Comme de nombreuses petites filles de « bonnes familles », Ecaterina Baranov a été éduquée à grand renfort d’entrechats et de solfège. De cinq à treize ans, l’apprentissage de la rigueur est de mise. Plaisir parfois... L’enfant qu’elle était se prêtait de bonne grâce à cette exigence familiale sans se douter qu’au moment du choix elle déciderait, non seulement, de l’orientation de ses études, mais surtout du fil conducteur de sa vie. Et le choix, chuchoté par un professeur convaincant, fut le piano ! Les pointes et les barres laissèrent le champ libre aux cordes et au pédalier.
Une longue route allait se dessiner... une route où le physique et le mental de l’adolescente se trouvaient guidés par les nécessités de l’art. Mais Ecaterina ne s’est pas posé de questions. Elle s’est construite lentement pendant ses années au lycée puis à l’occasion d’un Master à l’Académie de Musique, Théâtre et Arts plastiques à Chisinau. Et puis... c’est là que les « choses » se compliquèrent ! La vingtaine dépassée, la jeune femme prend du recul, s’interroge et surtout interroge son avenir. Malgré les prévisibles difficultés, elle poursuit sa route : « Je n’avais pas la même habileté que les jeunes Russes par exemple. En Moldavie, il n’y a pas d’écoles de musique assez développées pour former des concertistes professionnels. Finalement, ma formation de base n’a pas été assez rigoureuse et je dois travailler davantage que d’autres aujourd’hui. »
Aujourd’hui ? Ecaterina s’est lancée sans tenir compte des doutes. Des liens privilégiés avec l’Alliance Française de Chisinau et une complicité artistique avec une pianiste française l’ont poussé à traverser l’Europe et à venir s’installer à Paris. Après cinq années à l’École normale de musique de Paris Alfred Cortot, elle est de plain-pied dans la carrière... En France, en Allemagne, au Portugal et en Roumanie, elle donne des concerts sans accepter d’être étiquetée : « Toutes les époques et tous les styles me donnent du plaisir. Beethoven, Liszt, Rachmaninov ou la musique contemporaine... je ne veux pas choisir et le public aime les programmes variés. Le risque est de, seulement, jouer des airs connus qui rassurent les organisateurs et le public, mais qui enferment les interprètes. Je dois équilibrer mes programmes et dès que possible jouer dans des festivals enthousiastes où les organisateurs sont moins frileux.. »
J’ai écouté Ecaterina, pour la première fois quand elle était enfant et qu’elle commençait son apprentissage. Mais, je n’ai eu l’impression de vraiment la connaître que lorsqu’elle est arrivée à maturité et a joué en France. Sur scène, Ecaterina caresse le son, elle se laisse envouter par la musique. Elle exprime le drame, la tendresse et la sensualité avec une bouleversante conviction dans chacune des notes. Ses doigts ne lui appartiennent plus, elle se met au service de l’œuvre qui vit une nouvelle histoire, intime. Ecaterina filtre le son, l’ensemble résonne dans le même tempo que son cœur...
Nelly Vranceanu, artiste peintre
« Mon cher pays » : Ainsi parle Ecaterina de sa Moldavie natale. Difficile ici de reproduire le long soupir qui accompagne ses mots. Comme si elle ne savait pas par quel bout prendre le problème ! Il lui est impossible de se détacher de son pays, qui le lui demanderait ? Pourtant la vie d’une concertiste talentueuse ne peut se réaliser entre Chisinau et Balti ! Dans ce profond soupire, Ecaterina englobe les difficultés de toute une jeunesse. « Il n’y a pas de marché pour l’art en Moldavie, encore moins pour la musique classique. Quelques interprètes étrangers sont invités à Chisinau, mais il n’y a pas assez de consommateurs ! À l’échelle du pays, la population connaît de grandes difficultés dans la vie quotidienne et l’art est loin d’être une priorité. Le contexte artistique est flou et les jeunes artistes savent bien que pour se réaliser il leur faudra sortir du pays. Mais avant de sortir pour faire évoluer leur art, encore faudrait-il que la formation de base soit excellente, ce n’est pas le cas... pour progresser il faut des modèles et travailler en équipe pour qu’une émulation et une stimulation s’opèrent. » Ecaterina n’est pas de celles qui se laissent abattre... même après un long soupire ! Alors que sa carrière n’est qu’à son aurore, elle pense déjà à contribuer à l’amélioration de ce contexte morose.
Utopie ? « Je voudrais contribuer au rapprochement des jeunes talents moldaves avec les musiciens étrangers confirmés et dans le même temps animer des lieux pour que le public moldave, à Chisinau et surtout loin de la capitale, puisse écouter des artistes. Il faut que les musiciens moldaves aient un public, qu’ils sentent que leur avenir peut aussi passer par leur pays. Un courant d’échanges entre musiciens qui partagent la langue française est souhaitable... impératif ! » Depuis deux ans, ce courant (d’air !) a commencé à souffler sous l’impulsion d’Ecaterina et de ses amis russes et portugais. La jeune utopiste, mais l’est-elle vraiment, a rempli de petites salles loin de Chisinau. Son regard pétille quand elle pense à tous ces jeunes venus avec leurs professeurs équipés de caméras vidéo. Comment ne pas être optimiste quand les master class connaissent un succès inattendu ? Les craintes exprimées et le regard sévère porté sur son pays sont-ils en voie d’adoucissement ? Elle, l’expatriée pas toujours reconnue à sa juste valeur sur ses terres, parviendra-t-elle à mener de front sa carrière et son désir de partage. La première demande une forme d’individualisme, le second est motivé par le bien commun ? Concilier les deux demandera rigueur et engagement. Ecaterina à l’habitude de manier les deux !