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La cyberdémocratie en question...

La cyberdémocratie en question...

Etats-Unis, Egypte, Tunisie, Sénégal...

Internet ? Outil restructurant la sphère politique et entrainant de profondes répercussions sur la vie démocratique... Démonstration !

9 septembre 2012 - par Marie-Anne O’Reilly 
Révolution égyptienne - © Mariam Soliman - Wikimedia Common
Révolution égyptienne
© Mariam Soliman - Wikimedia Common

CYBERDÉMOCRATIE

En 2003, dans son ouvrage intitulé Cyberdémocratie, Pierre Lévy soulevait déjà les possibilités du Web pour une participation citoyenne accrue à la vie politique. En effet, Internet ouvrirait «  un nouvel espace de communication, inclusif, transparent et universel, qui est amené à renouveler profondément les conditions de la vie publique dans le sens d’une liberté et d’une responsabilité accrue des citoyens. » Il avançait ainsi l’hypothèse que le cyberespace allait effectuer une restructuration de la sphère politique, entrainant de profondes répercussions sur la vie démocratique.

Visionnaire avant son temps ? Certainement, car il faudra attendre le plein essor du web 2.0 et des réseaux sociaux pour que le potentiel politique des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC) soit davantage utilisé. La cyberdémocratie dont parle Lévy n’était certes qu’à son état embryonnaire au moment de la parution de son ouvrage (jeunesse du média oblige, puisque l’Internet grand public n’avait alors pas encore fêté ses dix ans), mais malgré la présence grandissante des politiciens sur Internet depuis l’avènement du World Wide Web, force est de constater que les répercussions tant attendues sur l’exercice de la démocratie se sont fait longtemps attendre.
En 2008, Michelle Blanc, spécialiste des médias sociaux au Québec, déplorait à juste titre l’absence des partis politiques et des candidats aux élections dans ces réseaux, tout comme la mise en place d’une réelle communication bidirectionnelle avec les électeurs. Barack Obama, le premier à avoir utilisé Internet à des fins politiques, a bien démontré la puissance des ces outils à travers sa campagne électorale, avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui. Pourtant, malgré tous les efforts des gouvernements pour être présents sur Internet, la politique en ligne demeure encore trop souvent unidirectionnelle et les occasions d’échanges sont peu fréquentes. Nous demeurons dans le même modèle de gouvernance qui part du haut pour aller vers le bas, et non l’inverse.
À l’automne 2010, alors chargée cours à l’université pour enseigner Les enjeux sociaux du multimédia, je me trouvais devant une soixantaine d’étudiants dans la jeune vingtaine, désabusés par une vie politique apathique. Malgré leur très grande aisance avec les nouvelles technologies et leur présence accrue dans le cyberespace, la cyberdémocratie demeurait pour eux une pure abstraction. Le potentiel démocratique des nouvelles technologies était bien présent, mais en latence, sans être véritablement utilisé. Dans toutes les discussions en classe, la conclusion s’imposait d’elle-même : la sphère de discussion publique et la participation citoyenne qu’annonçait Lévy n’existaient encore qu’en théorie.

Tunisie - soldats protégeant le ministère de l’intérieur.
Ph : RAIS67 - Wikimedia Common

C’est toutefois avec beaucoup de joie que j’ai vu mes propos démentis à peine quelques mois plus tard avec les événements du printemps arabe au début de l’année 2011. Pour la première fois de façon aussi ostensible, Internet, via les réseaux sociaux en grande majorité, a permis l’éclosion d’un véritable mouvement de participation citoyenne en ligne et un retournement de la vie démocratique qui s’exerce désormais par le peuple et non plus seulement par une élite dirigeante. Les événements en Tunisie et en Égypte ont confirmé l’hypothèse de Lévy, selon laquelle « Internet serait le moyen le plus efficace pour contourner la censure des régimes autoritaires. » La cyberdémocratie s’est ainsi définitivement installée dans nos vies citoyennes et il est à parier que son exercice est là pour rester. Car les révolutions arabes, si elles ont enclenché le mouvement, n’ont pas été les seules à emprunter cette voie. Le cas des élections présidentielles au Sénégal l’année suivante en février 2012 en est également un bon exemple, pour ne nommer que celui-là.

Cette nouvelle sphère démocratique issue du cyberespace mérite donc qu’on s’y attarde un peu. Il faut d’abord établir que dans une perspective historique, le développement des moyens de communication a toujours joué un rôle important dans l’exercice politique. Dans les années 1990, la diffusion par satellite à la télévision a permis à plusieurs pays isolés de s’ouvrir au monde et de s’affranchir subséquemment des régimes autoritaires. Internet ne fait pas exception à la règle et son avènement a eu un impact d’autant plus considérable qu’il permettait une libération de la parole jamais permise jusqu’alors.


La génération techno fait trébucher Mubarak
Création de Carlos Latuff - Wikimedia Common

Cyberdémocratie et liberté d’expression

Les destins de la cyberdémocratie et du cyberespace sont intimement liés parce qu’ils impliquent tous deux ce qu’il y a de plus essentiel à la l’humanité : l’aspiration à la liberté et la puissance créative de l’intelligence collective. - Pierre Lévy

Avec Internet, les verrous de l’accès à la sphère publique sautent les uns après les autres. En effet, l’augmentation des blogues personnels et des différents réseaux sociaux permettent aux utilisateurs de publier leur propre contenu, quelle que soit la forme (texte, photo ou vidéo). La diffusion de l’information ne se trouve donc plus uniquement entre les mains d’une minorité au pouvoir. Tout le monde, avec un minimum de matériel, peut dorénavant partager ses idées au plus grand nombre.

Malgré les grands mouvements de concentration dans les médias traditionnels qui ont contribué à un appauvrissement de l’information, la multiplication des canaux de communication sur Internet a favorisé une étonnante diversité informationnelle qui représente un bond sans précédent pour la liberté d’expression. De plus, contrairement à la télévision, Internet permet de diriger soi-même son regard, établissant une symétrie qui permet à tout le monde de tout voir de n’importe où. Ce nouveau régime de visibilité sur le web permet d’avoir accès à une multitude de points de vue, permettant une compréhension du monde plus vaste et plus ouverte.

Ainsi, le tri a priori des informations par les médiateurs culturels a été remplacé par le choix des utilisateurs a posteriori. Cette parole libre et multiple sur Internet implique un transfert de responsabilité aux individus qui peuvent créer leur propre opinion à travers une diversité d’information. Plutôt qu’un renforcement de la censure, cette nouvelle responsabilité appelle à une éducation éthique et critique renouvelée. Pierre Lévy parlait ainsi de «  l’émergence d’une intelligence collective qui fait ses propres choix » et qui permet de « renforcer les capacités d’action des populations administrées plutôt que de les assujettir à un pouvoir. »

S’il est vrai que les multinationales et l’industrie du divertissement ont également envahi le cyberespace et continuent de jouer leur rôle de prescripteur d’opinion en se chargeant de « diriger notre regard » sur la Toile, le rôle de consommateur passif est de moins en moins répandu. En devenant producteurs d’information, les citoyens sont également devenus responsables de leur propre consommation d’information.


Egypte, l’Internet est coupé, les affrontements non !
Création Carlos Latuff - Wikimedia Common

Les premiers pas d’un gouvernement électronique

Cette libération de la parole s’accompagne d’une accessibilité supérieure à l’information, qui entraine une nouvelle transparence dans la gouvernance politique. Depuis l’avènement de l’Internet grand public, les gouvernements ont progressivement amorcé le virage vers le cyberespace avec la mise en ligne d’une documentation exhaustive permettant à la population de s’informer. Cependant, la mise en ligne d’informations ne peut à elle seule amener les citoyens à s’approprier les enjeux et à s’impliquer dans la sphère publique. Les systèmes actuels reflètent davantage une logique marketing de service à la clientèle. Internet et sa panoplie de réseaux sociaux ne s’affichent que comme des canaux de publicité supplémentaires afin de rejoindre le plus grand nombre.
De fait, les notions de démocratie ou d’intelligence collective se trouvent rarement, et pour ainsi dire jamais, au programme des initiatives électroniques des gouvernements en place. L’effort de transparence est un premier pas, mais beaucoup reste encore à accomplir pour privilégier l’éclosion de la cyberdémocratie. De ce côté, les avancées sont timides du côté du pouvoir.
Ces portails gouvernementaux sont néanmoins appelés à se développer, tel que le laisse penser l’appropriation sans cesse grandissante des NTIC par les citoyens. Car c’est probablement ce qu’il y a de plus intéressant avec les récentes avancées de la cyberdémocratie : les actions enclenchées ne résultent pas de décisions gouvernementales, mais d’initiatives citoyennes qui ont permis de remettre à l’ordre du jour les notions de démocratie, de participation et d’implication dans la sphère publique.

Illustration du manifeste pour la défense des droits fondamentaux de l’internet
20minutos.es - Wikimedia Common

À l’ère du web 2.0, les internautes sont habitués à discuter via les différentes plateformes en ligne et s’attendent dorénavant à être entendus. La cyberdémocratie est un art du dialogue où tous les acteurs sociaux, les dirigeants tout comme les citoyens, peuvent échanger pour une gouvernance qui s’exerce réellement par les citoyens et qui n’est pas simplement subie par eux.

Il ne fait donc aucun doute que les nouvelles formes de gouvernance devront faire face à cette nouvelle race de citoyens, plus informés et plus actifs dans la sphère publique.

Le principal obstacle à cette nouvelle expression citoyenne demeure sans aucun doute la fracture numérique, alors que les infrastructures sont rares et que la connexion Internet demeure un luxe dans plusieurs pays. Pourtant, les pays tels que la Tunisie, l’Égypte et le Sénégal qui ont connu une véritable e-revolution, ne sont pas les plus branchés à l’échelle mondiale, bien au contraire. Ce fossé n’est donc peut-être pas insurmontable dans un futur rapproché.

Il est important de souligner que la cyberdémocratie n’est qu’un aspect d’Internet au service du développement. Les initiatives se multiplient afin de faire bénéficier les populations des pays plus pauvres des avantages apportés par la connexion à Internet, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, du développement et de la participation économiques. Les NTIC amènent un vent de changement incomparable qui nous laisse présager que le meilleur est encore à venir.


Marie-Anne O’Reilly : MA. Recherche-création en média expérimental à l’Université du Québec à Montréal, consultante en communication - NTIC

Manifestation Anonymous devant la Bourse de Bruxelles. Belgique.
Ph : Morbure - Wikimedia Common

Références


Michelle BLANC et Nadia SERAIOCCO, Médias sociaux 101, Les Éditions Logiques, Montréal, 2010, 181 p.

Pierre LÉVY, « Vers la Cyberdémocratie » in Odysée Internet : enjeux sociaux, Presses de l’université du Québec à Montréal, 2002, p. 61 à 77.

Pierre LÉVY, Cyberdémocratie, Éditions Odile Jacob, Paris, 2002, 287p.

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