POLITIQUE
Malgré une volonté de faire bonne impression sur la scène internationale, le Qatar continue d’attirer la méfiance et de soulever des polémiques. Il lui est reproché de cultiver une certaine ambiguïté quant à ses intentions véritables. Ainsi, le Qatar tente de faire démonstration d’ouverture tant dans la région qu’au niveau international, et les initiatives sont nombreuses : investissements importants dans l’art (en décembre 2010 a été inauguré le Mathaf, le musée arabe d’art moderne), des financements colossaux sont injectés dans l’éducation, dans l’écologie. Mais en même temps, l’image d’état véreux colle à ce petit pays richissime : accusations de financement de groupes islamistes dans le Moyen-Orient, attribution suspicieuse de la Coupe du monde de football 2022, volonté à peine déguisée de faire du prosélytisme en Europe et plus particulièrement dans les banlieues françaises, exploitation des travailleurs du sous-continent indien. Évidemment, le gouvernement qatarien refuse toutes ces accusations et tente de montrer patte blanche.
C’est dans cette logique que le gouvernement a porté plainte contre Florian Philippot, vice-président du parti Front national. L’affaire est assez inhabituelle : le 9 janvier dernier, interviewé sur une chaîne de radio française, Florian Philippot a affirmé que l’Arabie saoudite et le Qatar sont des pays qui « financent l’islamisme qui tue » ; le 9 mars, le Qatar a porté plainte pour diffamation contre le numéro deux du Front national. Cette plainte, surprenante, d’un état contre une personnalité politique a probablement pour objectif de faire taire les procès d’intention permanents. Il n’est pas simple, dans ce flot de suspicions, de différencier ce qui relève de la diabolisation du Qatar des actes réellement malhonnêtes. Dans un entretien (L’Express du 01/06/2015), Nabil Ennasri, directeur de l’Observatoire du Qatar, a rappelé que « le Qatar est l’un des piliers de la coalition qui lutte contre le groupe État islamique. L’EI, d’ailleurs, le lui rend bien et accuse Doha d’être un valet des États-Unis ».
Concernant l’engagement social du gouvernement au sein même du pays, les dirigeants qatariens semblent moins irréprochables. Depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, plusieurs associations ont dénoncé les conditions de travail inhumaines des travailleurs : travail forcé, confiscation des passeports, salaire dérisoire. Conscient de l’image négative que ces critiques véhiculent du pays, le Cheikh Al Thani a reçu une délégation d’Amnesty International. L’une des demandes portait sur l’abolition de la kafala : ce système place les travailleurs sous le joug d’un sponsor. En mai 2015, le Qatar avait annoncé une réforme du droit du travail, mais cette annonce a été tempérée par le Conseil consultatif (la Choura) qui, en juin, a voté contre la réforme et a affirmé qu’il n’y avait aucune urgence pour une nouvelle loi.
- (Flickr - Marc Desbordes)
ÉCONOMIE
Le Qatar est au diapason avec les autres monarchies du Golfe : l’économie prospère et les chiffres de la croissance font, sans doute aucun, rêver le reste de la planète. Depuis 2008, le PIB est en hausse de 10,7 % par an. Pour la période de 2015 à 2019, les prévisions annoncent +5,9 % par an. La croissance attendue est de 7,7 %. Cependant, derrière ces chiffres impressionnants, il y a des défis et des complexités à prendre en compte : une économie stable et pérenne ne pourra reposer que sur une diversification réelle ; si l’activité non gazière a augmenté, son expansion doit devenir une priorité. Des initiatives ont été lancées dans ce sens : le secteur non gazier a connu une hausse de 12 % entre 2008 et 2013, mais au même moment, le secteur des hydrocarbures a effectué une progression de 20 %, ce qui a, de fait, minimisé cette tentative de diversification de l’économie.
Foot, argent et pouvoir
- Le Qatar, prêt à accueillir le monde du football en 2022 ? (Flickr - BriYYZ)
Un autre enjeu est celui de maintenir l’inflation dans un contexte de dépenses importantes. Avec la Coupe du monde de football en 2022, des sommes impressionnantes vont être déboursées afin d’assurer la bonne tenue d’un tel événement. Selon le cabinet Deloitte, les estimations de dépense dans le cadre de ce mégaprojet atteindraient les 200 milliards de dollars, soit 50 fois plus que ce que l’Afrique du Sud avait dépensé en 2010, et dix fois plus que ce que la Russie aura dépensé pour accueillir la Coupe du monde de 2018.
En plus des projets directement liés à la Coupe du monde, plus de 100 milliards de dollars seront consacrés à des projets d’hôtels et d’autoroutes. Le gouvernement qatarien prévoit de financer 40 % de cette somme, les 60 % restants viendront d’investissements privés. Il est assez improbable que la tenue de la Coupe du monde soit un événement rentable pour le pays. À titre de comparaison, en 2014 le Brésil avait dépensé 14 milliards de dollars pour la Coupe du monde, ce qui a eu comme conséquence une augmentation du PIB de seulement 0,2 % et une forte inflation. Au Qatar, on prévoit 4 % d’inflation sur les prochaines années. Mais le contexte des deux pays est radicalement différent : le profit financier est tout à fait secondaire pour le Qatar, l’intérêt de la tenue de la Coupe du monde est d’affirmer sa place dans les relations internationales, plus précisément dans la défense et la sécurité. C’est le soft power dont le pays s’est désormais fait l’expert. Un triple objectif est là et que doit impérativement relever le Qatar : créer un environnement attractif et rassurant pour les investisseurs internationaux, diversifier l’économie et mettre en place une gestion prudente des dépenses gouvernementales.
SOCIÉTÉ
- Cheikha Mozah (Wikimedia Commons - Franck Schulenburg)
Cheikha Mozah : symbole de la modernité
Dans sa logique de s’ouvrir à la modernité, le Qatar a créé la Fondation du Qatar qui fête cette année ses vingt ans. Dirigée par la femme de l’ancien émir et mère de l’actuel, Cheikha Mozah, cette institution a pour objectif de promouvoir l’éducation et les sciences. Si cette fondation est régulièrement l’objet de polémique, c’est parce qu’elle symbolise peut-être l’ambiguïté permanente dans laquelle se trouve le pays : n’y a-t-il pas un paradoxe à promouvoir d’une part le savoir (notamment pour les filles) et en même temps à donner la parole aux prêcheurs intégristes ? En mars 2015, une mosquée a été inaugurée dans l’enceinte de la fondation ; certains prêcheurs invités y ont tenu des discours teintés d’agressivité envers juifs et chrétiens et ont invité à une certaine fermeture ; c’est le wahhabisme le plus strict qui y est prôné. Le succès de cette fondation repose en grande partie sur la personnalité de Cheikha Mozah : cette femme de 55 ans, deuxième épouse de l’ancien émir, mère de sept enfants, représente l’élégance et l’intelligence. Elle sait la force des images et l’importance d’une stratégie de communication bien menée. Ce n’est donc pas anecdotique si elle était présente sur les photographies des médias du monde entier lors de l’attribution de la Coupe du monde à son pays, et si, de façon plus générale, elle se fait l’ambassadrice d’un Qatar moderne à l’étranger. En juillet dernier, dans un article publié dans Arabian business (12/07/2015), la Cheikha a accusé certains médias occidentaux d’hypocrisie envers le Qatar et de détenir des intérêts cachés dans un tel acharnement.