Réagir à la perte d’influence de la langue française
Les travaux collectifs et les discrets conciliabules qui animèrent le Sommet de l’OIF à Beyrouth en 2002 distillèrent le même bruit de fond, le même signal d’alarme : la lune de miel entre la langue française et les grandes institutions internationales avait du plomb dans l’aile ! Qui dit perte d’influence de la langue dit perte d’influence des idées... Laisser les débats se dérouler exclusivement en anglais offre un boulevard aux idées anglo-saxonnes. Le paradoxe est que même au sein des membres de l’OIF, la situation n’était pas toujours favorable à la langue de Senghor, Bourguiba et Molière ! En effet, depuis sa création, l’OIF a accepté en son sein un certain nombre de pays à la francophonie effective … comment dire... disons « light » ! L’Égypte, le Laos, la Guinée Bissau, la Pologne ou très récemment les Émirats arabes unis comportent très peu de locuteurs francophones actifs. Le piège de l’utilisation forcée et forcenée de l’anglais peu à peu se referme sur le principe du piège à loup ! Une fois sa patte prise, dans un grand clac bruyant, bien malin est le loup qui parvient à se dégager ! La parole et la vision anglo-saxonnes ne sont pas, par essence mauvaises ou infondées, c’est le risque de leur domination sans partage qui interroge les tenants du multiculturalisme... l’OIF se devait de réagir.
- De gauche à droite : Stéphane Lopez, représentant de Clément Duhaime, Administrateur de l’OIF ; Dominique Gazuy, Ambassadeur de France au Monténégro ; Milan Roćen, Ministre monténégrin des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne ; Steven de Wilde, Chef de Mission Adjoint de l’Ambassade du Royaume de Belgique à Belgrade (par délégation de la Communauté française de Belgique)
- Ph : Aimablement prêtée par l’OIF
L’Union européenne en première ligne
Presque dix ans après le constat, que s’est-il mis en place afin que le rééquilibrage s’opère ? Stéphane Lopez* est en charge de la réponse : « Depuis 2005, nous finançons des programmes d’apprentissage de la langue française à destination des diplomates et des fonctionnaires en charge des relations multilatérales. Ce programme touche potentiellement tous les pays n’ayant pas la langue française comme langue officielle. En 2005, nous touchions 90 personnes... aujourd’hui 10 000... en Roumanie et Moldavie, en Serbie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Géorgie, à Chypre et même en Andorre. » Les années 2000 ayant vu l’Union Européenne s’élargir vers les pays de l’Europe centrale et orientale, le programme a très vite trouvé ses marques entre Rhin, Vistule et Danube. Au-delà des ministères et des ambassades, les grandes écoles d’administration européennes furent invitées à se joindre au renforcement de la langue française dans la diplomatie. C’est ainsi que le Collège d’Europe à Bruges et les écoles d’administration de Bruxelles, Vilnius, Sofia ou Athènes acceptent de jouer le jeu en offrant une large place à la langue française. Que cela soit sur leur site internet, dans leurs publications propres, sur les étagères des bibliothèques et des médiathèques sans oublier les postes de direction ou de secrétariat de plus en plus ouverts au multilinguisme et à la francophonie.
Cap sur l’Égypte !
Mais aujourd’hui, clin d’œil de l’histoire en marche, un pays hautement symbolique demande à bénéficier du programme : l’Égypte. Elle sera le premier pays non européen. Ce sont les autorités égyptiennes qui ont sollicité l’OIF au début de l’année 2011, juste avant que la place Tahrir ne devienne le symbole d’une nouvelle Égypte. Reconnaissons que « hasard ou mektoub » selon ses croyances, le moment est plutôt bien tombé pour les porteurs de la francophonie ! « L’intérêt pour la langue française est présent en Égypte mais bien peu des 70 millions d’habitants maîtrisent celle-ci. Depuis longtemps nous sommes présents grâce aux faits religieux ou historiques... sans oublier que les jeunes filles de bonnes familles apprenaient le français en plus du piano mais tout cela n’a pas créé un pays vraiment francophone. Ce regain d’intérêt pour la langue française ouvre de belles perspectives et nous devons l’accompagner... » Quand un pays tel que l’Égypte, tant par son histoire, sa démographie, sa situation géographique et ses mutations en cours, affirme son désir de se « francophoniser », nul doute qu’il faille mettre les petits plats dans les grands ! Voilà l’OIF engagée pour un programme de trois ans, touchant 1500 fonctionnaires, début des cours en septembre...
Le menu !
« Comme pour les pays européens, le programme s’adresse en priorité aux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et à celui de la Justice. Nous faciliterons les échanges entre juristes francophones et égyptiens sur des thématiques qui touchent la société civile, le droit au rassemblement, le fonctionnement du monde de l’entreprise ou la régulation sociale... » La maison d’édition parisienne Hachette se charge de la conception d’un manuel « qui s’attache à l’apprentissage de l’écriture de courriels, qui distingue les formules de politesse, qui fournit le vocabulaire pratique pour mener une réunion ou une négociation... » Quand au terrain, au Caire où sont situés les ministères, c’est l’Institut français de Mounira, qui gèrera l’aspect pédagogique. « Notre méthode est toujours la même, quels que soient les pays, nous confions les cours au réseau des Alliances françaises, des Instituts culturels français et parfois, quand la situation le permet, aux représentants de la communauté francophone de Belgique ou du Luxembourg.. Ensemble, nous organisons pour les ambassadeurs, les directeurs généraux et les hauts fonctionnaires des séjours linguistiques en France et en Belgique ou pour faciliter la compatibilité avec leurs emplois du temps nous programmons des cours à domicile. L’objectif est de... sécuriser la langue ! Cela veut dire que beaucoup de ces personnes sont habitués à parler l’anglais ou plutôt le fameux globish. Le monde entier admet l’approximation quand il parle cette langue. Le français, lui, véhicule une image d’exigence et la plupart des personnes qui ne le maitrisent pas correctement s’autocensurent. Nous devons leur donner confiance dans leur expression. C’est pourquoi nous organisons des séminaires thématiques... sur les questions européennes, les questions diplomatiques ou la préparation d’un budget... » Histoire que devant l’obstacle, ces élèves si particuliers, ne fassent pas marche-arrière en quête de la béquille universelle... le globish ! Histoire aussi que le désormais célèbre « dégage », né dans la Tunisie du jasmin, poursuive son petit bonhomme de chemin...
* Stéphane Lopez : Organisation Internationale de la Francophonie - Direction de la Langue française, de la Diversité culturelle et linguistique