Pour la rentrée littéraire, l’auteur mauricien Ramanujam Sooriamoorthy publie trois ouvrages aux éditions Publibook. A la frontière des genres, ces écrits s’apparentent à des ballades poétiques et philosophiques dans lesquelles le poète exprime une vision du monde. Rencontre avec l’écrivain.
Les trois ouvrages qui paraissent, Prélude à l’ininterruption, Le Promeneur et son nombre et Offrandes sont sous forme poétique mais avec de fortes aspirations philosophiques et même historiques. Comment qualifierez-vous votre écriture ?
Vous posez là une question à laquelle il m’est extrêmement difficile de répondre, et ce pour bien des raisons. Je dirai, pour faire vite, que ce vous appelez mon écriture est, je crois, avant tout une espèce de recherche, de quête. Quête de quoi ? Je crois pouvoir avancer qu’il s’agit d’une quête de lucidité, mais cela ne veut nullement signifier que j’y réussisse.
Vous êtes originaire de l’île Maurice, un lieu où plusieurs langues (créole, français et anglais notamment) cohabitent au quotidien. Pourquoi avoir choisi le français comme langue d’écriture et quel lien entretenez-vous avec cette langue ?
Le français, expression fort complexe comme je le rappelle dans bien des interventions que j’ai été amené à prononcer ici et là, un peu partout dans le monde et qui feront d’ici peu l’objet d’une publication sous forme de livre, ne m’est pas vraiment, bien que ce ne soit pas la première langue que je me rappelle avoir entendue ou/ et parlée, une langue étrangère. En un sens, je parle le français depuis toujours ; c’est surtout dans cette langue que je pense et c’est, pourrai-je dire, tout naturellement que j’écris en français. Mais mon rapport au français a bien évidemment évolué et l’intérêt tout particulier que je porte à cette langue surtout depuis environ une trentaine d’années maintenant, se justifie du rôle qu’elle peut jouer dans le combat contre les divers hégémonismes et terrorismes.
L’ouvrage intitulé Offrandes retrace, sous la forme poétique, l’histoire des Tamouls de l’île Maurice. Qu’est-ce qui vous a incité à cette quête historique et pourquoi avoir choisi le genre poétique plutôt que l’essai par exemple ?
Au départ, il me fut demandé d’écrire un texte du genre commémoratif pour marquer les 300 ans de la présence tamoule à Maurice ; il fut également question de l’érection d’une stèle. L’idée m’est alors venue de composer un texte (Les Premiers) qui pût orner ladite stèle. Puis, ce premier texte écrit, il m’est venu l’idée de continuer. Il me fallait cependant faire vite ; je ne disposais pas de beaucoup de temps. C’est pour cela d’ailleurs que le recueil ne comporte pas beaucoup de poèmes, mais je pense quand même avoir, avec Offrandes, fourni un résumé de l’histoire des Tamouls à Maurice. L’occasion s’y prêtait et le genre poétique me permettait de procéder plutôt rapidement. Si j’avais choisi d’écrire un essai, il eût fallu que ce fût beaucoup plus long.
On a beaucoup entendu parler de l’esclavage et de la traite des peuples africains vers les îles de l’océan Indien et des Antilles. Des historiens, des écrivains (Aimé Césaire, Edouard Glissant pour ne citer que deux des noms les plus connus) ont abordé ces thématiques. Pourquoi l’histoire des Indiens qui ont émigré dans ces îles est-elle, selon vous, mal connue et peu traitée ? (Le roman de Raphaël Confiant sur ce sujet, La Panse du chacal, fait figure d’exception).
Vous avez entièrement raison ; mais l’histoire des Indiens qui ont émigré n’est, oserai-je dire, point si mal connue que cela, sauf de la majorité des gens bien entendu. Elle regorge plutôt de non-dits ; elle est peu ou mal traitée, car elle procède d’une volonté de méconnaissance. Il y a tant d’aspects de cette histoire qu’on préfère ne pas savoir ; d’où des tentatives de dissimulation, des efforts dans le sens d’un embellissement.
Les catégorisations sont toujours en vigueur dans le domaine littéraire : littérature française, littérature francophone ou littérature postcoloniale d’expression française ; ces étiquettes sont-elles, à votre sens, toujours pertinentes ?
Ces catégorisations, qui sont sans doute nécessaires, qui ont, en tout cas, leur nécessité, du moins pour certains et surtout pour ceux qui choisissent de s’y laisser enfermer, ne me semblent à moi d’aucune pertinence. Un écrivain, c’est avant tout quelqu’un qui écrit dans sa langue à lui, qui invente une langue nouvelle ; l’écriture elle-même transcende ces catégorisations. Quelqu’un comme Proust, par exemple, peut donner l’impression d’écrire en français, mais il n’écrit pas qu’en français. Il suffit pour s’en persuader d’être attentif à la phrase proustienne. Il écrit surtout en une langue nouvelle qui est comme étrangère au français et qui, avant lui, n’existait pas. Par ailleurs, il ne s’est pas contenté d’écrire des textes littéraires ou poétiques ; il est possible de lire Proust comme si on lisait un texte de psychologie ou de philosophie. Il est vrai qu’il écrivait des romans, mais avec Proust on s’éloigne du roman pour aborder le champ de l’écriture, et il s’agit, chez lui, d’une écriture qui rend d’avance caduque toute catégorisation, y compris celle qui croit pouvoir renvoyer à ce qu’on nomme littérature postcoloniale, ce qui n’échappera à ceux qui savent lire.
... la rédaction de ZigZag remercie sincèrement Anouchka...