La Flandre lâche les Francophones de Belgique et ...
se tourne vers la France !
Le 12 août dernier, un semi-remorque français imposant stationnait sur le parking, à proximité de la petite gare du Coq. A côté de lui, deux étals présentant des brochures : les unes en néerlandais et les autres... en français. Quoi ? En français sur le territoire sacré de la Flandre ? Alors qu’on le répète continuellement : "Hier spreekt men Vlaams !"
Mais, surprise : les organisateurs disposent d’une autorisation tout ce qu’il y a de plus légale. Venus du département du Nord de la France, ils travaillent en collaboration avec la province de Flandre occidentale. Renseignements pris, il s’agit ici d’une vaste opération de mise en garde des jeunes à propos de l’alcool, des drogues, du tabac, du bruit, du soleil, des maladies sexuellement transmissibles, organisée dans le cadre du programme transfrontalier INTERREG IV, subventionné à 50% par l’Europe.
Ah, bon ! Et il y a d’autres activités de ce type qui impliquent l’usage du français au-delà de la frontière linguistique ? En réponse à notre curiosité, nous recevons en pleine figure une "brique" luxueuse de 348 pages : 174 pages en néerlandais et autant en français, présentées en tête-bêche. L’ouvrage est publié en 2008 par le gouvernement flamand, sous le titre un peu (d)étonnant : "Note stratégique France"*. Il relève les initiatives prises pour renforcer la coopération entre la Flandre et la France.
L’avant-propos est signé par Geert Bourgeois, vice-ministre-président du Gouvernement flamand et ministre flamand polyvalent des Affaires administratives, de l’Administration intérieure, de l’Intégration civique, du Tourisme et de la Périphérie. Ministre de la Politique internationale en 2008. On pourrait lui ajouter le titre de "Veldmaarschalk" (Maréchal) en raison de la tonalité militaire et de conquête donnée à cette "note stratégique".
Il écrit notamment : "Notre grand pays voisin à la frontière sud-est est la France, pays avec lequel nous partageons une grande partie de notre histoire et développons actuel-lement une coopération intensive dans de nombreux domaines d’action." (…) "La coopération entre la Flandre et la France n’est pas évidente, bien que nous partagions de nombreuses valeurs, que nous ayons des liens historiques et une adéquation économique importante."
Il relève que le processus de décentralisation en cours en France, qui accorde plus d’autonomie aux pouvoirs locaux, va permettre de nombreuses opérations transfrontalières avec la France au niveau des régions. Il souligne que les Flamands ont toujours été considérés comme les plus latins des Germains !
Les Francophones de Belgique d’abord !
Nous relevons, pour notre part, que le même ministre qui se montre ici presque "francolâtre" est le même qui pâlit, non pas au nom de Vancouver, mais quand il a connaissance de l’usage du français dans la périphérie de Bruxelles. Le même ministre qui n’intervient pas quand, à Renaix, un échevin de la Culture décide que, désormais, les plaques indicatrices des rues porteront la mention en néerlandais exclusivement, alors que jusqu’ici, elles étaient bilingues. Le même ministre connu pour ses positions flamingantes radicales dans les problèmes linguistiques.
Nous relevons de plus, avec un étonnement indigné, que la Flandre passe avec la France et avec le Nord-Pas de Calais, notamment dans le domaine culturel, des accords qu’elle refuse obstinément, et depuis des années, de passer avec la Communauté française de Belgique. Alors que, dans sa résolution 1301, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommande "qu’un accord de coopération culturelle soit conclu d’urgence (c’est nous qui soulignons) entre les communautés francophone et néerlandophone". Nous plaidons ici, depuis des années, pour qu’un tel accord, qui favoriserait une meilleure entente entre citoyens de Flandre et de la partie francophone du pays, soit passé… d’urgence.
Quand une initiative en langue française est prise en Flandre par la France, c’est sous le signe de la coopération. La même initiative prise par la Communauté française de Belgique est qualifiée d’"ingérence" !
Que la France ou l’un de ses départements passe des accords avec la Flandre n’est pas du tout gênant. Ce qui l’est, c’est qu’on développe, en dehors de notre pays, une politique qui devrait être mise en pratique dans notre pays. On est en droit de se demander comment s’explique l’incohérence des pouvoirs de l’Europe. Celle-ci exige d’une part que soit signé d’urgence un accord culturel entre les Communautés en Belgique, et par ailleurs elle favorise les visées autonomistes de la Flandre. L’Europe devrait plutôt encourager la Flandre à rechercher une collaboration avec la Communauté française dans son propre pays !
Le "non-dit" opportun
Pour la Flandre, cette amicale collaboration pourrait avoir une vertu particulière non dite : elle la conforte dans son refus de ratifier la convention-cadre sur la protection des minorités nationales puisque la France est un des seuls pays à ne pas avoir signé le document. Cela expliquerait aussi l’attitude de la France qui s’entend avec les autorités flamandes, abandonnant à l’hostilité obstinée de celles-ci, les 367.000 Francophones qui vivent en Flandre et qui, minorité reconnue par l’Europe, se battent pour la reconnaissance de leurs droits.
A la place des autorités françaises, nous ressentirions tout de même un certain malaise devant le vocabulaire presque agressif utilisé dans cette "note stratégique_" du gouvernement flamand. La carte d’Etat-major dépliée devant Geert Bourgeois montre les quatre objectifs visés par la Flandre.
Objectif n°1
"Maintenir et renforcer la position de tête de la Flandre comme carrefour transport-logistique et lieu d’implantation attractif en plein cœur de l’Europe, en stimulant la croissance des ports (intérieurs) flamands et en investissant dans la mobilité et les liaisons de transport entre la Flandre et la France (...)."
Objectif n°2
"Renforcer la force de frappe économique de la Flandre, d’une part, en travaillant activement sur le marché français dans le but d’augmenter les exportations de la Flandre vers la France, en stimulant les activités de sociétés flamandes en France et en attirant des touristes et des investissements français en Flandre (...)."
Objectif n°3
"Divulguer activement la culture, la langue et le patrimoine de la Flandre dans les relations avec la France et intensifier les relations en matière d’enseignement et de recherche. (…) Stimuler l’enseignement de la langue de l’autre. Soutenir le néerlandais en France (le Nord) constitue pour l’autorité flamande un des éléments prioritaires dans ses relations avec la France."
Objectif n°4
"Concrétiser de manière durable l’espace transfrontalier entre la Flandre et le Nord de la France, en agissant activement sur les nouveaux processus administratifs et en coopérant avec tous les acteurs concernés, entre autres dans les domaines de l’emploi, de l’environnement, des soins de santé, de l’aménagement du territoire et du transport, l’objectif ultime étant de défendre les intérêts flamands et communs dans la région frontalière."
Sommes colossales
En exécution de l’accord de coopération (2000) passé entre le gouvernement flamand et le gouvernement de la République française, la Flandre négocie un programme de coopération couvrant les années 2010 à 2013 et comprenant les activités culturelles, l’enseignement et les sciences. Dans le domaine culturel, aujourd’hui déjà, la Flandre est présente dans les grands festivals français, comme le Festival d’Avignon. La Communauté flamande subventionne les frais de voyage, de séjour et de transport des artistes flamands qui donnent des spectacles en France. Cette politique de présence maximale dans les lieux et les milieux culturels français a évidemment un coût.
Quand on se réfère aux données comptables fournies dans la "note", on se rend compte que la Flandre "voit grand" dans tous les secteurs : enseignement, recherche scientifique, économie, politique portuaire et routière, etc… Le gouverne-ment flamand dresse l’inventaire d’une centaine de projets réalisés dans le cadre d’INTERREG IIIA, IIIB et IIIC pour un montant total de plus de 250.000.000 d’euros (NdlR : oui, oui, le nombre de zéros est exact !) dont pas loin de 50% sont pris en charge par des fonds européens. La Wallonie participe à un quart des projets cités, mais un peu en parent pauvre, à qui on laisse 10% du montant total.
Comme on peut voir, il ne s’agit pas de subsides mineurs, mais de sommes colossales pour la réalisation de projets très ambitieux. Pour peu, on retirerait de cette analyse, l’impression que le Maréchal Bourgeois s’apprête à conquérir l’Europe. Il faut savoir qu’il existe à l’état-major des notes stratégiques relatives à l’Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni…
Moralité : Ce sont essentiellement des fonds européens qui couvrent la coopération entre la Flandre et la France, au détriment des Francophones de Belgique, sans oublier la minorité francophone de Flandre.
Marcel Bauwens et Edgar Fonck