Plusieurs semaines, déjà, que je suis rentrée de Constantine. Et pas un seul jour sans que je pense à ce séjour inoubliable. Une jolie parenthèse dans ma vie, juste trois jours…trois journées précieuses, le bonheur de retrouver de francs et chaleureux sourires dans la rue.
Mon retour à Marseille a été difficile, déçue par la tristesse imprimée sur les visages, l’indifférence, et le manque de courtoisie. Alors qu’en Algérie j’ai été admirablement bien accueillie tant par le CCF que par les gens dans la rue, les boutiques, les restaurants. Je ne comprends pas pourquoi j’ai entendu tant de propos de mise en garde avant de partir, comme emporter un grand foulard dans ma valise serait plus prudent… Je n’y ai pas prêté garde, une intuition, la bonne. Toutefois l’objet de ma visite, invitée en tant que créatrice de mode à Marseille par le Centre Culturel Français de Constantine afin que ma collection de robes uniques défile avec d’autres créateurs d’Alger et Paris, me causait du soucis. Autant dans la rue, j’étais prête à faire exception et à troquer mes mini jupes contre des pantalons pour ne pas heurter les esprits, autant je ne pouvais rien changer aux robes de ma collection, soit très décolletées, épaules dénudées, soit très courtes. Comment mes modèles allaient ils être perçus ? Tout est souvent paradoxal concernant la mode féminine en Afrique , qu’il est parfois difficile de déceler les frontières de la pudeur, de la tolérance. Je me suis rappelée d’une robe, particulièrement courte et transparente que j’avais vendue à une femme habitant Dubaï alors que j’avais eu un article de quatre pleines pages dans un magazine de mode de Dubaï, la journaliste avait insisté pour que je ne lui envoie que des photos où les bras seraient couverts.
- En marge d’un défilé à Constantine. Algérie
- Ph : Collection Caroline Hanny
Dès mon arrivée, je me suis sentie bien, comme chez moi, détendue et émue de découvrir le paysage aux alentours de Constantine, étonnée qu’il n’y ait pas d’autres touristes. Au CCF, j’ai rencontré d’autres créateurs de mode travaillant à Alger, nous avons eu plaisir à échanger nos expériences, et particulièrement les problématiques inhérents à chacun. Ils se plaignaient qu’il n’y ait pas de fédérations professionnelles de mode, ni d’écoles spécialisées, certains avaient alors l’impression de manquer de cohérence dans leur collection (ce qui n’était pas le cas) et d’autres souhaitaient s’inspirer davantage de la mode occidentale. Apparemment tout est délocalisé, et beaucoup de produits sont fabriqués en Chine, reste la tradition des broderies qui est bien locale. Chaque jour, nous parlions de la vie des femmes en Algérie, plus on en parlait, plus j’étais perdue, je ne savais que penser, j’avais le sentiment qu’en fait tout était possible, la liberté était un combat de chacune, toute pouvait prendre position dans un sens ou dans un autre, bien sûr rien n’est facile, mais rien ne leur était absolument impossible, et j’en ai eu la preuve lorsque les mannequins du défilé sont arrivés, la plupart était très maquillés, les talons très haut, les robes très courtes et très moulantes, même en France, les filles se permettent rarement d’être habillée de façon si sexy. A partir de cet instant, j’étais plus confiante concernant le défilé, et effectivement le public a très bien accueillie mes robes, j’ai eu beaucoup de compliments et les encouragements des journalistes d’Alger et Constantine. Mon souhait le plus cher est bien sûr de retourner en Algérie.