- Marie Christine Saragosse, directrice générale de TV5Monde.
- Ph : Arnaud Galy - Zigzag
Drôle de journée que celle dont le thème était « Changer le monde en français ». Les conférenciers n’ont eu de cesse de vanter les mérites du multilinguisme. Preuve en est que la langue française s’est bien débarrassée du costume étriqué et pesant de langue de la colonisation. Marie Christine Saragosse, la directrice générale de TV5Monde a même lancé un émoustillant « il faut chérir Babel, être un francophone affectueux qui aime flirter avec les autres espaces linguistiques » avant de souligner que « TV5Monde défend l’idée que le centre du monde est partout ».
- Rithy Pahn, cinéaste cambodgien.
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
Sans détour Rithy Panh, cinéaste cambodgien, annonce la couleur : le rouge. Un carré de tissu rouge épinglé sur le costume, clin d’œil fortement appuyé à destination des étudiants québécois qui ont entamé depuis le printemps un bras de fer contre les dirigeants canadiens. Une lutte contre le coût exorbitant des études et la promulgation d’une loi interdisant les regroupements et les manifestations. L’intervention du réalisateur de S21 la machine de mort khmère était sur le mode « carré rouge ».
« Changer le monde, oui. Mais si on sait d’où on vient... Mon défi est de lutter contre l’effacement de la mémoire. Beaucoup d’enregistrements sont menacés par la durée de vie des supports et il n’y aura bientôt plus de matériels pour les lire. La mémoire est en train de se détruire... La Francophonie doit être le porte-drapeau de cette mémoire, de la diversité de cette mémoire... La mémoire est la base du développement... la base de la démocratie, la base d’une économie forte... la base d’un état de droit... le rôle de la Francophonie est de mettre en place les outils d’un accès libre et universel à la mémoire, à la culture, à l’éducation... » Respectueux de la mémoire, Rithy Pahn n’en n’est pas moins inquiet pour l’avenir. Nous construisons de plus en plus de tuyaux, d’applications, de réseaux... mais quid du soutien à la création ? « A quoi servent les web-store et les apple-store de toutes sortes si on ne produit pas de contenus ! Dans toute une partie du monde les gens gagnent 1 € par jour mais ont un smartphone ! Il faut parler, publier, créer dans leurs langues. »
- Claude Hagège, linguiste anti-ronron !
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
Sa tenue vestimentaire assez peu accordée à celles portées par la grande majorité des autres intervenants avait déjà attiré l’œil des plus observateurs. Mais quand il est monté sur la scène, s’est installé au pupitre et a lâché un tonitruant : « Arrêtons le ronron consensuel... nous sommes en guerre ! » chacun a compris que le ton du Forum était monté d’un cran. Claude Hagège n’en a que faire des conventions, il expose, il s’expose. « En guerre »... oui, en guerre contre l’utilisation de la langue anglaise telle que la pratiquent les Américains du Nord. La théorie de ce linguiste est simple : les USA tentent de compenser leur inexorable déclin économique face aux pays émergents en imposant une mondialisation au travers de leur langue. Tenir la maîtrise de la langue universelle est l’outil de leur résistance. La langue française a donc pour alliés objectifs les lusophones, les hispanophones, les sinophones et les anglophones eux-mêmes ! (Adama Samassekou, Malien et président de l’Académie africaine des langues, fera remarquer par la suite que les Africanophones sont a ajouter à cette liste non exhaustive). Des alliés « en guerre » contre la mondialisation, donc contre l’américanisation ! L’arme fatale pour mener cette guerre est le multilinguisme, seul garant de la diversité culturelle du monde. Claude Hagège égraina alors les outils de la résistance que doit actionner au plus vite l’Organisation Internationale de la Francophonie :
– Promouvoir et diffuser, « d’une manière musclée », la culture auprès des populations précaires. Le livre, l’audiovisuel et l’informatique autant d’outils à répandre sans compter !
– Faire pression « et pas dans les salons mondains » sur les ministres de l’éducation pour que soit instaurée une vraie politique de diversité des langues.
– Convaincre les entrepreneurs privés et les PDG des multinationales d’investir massivement dans les pays francophones.
Pour être certain d’être bien compris, Claude Hagège reprit les bases de son anti-ronron ! « Nous sommes en guerre, non pas contre l’anglais mais contre le néolibéralisme, nous sommes en guerre pour l’affirmation des valeurs culturelles ! Les générations montantes doivent prendre le relai et aller au combat. Les grèves étudiantes sont louables et sont à soutenir ! La Francophonie doit être solidaire ! » Encore le carré rouge !
Histoire de bien enfoncer le clou... Claude Hagège fit mine de terminer son intervention en s’exprimant en arabe, en chinois et en peul, avant de donner un dernier coup de sabot contre les élites françaises « vassalisées » et de jeter un facétieux : « Vive la francophonie québécoise libre ! » La salle était aux anges même si certains sourires étaient un brin crispés...