Le fait qu’on soit, par le hasard de la naissance et/ou par le cours obligé d’une instruction, d’une éducation– étape indispensable apparemment à la socialisation du futur sujet en tant qu’être civilisé–, dont les surdéterminations, multiples, ne sont pas toujours connues, y compris celle qui se spécifie d’être politique, lié à quelqu’un ( qui tient lieu et pendant longtemps peut-être tiendra lieu de quelque chose) ou à quelque chose (qui tient lieu et pendant longtemps peut-être tiendra lieu de quelqu’un) , ici à ce qu’on nomme une langue, en l’occurrence le français, ne signifie aucunement que le lien de cette liaison ou que la ligature de ce lien, dont personne ne songera à nier la spontanéité, le naturel, lient vraiment, dans la mesure justement où le lien, étant naturel ou se présentant sous les espèces du naturel, dans la mesure où il précède tout contrat, formel ou autre, ne saurait lier véritablement ; ou plutôt si, il lie, mais tout se passe comme si le lien liait sans lier, vu qu’on le pourrait, ce lien, à l’air comparer que l’on respire (naturellement) sans même en soupçonner l’existence. A la limite, on pourrait s’enhardir– et l’on aurait évidemment tort, – à affirmer que ce lien sans lien ne sert à grand-chose sauf quand, comme c’est le cas pour l’air, il commence à faire défaut.
C’est quand le lien– et je ne parle ici que de ce lien en quelque sorte naturel évoqué plus haut, qui, bien évidemment est loin d’être le seul, mais ce qui importe ici, c’est uniquement ce lien forgé naturellement aussi bien que culturellement grâce à l’identification inconsciente avec la langue autant qu’à l’appropriation, également inconsciente, de la langue– , c’est quand ce lien-là commence, pour des raisons multiples et variées, voire contradictoires, à se rompre, que peut naître le sentiment d’attachement à la langue, pour la langue, sans lequel aucune pratique linguistique autre que celle qui caractérise le parler des enfants, et surtout aucune pratique linguistique active, autrement dit impliquant une participation qui ne serait pas que mimétique du locuteur, et pérennisable n’est possible.
Cet attachement peut prendre plusieurs formes ; s’agissant du français, il s’est, pour des raisons politiques et historiques surtout, confondu tantôt avec un certain chauvinisme, et personne n’ignore ce que cela peut supposer en termes de repli sur soi et de refus de l’autre, et tantôt avec une passion exacerbée et aveuglante qui, de toute évidence, entretient la conviction qu’il n’est, pour une nouvelle défense et illustration du français, de stratégie que fondée sur une attitude défensive qui ne s’interdira pas d’être, au besoin, agressive.
Je tiens que l’attachement au français– mais cela s’applique à l’attachement à d’autres langues aussi–, s’il ne devait trouver à s’exprimer que par le biais des formes susmentionnées, nuirait plutôt à l’épanouissement, à la vie du français. Certes, il faut pour le français de l’attachement ; par les temps qui courent surtout et qui peuvent inspirer des craintes pour son avenir, notamment quand on constate que de nombreux francophones, à commencer par des Français eux-mêmes, délaissent le français pour telle ou telle raison que rien ne justifie, même si elles peuvent frapper comme étant, ces raisons (ces excuses ?), irréfutables ; mais encore faut-il savoir ce qu’il en doit être de cet attachement.
A côté de l’attachement qui naît de l’effritement du lien déjà mentionné, s’y ajoutant, le niant éventuellement, il faudrait pouvoir compter avec ce que je me propose d’appeler un surattachement, lequel se caractérise, non par quelque excès, par le recours à l’hyperbole, mais par l’étude et le travail de la langue, avec, au moyen de la langue, sur (à tous les sens de ce mot) la langue, afin de la vraiment connaître et de l’expérimenter pour ce qu’elle est, non moins que pour ce qu’elle promet, pour ses réalités présentes et passées, non moins que pour ses virtualités futures. Ce surattachement est synonyme de travail, de patience, de volonté de savoir ; des philosophes–je pense surtout à Derrida et à Lacan–, des écrivains–Racine, Mallarmé, Sollers–, des philologues–Littré, Brunot, Bescherelle– et tant d’autres encore peuvent montrer la voie. La finalité de ce surattachement, c’est la vérité de la langue, ici du français ; non que ce surattachement dise ce qu’est le français tel qu’il est vraiment au fond. Mais il y travaille, dans la solitude et le silence, en silence et avec sobriété, en s’attachant au français ; avec toute la distance requise cependant afin de, l’attachement maintenu et entretenu, respecter les exigences de la lucidité. Il y travaille donc, si je puis dire, avec un attachement sans attachement, car si le surattachement attache, il attache sans attacher, sans passion narcissique, sans, cela va de soi, zèle nationaliste, mais avec le détachement qui autorise un autre attachement, ce que je baptise du terme de surattachement, avec lequel je souhaite qu’on puisse et suggère qu’on doive pouvoir compter, vu que c’est cela, et peut-être cela seul qui peut et va contribuer, avec la mise en commun des fruits de son labeur, à l’efflorescence du français et à la concrétisation de tout ce qu’il en peut résulter de salutaire pour tous.