Voix lente, sourire discret, œil pétillant, Gracias Kedote a le goût du concret. Sans manifestations ostentatoires, la jeune femme donne irrémédiablement l’impression de savoir ce qu’elle veut. Ingénieure en électromécanique, diplômée de l’École Supérieure Polytechnique de Dakar, son esprit est du genre cartésien. Dès les premiers mots échangés, Gracias fait passer son attention à l’autre et son implication dans ce qui est appelé parfois avec condescendance « le bien commun » !
Le projet qu’elle défendait à Liège en est la meilleure preuve. Gracias est venue au FMLF avec une ingénieuse idée de CUMA, autrement dit de Chariot d’Urgence Médicale Adapté. Idée loin d’être superflue partant d’un constat radical : le manque criant d’équipement de ce genre dans les hôpitaux publics du Sénégal et encore plus dans les postes de santé reculés loin de Dakar ou Ziguinchor. Pourtant, ce type d’équipement facilitant le transport ou l’attente des malades, voire les premiers soins, est une base indiscutable pour une bonne prise en charge. Infirmiers, chirurgiens et urgentistes seraient les premiers utilisateurs de ces chariots qui leur apporteraient une nette amélioration des conditions de travail. Tout le monde serait gagnant à voir le projet CUMA éclore !
À Dakar, Gracias est entourée d’un noyau fort de 3 personnes aux compétences diverses allant de l’électro-technologie à l’informatique en passant par la communication. Au coup par coup, le cercle s’agrandit afin de recueillir conseils et services... en comptabilité par exemple. Au fait, les réunions de travail se font-elles en wolof ou en français ? « En français, car nous ne maîtrisons pas tous le wolof. C’est normal, un d’entre-nous est Congolais, un autre Nigérian, le troisième est Sénégalais d’origine peule et moi je suis d’origine béninoise. Aujourd’hui j’ai la nationalité sénégalaise et je comprends le wolof, mais je ne peux m’exprimer clairement dans cette langue. De plus, je viens d’une famille francophone et j’ai fait toutes mes études en français, alors travailler en wolof n’est pas possible. Et même si nous parlions tous parfaitement le wolof, nous serions obligés de travailler en français pour l’utilisation des termes techniques ». Un autre écueil qu’il faut, dès à présent, étudier est celui de la formation du personnel qui utilisera les chariots. « Dans 80 % des cas, le personnel aura besoin d’être instruit au fonctionnement de l’équipement. Là, il faudra travailler en wolof ! Dans les régions, les soins sont donnés en wolof et c’est langue du quotidien. Nous devons prendre en compte cette donnée et penser à établir des fiches techniques dans cette langue. »
À Liège, le projet CUMA s’est affiné au fil des rencontres. Il en ressort que, stratégiquement, il serait pertinent de « construire un prototype afin d’aller le présenter aux ONG ou au ministère de la Santé du Sénégal et à partir de là, monter un financement participatif avec un soutien institutionnel. Il apparaît aussi que nous devrions dès à présent penser à la conception de plusieurs types de CUMA répondant à des besoins différents. Nous devons tout mettre en œuvre pour abaisser le coût de fabrication et donc le coût d’acquisition au maximum sinon, nous nous heurterons au manque de moyens financiers du secteur public et nous ne voulons pas penser uniquement au privé... J’ai aussi beaucoup discuté avec des jeunes congolais et camerounais qui m’ont confirmé que les carences sénégalaises se retrouvaient dans leur pays. Ce projet de CUMA pourrait s’étendre, mais... (bref silence)... il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ! » Affaire à suivre...