plus planter les poireaux des mauvaises personnes à l’envers, mais il continue à parler… fort et crûment : « Mes fonctions d’ecclésiaste et d’éducateur me font encore trop souvent côtoyer des jeunes filles ou des jeunes femmes désemparées car porteuses ou déjà mère d’un enfant non désiré. De plus, avec les risques toujours possibles de contracter le sida, avoir un rapport sexuel sans cette protection est totalement inconscient, et s’opposer à son recours est tout simplement criminel ». Au plus près des réalités d’une jeunesse qu’il connaît sur le bout des doigts, il a même écrit un « Chemin de Croix ». N’ayant jamais peur de bousculer les idées reçues et les conventions il écrit au sujet de Jésus : « Ce mec avait tout donné, tout offert… Les petits, les pauvres, les chômeurs, les étrangers, les sans papiers c’était sa priorité… Il était tout simplement en priorité du côté des perdants. Et ça les curés de son temps, les juges, les flics le trouvaient intolérable… Alors direction la boucherie ».
Parfois là où on ne l’attend pas, le frère Guy sait surprendre… En avril 2003, le voilà qui concélèbre le mariage du Prince Laurent de Belgique et de Claire Coombs, aux côtés du Primat de Belgique et face au « gratin » mondain réuni dans la cathédrale de Bruxelles. Que vient-il faire là, au milieu des dorures et d’un protocole d’un autre âge ? En toute discrétion, le Prince est venu autrefois apporter sa pierre à la bergerie en Provence. Une amitié s’est nouée entre les deux hommes. Guy Gilbert apprécie le côté « écolo et rebelle » du Prince. Tel un caméléon, le « curé des loubards » s’adapte à tous les terrains si l’Amour de l’Autre est présent. Le chantier qu’il a entrepris dans sa jeunesse en Algérie est loin d’être terminé, mais il continue à tracer sa route, même s’il n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. C’est sans doute cela que l’on appelle la foi !
VIDEO : Retrouvez Guy Gilbert, face à face ! (Réalisée par la fondation OSTAD ELAHI - hébergée par Daily Motion)