Là où croît toute menace– et toute menace réelle est toujours menace d’un extrême danger, faute de quoi il n’y a pas, à proprement parler, de menace, faute de quoi toute menace n’est que menace de comédie–, là aussi, pourvu que la menace ne soit pas totalement imperceptible, entièrement indéfinissable et comme confusément vague et abstraite– mais n’est-ce pas justement la particularité de toute menace d’être, pour être réellement menaçante, (presque) complètement imperceptible et donc démesurément difficile, sinon impossible à appréhender ?–, croît, cependant que la menace silencieusement et obscurément s’intensifie et que le danger dont elle est l’annonciatrice à pas de loup ou/et « sur des pattes de colombe » s’approche, ce qui peut, ce qui en peut préserver, ce qui la peut prévenir, et ce n’est rien d’autre que la parole poétique,laquelle, parole également prophétique, se distingue de celle de Cassandre condamnée à toujours prédire la vérité pour sans cesse se heurter au scepticisme de ses auditeurs, a beau s’en distinguer, mais n’en est pas moins une parole muette, en définitive point tout à fait différente de celle de la fille de Priam, car vaine, à ceci près toutefois– et il s’agit là d’un trait absolument fondamental– que, pour peu qu’on y soit attentif, pour peu donc qu’on œuvre, farouchement hostile à tout ce qui en peut signifier l’obscurcissement afin de (inconsciemment ?) consacrer le règne de la surdité et de parachever la quasi-omniprésence de la cécité qui en découle, quand elle n’en serait la source malsaine et perverse, sous réserve d’une vigilance de tous les instants quant à sa lente et difficile émergence, elle est, ladite parole que l’on n’aura pas la naïveté de confondre avec celle de ces prêcheurs que l’on rencontre à tous les coins de rue et qui, fussent-ils d’horizons aussi divers et éloignés les uns des autres que, rassemblés, fortuitement ou non, sous un même chapiteau, ils ne manqueraient de se prendre entre eux-mêmes pour des Martiens, ont en partage et en commun cette même passion pour la médiocrité et la bêtise qui, bizarrement, ne les signale pas à l’attention comme étant dignes d’un ostracisme propre à les à jamais confondre, ni ne les transforme, eux dont le péché est pourtant bien plus redoutable que la faute d’Actéon coupable tout simplement d’avoir Diane au bain surprise, en cerfs n’ignorant, dans l’angoisse et la douleur, être condamnés à se faire déchirer à belles dents par la meute de chiens jusque là leurs fidèles et obéissants admirateurs, en mesure, car émanation de la lecture scrutant interminablement l’invisible espace du réel, de, entre autres et principalement, rappeler l’inaudible de toute menace qui menace d’autant plus qu’elle ne menace point, qui est menaçante à condition de n’être pas menaçante, induisant ainsi un effet de confort illusoire qui n’est même pas de l’ordre de l’apaisement consécutif à l’évacuation, réelle ou imaginaire, d’une menace exceptionnellement, ou non, reconnue pour ce qu’elle est, ou à l’élimination de la concrétisation de telle menace en tant que réalité contre laquelle il n’est d’issue possible que la mort, ou le salut pat le biais de l’appréhension du réel que rend possible la lecture, celle qui sans cesse écrit et réécrit tout en lisant, mais il ne faudrait surtout perdre de vue que ni l’ignorance ni la conscience de la menace, et cela vaut également pour tout danger, n’empêchent, la dénégation et la sublimation aidant, de continuer de vivre, si tant est que ce soit bien vivre que de mener une existence de somnambule, de zombie, et c’est très certainement là que se trouve la vraie menace et que réside le danger le plus redoutable auxquels une vie humaine se pourrait trouver exposée, menace et, éventuellement, danger, nullement cependant identifiés et répertoriés pour ce qu’ils sont, des obstacles à la volonté de vie, des vecteurs de léthargie qui maquillent la détresse qui résulte de l’éloignement des forces de la vie en la naturalisant, en en faisant le cours naturel et obligé de toute vie humaine, auquel les agents de l’opération de naturalisation en question ont bel et bien l’air d’obéir et de se soumettre tout en y assujettissant les autres, en, du moins, s’efforçant de les y assujettir, ou simplement en la niant brutalement par le truchement d’un train de vie qui interdit le temps de la réflexion et neutralise, du fait même de sa seule existence, fût-elle, cette exisyence, toute factice, toute initiative créatrice, cependant qu’à quelques exceptions près qui, elles-mêmes, risquent d’être de moins en moins exceptionnelles, tout espoir d’une vie humaine, pas grand-chose pourtant, s’amenuise dangereusement et que tout dépassement de l’humain, probablement la seule tâche qui vaille, promet d’être inconcevable pour la plupart, sinon pour tous, les êtres humains étant désormais unis dans le sommeil d’une existence dominée, tant pour les divers oisifs que pour les esclaves, ces autres oisifs malgré eux qui n’ont même idée de l’état qui est le leur, par la satisfaction des besoins et la réalisation de désirs et d’ambitions qui doivent à peu près tout au mimétisme ou, miraculeusement, au refus de l’existence telle qu’elle s’impose, ici et là, partout la même cependant sous des allures de diversité, de nouveauté et de progrès qui, au fond, le refus nonobstant, sinon en raison même du refus, de sa stratégie, de son style, lesquels équivalent à des refus du refus, ne trompent personne, ce dont atteste la frustration, qu’on a beau s’évertuer, mais en vain, à se dissimuler, qui couronne tout dénouement heureux même, voire tout accomplissement prodigieux, car si la menace et le danger qu’elle (l’existence ou ce qui en tient lieu) préfigure ne sont ni menaçants ni dangereux, soit parce qu’ils sont menaçants et dangereux et qu’il y a donc moyen de prendre les précautions qui s’imposeraient, quelle qu’en soit, par ailleurs, leur efficacité, soit parce qu’ils ne sont ni menaçants ni dangereux et que l’on se trouve alors tout désarmé et vulnérable face à ce qui, ne menaçant point et n’étant, du moins en apparence, dangereux, peut d’autant mieux se révéler menaçant et dangereux, soit encore en raison du déguisement qu’ils empruntent, le corrélatif de l’humaine incapacité ou de l’humaine réluctance à affronter la seule menace et le seul danger, au regard desquels toute autre menace, si insidieuse et terrifiante soit-elle, et tout autre danger, dût-il être indéniable dans toute l’étendue de son son horreur, qui, d’ailleurs, en dérivent, ne sont au fond que des jeux aussi superficiels qu’ennuyeux, qui soient pour le sujet humain de bien réels défis, n’en soupçonnât-il rien, pour se contenter d’une existence en réalité vide et affreusement triste, riche de balivernes et de sottises dont d’aucuns croient pouvoir s’enorgueillir avec cette insolence qui n’indique que trop qu’ils n’ignorent passer leur temps à ne rien faire, tout le temps et partout, sauf à des moments de profonde et tragique lucidité vite engloutis par le courant putride du fleuve de la vie détourné de ce qui eût dû en être le cours naturel et le sens véritable, afin de s’abîmer dans des activités multiples, parfois, souvent même contradictoires, les unes trompeusement austères, les autres ouvertement frivoles, toutes reconnaissables à ceci qu’elles soûlent et abrutissent, quand elles n’engendrent que frustration et morosité, même quand et là où elles promeuvent la conviction, d’autant plus dangereuse que creuse, chez les acteurs pleinement engagés , et peut-être pas que chez eux, dans la scénographie de la vie quotidienne dont ils ont hérité ou/ et qu’ils ont, par leurs propres soins, constituée, de mener une vie bien riche, bien pleine, alors qu’en définitive ils n’auront fait que se rassasier des délices, de la béatitude qu’à bien des gens (la majorité ?) le ronflement procure, pour peu qu’ils aient eu la chance, ou la malchance, d’échapper à la détresse imposée par les exigences d’une survie immédiate dans l’espoir et l’attente de la lueur libératrice qui jamais ne se manifestera autrement que comme illusion, mais qu’il s’agisse de confort, et de la mollesse qui en dérive, ou de détresse, et du désespoir qui en peut émaner– et ce sont là les deux principaux, voire les seuls véritables dangers, sous des formes différentes, divergentes, et opposées, bien entendu, dangers auxquels toute menace réelle, de celle tenue pour insignifiante à celle, dramatique, spectaculaire et terrifiante, qui plonge dans le désarroi et anéantit toute possibilité d’optimisme, si elles est vraiment menace, expose, étant entendu que la menace menace, est menaçante, n’est menaçante que dans la mesure où elle ne menace pas, tout en menaçant–, ce à quoi il faut s’en tenir (comme dirait Lacan mon maître), c’est que le confort et la détresse, ces deux dangers bien réels ici du doigt pointés, au fond, n’en sont pas réellement, vu qu’ils en fait voilent et occultent non seulement LE danger auquel, sous des formes multiples, toute existence humaine est appelée à faire face, pour autant qu’elle ne se résigne à la détresse (tout le monde aura compris que le terme et le concept de détresse ne sont pas employés ICI en un sens strictement heideggerien, et cela je le dis tout en soulignant tout ce que ce texte doit à Heidegger, quoique je ne m’en rende pleinement compte qu’à l’instant même) et pour peu qu’elle ne se contente du confort épicurien dont, selon les Stoïciens, se repaissent les pourceaux– mais que l’on ne commette l’erreur de penser qu’il ne faut tenir aucun compte du confort et de la détresse : ils peuvent bien servir de préface à la réflexion sur la menace, le danger et le salut ; après tout, même à la cuisine on peut penser–, mais aussi et surtout la menace, LA menace qui, sous des formes multiples, menace toute existence humaine en y interdisant, en y impossibilisant l’exercice de cela seul d’où pourrait provenir quelque salut pour l’être humain, concevable uniquement semble-t-il, en tant que dépassement de l’humain, en y impossibilisant l’exercice de la pensée, laquelle est essentiellement attention de tous les instants au murmure inaudible des êtres et des choses, mais, de même que la menace ne menace que si elle ne menace pas– on voit bien où cela nous mène : elle menace si elle ne menace pas ; elle ne menace(rait) donc jamais, et nos difficultés que font que s’amplifier–, le salut ne sauve, n’est salutaire qu’à la condition de ne pas sauver, n’éloigne le danger qu’en en soulignant la proximité, n’annule la menace qu’en en accentuant l’imminence, et si d’aventure le salut sauvait, devait être salutaire, il ne serait plus salut, mais se réduirait au plaisir des pourceaux, et donc à l’absence de salut, car la menace et, même, le danger ont autant besoin du salut, qu’au salut il faut, pour son salut, si je puis dire, la menace et le danger : toute sotériologie, s’il y en a, ne peut qu’être une phobologie, comme tout le monde l’aura deviné dès le commencement même de ce texte.
Ile Maurice - La menace et le salut
Par Ramanujam Sooriamoorthy - pt de l’Association mauricienne des enseignants de français
18 juillet 2016 - par
Ramanujam Sooriamoorthy - Association mauricienne des enseignants de français