Minorité francophone :
La Flandre à l’heure du choix entre raison et passion
Il est des moments, dans le cours de l’Histoire, où s’imposent des décisions capitales, lourdes de conséquences. A ces moments-là, il est souhaitable que des hommes d’État - pas des politiciens sans envergure - élèvent la voix pour indiquer les changements d’orientation positifs. Or, il nous paraît qu’un tel moment est arrivé. Et qu’il sera possible de modifier dans la mentalité collective des Flamands et des Francophones, l’image négative qu’ils ont les uns des autres.
L’heure est venue du choix entre la raison et la passion, entre l’ouverture d’esprit dans la confiance et le blocage mental dans la méfiance, entre l’esprit de tolérance et le fanatisme haineux. Certains incidents locaux font que les Flamands se montrent sous un jour qui ne suscite pas la sympathie à leur égard. Le dernier incident en date montre jusqu’à quel aveuglement et quel égarement mènent les discours nationalistes. Dans la périphérie de Bruxelles, la commune de Zaventem impose l’usage exclusif du néerlandais dans ses plaines de jeu. Les enfants et leurs parents sont tenus d’utiliser la seule langue de Vondel, même lorsque ceux-ci parlent entre eux. Les parents qui ne connaissent pas le néerlandais sont donc sommés de se taire. Voilà un comportement choquant - un de plus ! - inspiré par un flamingantisme intransigeant.
Un rapport sévère
A la demande de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale en France, deux députés, Robert Lecou (UMP) et Jean-Pierre Kucheida (PS) ont déposé un rapport sur la situation politique belge. Ils ont rencontré des dizaines d’hommes politiques, de journalistes, d’experts et de professeurs et ont dit avoir constaté que "La conviction est fortement ancrée que la Belgique est constituée de deux sociétés différentes". Bart De Wever, président de la N-VA, parti nationaliste flamand sorti grand vainqueur aux dernières élections, a fait valoir que "la Belgique est un échec complet, ce que traduit le fait qu’il n’y a pas de journal commun à tout le pays, pas de télévision commune, pas de discussion de fond entre les membres des deux groupes linguistiques dans chaque Chambre du Parlement, etc...".
Au cours du débat sur le rapport, un interpellateur, Jacques Myard, dénonce "certaines méthodes fascistes utilisées, aujourd’hui en Flandre, s’agissant notamment de la langue", tandis que J-P Kucheida, co-rapporteur, approuve en ces termes : "vous avez parfaitement raison de mentionner les comportements parfois inacceptables, proches de l’exaction, dont sont victimes les Francophones en Flandre".
De son côté, M. André Flahaut, Président de la Chambre, faisait remarquer aux membres de la mission française que "la non-nomination des trois bourgmestres était constitutive d’un ’déni de démocratie’ révélateur de la volonté de la Flandre de ’faire prévaloir sa supériorité démographique’, tout comme l’était d’ailleurs le refus de la Flandre de ratifier la convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la protection des minorités nationales".
Le nationalisme exacerbé donne de la Flandre une image négative qui peut avoir des conséquences dans le domaine économique.
Chou vert et vert chou
Alors qu’un site promotionnel de la Région flamande invite - en français ! - les travailleurs français et wallons à venir travailler en Flandre occidentale, il est surprenant de se heurter à des attitudes que nous venons de rappeler. L’exposition "Migrants flamands en Wallonie, 1850-2000" et le livre* qui lui est consacré, nous rappellent qu’à la fin du 19ème siècle, des milliers de travailleurs flamands descendaient vers les bassins industriels d’une Wallonie prospère et qu’ils y étaient bienvenus. C’est vraiment chou vert et vert chou. Ces immigrés de Flandre ont connu les mêmes problèmes hier, que nous, Francophones habitant en Flandre. Ils ont créé des associations culturelles pour "préserver leur identité" comme on dit aujourd’hui. Comme nous, ils ont organisé des débats, des soirées musicales ou littéraires, du théâtre, etc... Des activités subsidiées par de grandes organisations comme le "Davidsfonds".
Tout allait bien
Après la guerre de 1914-18, le climat se gâte entre Flamands et Wallons. Même réaction des deux côtés : les Flamands abandonnent à leur sort leurs compatriotes émigrés en Wallonie pour ne pas devoir accueillir, par réciprocité, des Francophones en Flandre. Les Wallons "lâchent" les Francophones de Flandre pour ne pas devoir absorber des îlots de Flamands en Wallonie.
Pour nous, Francophones habitant en Flandre, tout allait bien jusqu’à il y a une dizaine d’années. Les autorités flamandes ont alors saisi la Cour d’arbitrage pour interdire à la Communauté française de Belgique d’aider financièrement des activités culturelles en français en territoire flamand. C’était condamner une série de petites associations à disparaître à plus ou moins long terme. Un génocide culturel pratiqué en catimini, mine de rien. Depuis, nous n’avons pas cessé de réclamer ce qui nous paraît être un droit légitime : ne pas faire l’objet de discrimination en tant que Francophones belges. Sans plus ! Nous avons toujours plaidé pour que soit signé un pacte culturel entre nos deux grandes communautés. Cette démarche, considérée à juste titre, comme un moyen efficace de rapprochement était vivement souhaitée aussi par le Conseil de l’Europe. Rien n’a abouti jusqu’ici.
Des signes de bonne volonté
Mais il y a tant de signes de bonne volonté de la part des Francophones que les Flamands auraient mauvaise grâce à ne pas assouplir leur position de raideur. Le Premier ministre Elio Di Rupo donne l’exemple en apprenant le néerlandais ; la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde est réglée alors que les Flamands la réclamaient en vain depuis des années ; sur les chaînes francophones, des interventions télévisées se font en néerlandais avec sous-titres en français ; de nombreux enfants de Francophones comblent les écoles flamandes à Bruxelles ; des échanges ont lieu au niveau de la culture ; des journaux francophones et flamands collaborent dans un climat amical...
Les choses changent ; il est temps, mais jamais trop tard de s’en apercevoir. L’intelligence consiste en la capacité de s’adapter à des conditions nouvelles. La Flandre ne peut se mettre au ban de l’Europe et des Nations Unies. Déjà le Forum des associations francophones a demandé de "recommander à la Belgique de ratifier la convention-cadre sur la protection des minorités nationales reconnues et de prendre des mesures effectives pour promouvoir la tolérance et le dialogue entre les groupes linguistiques et leurs cultures respectives, notamment par la signature d’un accord culturel entre les communautés francophone et néerlandophone".
Quant à nous, nous avons appris, à bonne source, que notre plainte pour non-respect des droits culturels et du statut de minorité des Francophones de Flandre sera examinée très prochainement à l’ONU. Un travail important se fait dans la confidentialité. S’il devait, comme nous l’espérons, aboutir à une "condamnation" de la Flandre, celle-ci serait déconsidérée dans le monde entier et devrait bien se rendre compte des droits qu’elle bafoue.
Pourquoi ne pas voir les Francophones de Flandre, pratiquement tous bilingues, comme ils sont réellement et non pas tels qu’on s’imagine qu’ils sont ? Faire du passé table rase et préparer ensemble un avenir de prospérité commune...
"Migrants flamands en Wallonie, 1850-2000" par I. Goddeeris et R. Hermans, Ed. Racine