- Antonine Maillet, Acadienne slammeuse !
- Ph :Arnaud Galy - ZigZag
L’éloge des mots
Écoutez tous, petits et grands,
La vieille complainte que voici,
Enfouie,
Pétrie,
Bâtie
Par les petits,
Durant passé mille ans.
Des mots,
Cent mots,
Cent mille mots,
Encore chauds,
Germés en terre de France.
Mots de semence,
Mots de semaine, mots du dimanche,
Qui chantent et dansent
Puis se déhanchent,
Cent mille mots,
Rien que pour venir
Nous dire
Qu’il fait beau !
Des mots de gorge, des mots de gueule,
Des mots sortis tout seuls,
Tout frais, tout ronds,
Montés du ventre au cœur,
Pour faire rire ou pour faire peur,
Et finir
Par aboutir
Dans le gorgoton.
Des mots bouts-ci, bouts-là,
Le nez en l’air, la tête en bas,
Des mots châtiés ou mots tout croches
Qui doucement s’approchent
Et puis s’accrochent
A des pieds-de-vent
Pour sauter un océan.
Mais comme la terre est ronde,
Ils atterrissent au Nouveau Monde,
Un beau matin
De juin
Entre les sapins,
Et s’y installent comme chez eux.
La mer est verte, le ciel est bleu,
La vie est belle, ils sont heureux.
Que personne ne nous dérange !
On boit, on dort, on mange
À pleine goulée,
Debout, couchés, affalés,
Établis dans nos terres
En bordure de mer
Pour l’éternité.
Mais… un certain jour d’automne,
Alors que personne
Ne soupçonne
Que le temps vient de virer,
Souffle de l’est et du nordet
Un vent du large, un vent mauvais.
Et voilà les mots antiques
Pris de panique
Qui s’affolent,
Tricotent,
Et se collent
Les uns aux autres, face à l’ouragan,
Pour tenter
De sauver
Au moins l’accent.
Ils s’obstinent
Et s’agglutinent
Puis en plein désarroi
Laissent glisser dans la voix
Des laizes de mots
Nouveaux.
- Un public venu écouter du slam, silencieux devant Madame Antonine Maillet !
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
On s’agrippent à la tradition
Aux voyelles, aux consonnes, à l’intonation
Pour ne pas voir s’effacer
Les mots antiques :
Voir le grenier
Déloger l’attique ;
La nuque écraser le cagouette ;
L’étincelle éteindre la beluette ;
L’édredon bousculer la couette ;
Et les pigrouins
Disparaître dans les reins.
Voir même le râteau de l’échine
Tenez-vous bien !
Se transformer en épine
Dorsale.
Et la phale
Ne pensez point à mal, monsieur le cardinal
S’appeler dorénavant
Le devant
Et remplacer le jabot,
Cet ancien mot
Qui désignait,
Ne vous déplaise,
Ces choses que cache le corset.
Enfin la gorge… sortie du got,
Ce radical, ce premier mot…
La gorge avale en une seule goulée
Le gosier
Puis le gorgoton,
Et un peu plus bas, plus profond,
La gargamelle et la gargotière
- Interloquée, attendrie, sans voix !
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
Qui se disaient encore chez nos grands-pères.
Tant de mots partis au vent,
Mais qui sont restés
Fixés
Dans la mémoire
Des belles histoires
D’antan.
Des mots qui chatouillent
Et gargouillent
Et fouillent
Les reins et les cœurs ;
Des mots d’amour
Et de velours
Pour faire le tour
Des p’tits bonheurs.
Mais cette langue noble et vieille
Qui nous échappe,
Voilà qu’en cette nuit de veille,
On le rattrape
Dans un rap
À la mode du pays.
Le pays qui se chante,
Qui nous enchante,
Le pays de la vaillante
Acadie.
Acadie rap, râpeuse,
Rapace et rapporteuse,
Acadie mémoire
Du matin jusques au soir,
Acadie
De sur l’empremier
Enfin rapatriée
Pour entrer
Cette nuit…
Joyeuse,
Tapageuse
Et victorieuse…
En francophonie.
Antonine Maillet
- Entourée par Grand Corps Malade et ses potes d’un soir !
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
- Amadou Lamine Sall, héritier de Senghor.
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
Ma déclaration d’amour à la langue française
Toutes les langues sont belles… mais il en est une, déesse de feu au long corps d’érable, de chêne et de baobab, une langue qui enjambe océans et fleuves, chante sur les avenues, les chemins de brousse, dans des cabarets et des cases. Cette langue est une femme belle aux lèvres de café, aux yeux de sirop, aux mains de henné, à la bouche de vin de palme. Elle porte dans son ventre des enfants de toutes les couleurs. C’est une langue métisse, et le métissage culturel est l’avenir de notre civilisation. C’est une langue universelle, parce que langue de l’esprit et du cœur, langue de partage, langue de confiture et d’amour, de voyage et de bivouac. La langue française est une langue de pétulance au ramage multicolore, une langue de lune de miel et de soupirs, langue d’élégance, langue de cour, langue de frisson et de bravoure, langue de refus, langue de guépard et de gazelle, langue de galop, langue des lois et langue des rêves, langue d’éternité.
Comme telle, se décline également la Francophonie, espace linguistique de l’esprit, espace géographique du cœur. Cet espace est un espace de chair et de sang, ceinture fraternelle au service de la créativité. La langue française est notre maison, la Francophonie est notre famille, notre héritage, passé, présent et avenir confondus.
Il est heureux que la langue française comme l’espace qu’elle symbolise et nourrit portent toutes les deux la marque du féminin. C’est par delà tout l’éloge à la femme, celle par qui le monde naît et renaît. Chez nous en Afrique, la femme est le magister de la terre, car les ronces ne donnent pas de raisins.
En Afrique, nous ne sommes plus locataires de la langue française, mais copropriétaires !
« On ne peut vivre toute une vie avec une langue, l’étirer de gauche à droite, l’explorer et fureter dans ses cheveux et dans son ventre, sans que l’organisme ne fasse sien cette intimité »
Voici donc que le Québec nous reçoit, terre de poésie et d’honneur. « Je me souviens… » ! Nous devons tous nous souvenir, car c’est le passé qui porte le présent ; se souvenir veut dire ne pas renoncer à ce que l’on est. Nous voilà habitants d’un espace de tous les rêves et de tous les dons autour d’une langue que les dieux, les premiers, ont dû parler dés le frémissement de la terre.
La langue française est notre buisson ardent.
Réunis les tisons flambent, séparés ils s’éteignent. La Francophonie est notre grand feu de bois et la langue française ce soleil qui jamais ne se couche de Kinshasa à Port au Prince, de Rabat à Bujumbura, de Ndjamena à Beyrouth, de Tunis à Bamako, du Caire à Abidjan. « Aussi loin que l’on puisse regarder, notre belle langue ne disparaitra pas du paysage linguistique mondial ».
Ce n’est pas que le monde était triste que Dieu créa la France et nous envoya sa langue. C’est parce qu’autour d’une langue trempée, aguerrie, riche de toutes les saisons et venue du fond des âges, nous avions besoin de nous rencontrer, de nous découvrir, de nous parler, de nous connaitre, de nous aimer, de nous respecter, de proposer au monde une fraternité nouvelle, de bâtir ensemble un avenir pour nos enfants. Voila pourquoi nous avons choisi le français et que le français nous a choisis comme maison commune, comme un grand pont jeté sur le monde.
Jamais la langue française ne vieillira, car l’amour ne vieillit jamais. Telle restera la force invincible de la langue française, toujours visible, toujours élégante, toujours souriante, désirée désirante, conquérante, triomphante, toujours poreuse, toujours brûlante.
Nous nous sommes rencontrés et il est trop tard pour se quitter, car la femme est trop belle et nous avons déjà fait tellement d’enfants ensemble.
Notre Francophonie n’est pas un voisinage. Elle est un jardin commun. Nous cultivons le même champ. Nous logeons sous le même toit. Nous habitons ensemble une ville entière qui n’a qu’une seule rue et une seule maison, une seule adresse.
La langue française est devenue un lumineux panier de fruits, un mélange de cauris, de jasmin, de perles, de coquillages, de noix de coco, de jujubes, de magnolias, de bougainvilliers, d’oseille, de roses et de bambou ! Pour dire le parfum unique de notre langue commune.
Mettre en Francophonie les Français de côté et les maliens de l’autre, les Québécois de côté et les congolais de l’autre, c’est mettre les voitures d’un côté et les chauffeurs de l’autre.
En Francophonie, le lait à beau se vanter d’être blanc, le café le fera toujours déchanter, et le café aura beau se vanter d’être noir, le lait le fera toujours déchanter ! C’est cela également notre chance.
- Devant un public bouche bée...
- Ph : Arnaud Galy - ZigZag
La Francophonie est ce couple d’oiseaux dont parlait le poète, un couple où chacun a une seule aile et qui vole ensemble.
Qui pourrait égaler notre abondance de lumière et de force avec cette langue française qui a germé, conquis et charmé dans ses longs voyages la civilisation latine et grecque dont elle est l’enfant ?
Merci à Québec qui nous reçoit avec ce coeur plus grand qu’une cathédrale, en ce mois de juillet, juillet la saison des flamboyants et des manguiers en Afrique, saison que savait si bien chanter Senghor, le maître de langue.
La langue du Québec a toujours été et restera toujours pour moi « le soleil du cœur ». A une langue française habillée de tous les dons, le Québec, Miron à Vigneault, a greffé un rythme et des mots dont on aura du mal à égaler le goût et le parfum jusqu’aux lointains fruits du paradis.
C’est ici au Québec que la langue française regagne la lumière à chaque fois qu’elle prend le temps de s’attarder sur sa grandeur.
Oui, c’est dans les bras du Québec que la langue française fait ses plus beaux enfants !
Puisse la langue française reculer encore l’horizon dans une Amérique où elle s’affiche sans peur et avec panache.
La langue française sera comme un printemps jamais fini, parce que sa légende l’éclaire désormais pour toujours.
Je vous aime peuple d’une langue infinie.
Amadou Lamine Sall
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française