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Le chuchotement d’un pays à l’agonie

Le chuchotement d’un pays à l’agonie

Congo, une histoire de David Van Reybrouck

Congo, une histoire est le récit douloureux et poignant d’une chute inexorable. C’est aussi un cri rauque avant l’effondrement ou… l’ascension.

10 novembre 2012 - par Ramcy Kabuya 
David Van Reybrouck... un regard affuté !
Ph : ZigZagthèque

Congo, une histoire de David Van Reybrouck est incontestablement un grand livre. Cela vaut non pas pour le volume –même si les sept cent pages en folio sont tout à fait impressionnantes – non pas non plus par son contenu, parce qu’au vu de l’entreprise inattendue de « justification des sources » (p 603) en plus de la bibliographie, on peut croire qu’il n’y a rien de bien nouveau, et que si l’auteur a rassemblé toutes ces sources dans un document unique c’est uniquement pour satisfaire un caprice d’écrivain qui a voulu “écrire ce qu’il avait envie de lire” (597). Et pourtant, il y a une force particulière dans ce livre d’histoire qui se garde bien d’en faire mais également dans ce roman qui s’interdit toute fiction. Ni roman, ni livre d’histoire Van Reybrouck fait preuve d’un talent d’équilibriste avec cet entre-deux qu’il réussi à garder avec tact et brio tout au long de ces quinze chapitres. Il se « dévore comme un roman » peut-on lire dans les réactions dithyrambiques qui accompagnent le pavé. Ce qui dans les habitudes de lecteur se comprend comme une invite à l’emmener dans les transports en commun, à grappiller quelques pages avant de se coucher, à le prêter, etc. choses qu’on ne peut faire avec la monumentale Histoire générale du Congo d’Isidore Ndaywell par exemple. C’est déjà un succès pour un essai.

Congo, une histoire. David Van Reybrouck - Actes Sud

Mais le véritable intérêt de ce livre réside dans cette capacité à mettre le lecteur dans une confidence presque intimiste. Et une fois que l’on a tourné les premières pages, avant que ne passe la surprise de découvrir qu’il a existé jusqu’à très récemment, dans un quartier de Kinshasa, un personnage venu tout droit de l’État Indépendant du Congo, un homme pour qui le nom de Stanley évoquait autre chose qu’un daguerréotype délavé, un casque colonial anglais et une moustache fournie sur un visage grave, l’histoire nous a déjà happé dans sa majestueuse lenteur et nous entraine dans son courant parfois tumultueux, bruyant, déchainé mais résolument serein. Doucement, un pas après l’autre, nous embarquons dans un voyage qui ne nous laissera pas indemne, puisqu’unique.

De petits ruisseaux font des grandes rivières, dit la sagesse. Ce sont les petites histoires, totalement anonymes, ordinaires qui élèvent ce magnifique récit d’une vie. Si bien que ce ne sont pas les personnes interviewées qu’on entend, les témoignages ne valent que parce qu’ils composent la voix intérieure de cet immense pays ; c’est le souffle même de l’actuelle République Démocratique du Congo qui nous parvient de loin en proche. Depuis l’arrivée des premiers missionnaires jusqu’aux cargaisons de Guangzhou ; depuis le tam-tam télégraphique des plaines jusqu’au word wild web, le pays se livre.
Ces confidences n’ont malheureusement rien d’ordinaire ; elles s’entendent comme les dernières paroles d’un mourant. C’est pour ça qu’elles ont une consonance inédite, que chacune des paroles, mêmes la plus évidente, devient précieuse. S’étonne-t-on d’ordinaire que le Congo ait été indépendant avant d’être une colonie ? S’émeut-on d’une «  guerre inexplicable et confuse » fut-elle la Great African War  et qu’elle soit devenue, en terme de victime «  le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde guerre mondiale (p 427) ? L’amateurisme politique, la course au pouvoir ne sont-ils de fait divers dans une Afrique trop mal partie ? Les rapports sur le pillage de ressources attirent-ils les regards ? Les scandaleuses frasques de Mobutu, les inacceptables pique-niques des armées rwandaise et ougandaise dans l’ex jardin de Léopold II, etc. n’ont-ils pas ployé sous un silence complice ?

Parfois, il n’est pas utile de crier pour se faire entendre. En temps extrême les mots se doublent de plomb, s’alourdissent et tombent avec fracas. Chaque révélation est une salve de la bouche de celui qui agonise. Et pour un pays qui tout appris très vite, plus vite que le temps, où tout est au superlatif le bien comme le mal, il y a encore des millier de pages à noircir dans une déflagration atomique.

Congo, une histoire est récit douloureux et poignant d’une chute inexorable. C’est aussi un cri rauque avant l’effondrement ou… l’ascension.
Pour ce livre, Van Reybrouck s’est habilement débarrassé de son costume de journaliste écrivain pour endosser une soutane de prêtre et recueillir une des plus illustres confessions de l’histoire mondiale. Il a probablement signé là, l’œuvre de sa vie. Magistral !

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