Les Italiens et les nègres, il faut jamais leur faire confiance, même ceux qui sont sympathiques. Dès qu’on a le dos tourné, ils nous font un coup de cochon !
- En vente au Québec - disponible en Europe à l’automne 2015.
L’histoire contée par Philippe Girard s’ouvre sur ce constat intemporel. Elle est couleur sépia et sent le Québec à plein nez, mais il suffit de changer les dates et d’impliquer les Chinois, les musulmans ou les Roms et vous verrez... ça marche aussi ! Le bédéiste s’attaque à l’Universel en peignant un moment clef du 20e siècle de son Québec. La grande noirceur est ce moment qui va de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 50 qui voit la société québécoise se libérer du carcan conservateur religieux alors que les élites, supposées l’être, tentent de s’accrocher à ces valeurs qui ne demandent qu’à s’effriter. Cette étrange période teintée de lutte contre le nazisme, de forte émigration, d’exode rural, de renouveau intellectuel est aussi un moment d’une forte hypocrisie ! Inspiré par son histoire familiale, le bédéiste nous immerge dans les contradictions d’Anna, jeune femme qui perçoit bien le double jeu de l’Église catholique – entre un prêtre fumeurs plutôt sympathique et une religieuse sévère qui se vernit les ongles des pieds –, mais elle ne peut s’affranchir aisément des fausses règles du jeu qui conduisent sa vie. Pourtant, elle ose lire de la poésie en lieu et place de la Bible et elle accepte d’être troublée par de mauvaises pensées... Peu à peu sa naïveté s’éclipse et elle s’interroge : pourquoi tout ce qui est interdit est toujours aussi attirant ?
- Philippe Girard
- Ph : capture d’écran Radio Canada
Sur les étagères des librairies québécoises depuis l’automne dernier, La grande noirceur tombe à pic. Comment chatouiller les religions sans déclencher d’irréparables réactions de haine ? Rarement la question n’a autant été d’actualité. Mais l’auteur n’est pas à son coup d’essai : Philippe Girard, qui a aussi abordé la religion dans des bandes dessinées comme Tuer Vélasquez, rappelle qu’il a déjà reçu des commentaires violents de la part de personnes qui prônaient non pas l’islam, mais le catholicisme. « L’émission de télé Second regard m’avait demandé de faire un dessin d’un prêtre défroqué en Don Quichotte et j’ai été filmé le dessinant. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu des e-mails de plein de gens qui croyaient que j’écrivais un livre sur ce prêtre, qui me qualifiaient d’hérétique et qui faisaient une pléthore de commentaires agressifs », raconte-t-il. « Alors oui, tout ça est inquiétant. J’ai vécu en France quelques mois et, pour moi, c’était le paradis des dessinateurs. Aujourd’hui, je suis obligé de dire que ce n’est plus le cas. Je ne pensais jamais que l’humour pouvait être pris au sérieux à ce point-là et je n’en reviens pas à quel point des gens sont prêts à aller loin au nom de Dieu. » (Ian Bussières — Le Soleil)
Reste que la religion catholique n’est pas seule à en prendre pour son grade. La galerie de portraits est plus subtile. Au fond la société qui accepte qu’un clergé ou qu’un Dieu la guide par le bout du nez n’a-t-elle pas que ce qu’elle mérite ? L’obscurantisme ne prend le pouvoir que si le peuple refuse l’électricité. La grande noirceur est cette période où le Québec a allumé sa Lumière. C’est donc possible... ici ou ailleurs ? Philippe Girard invite le lecteur à ne pas se recroqueviller... écoutons-le !