POLITIQUE
Dure, dure est la transition démocratique en Tunisie. Après l’adoption d’une nouvelle constitution le 26 janvier 2014, la Tunisie espérait respirer et entrer, enfin, dans une ère de stabilité des institutions après des élections législatives et présidentielles programmées au dernier trimestre 2014.
Le chef du gouvernement en place depuis le retrait volontaire (sous la contrainte de la rue) d’Ennahdha, Mehdi Jemaa, ancien ministre de l’Industrie du gouvernement de Ali Larayedh, est chargé de conduire le pays vers ces élections salutaires. Il s’en acquitte avec honnêteté et dignité, se retirant à l’issue des scrutins pour retourner au secteur privé à l’étranger.
- Une société fracturée (Arnaud Galy - ZigZag)
Les élections législatives ont eu lieu le 26 octobre 2014. Le nombre de partis en compétition a nettement diminué en comparaison avec la pléthore des élections de la constituante en octobre 2011 (plus de 180 partis). Mais la violence des discours électoraux, elle, n’a pas baissé. Sur 5 236 000 citoyens inscrits, seuls, 3 579 000 ont voté pour élire, pour cinq ans, une assemblée de 217 députés.
L’enjeu politique et de civilisation était de taille. Il fallait que les électeurs tunisiens tranchent entre le régime plutôt islamiste que voulait imposer Ennahdha et la vision moderniste et modérée de « Nidaa Tounès » (l’appel pour la Tunisie), le parti de Béji Caïd Essebsi. Le statut de la femme tunisienne, privilégié depuis la proclamation du Code du statut personnel par Bourguiba à l’indépendance en 1956, était menacé par une islamisation rampante orchestrée par le parti Ennahdha depuis sa prise du pouvoir en octobre 2011.
Dans cette bataille de civilisation, le rôle des femmes a été décisif puisque Nidaa Tounès, qui a obtenu 37,56 % des suffrages et 86 sièges (devant Ennahdha avec 27,79 % et 69 sièges), doit sa relative victoire au vote massif des Tunisiennes (plus d’un million de voix sur 1 280 000 voix obtenues !).
Le recul de Ennahdha, la déconfiture du parti de Moncef Marzouki (4 sièges), du Courant de l’Amour, El Mahabba, de Hachmi Hamdi (2 sièges, second parti en 2011), d’El Joumhouri de Néjib Chebbi (un seul siège) et d’Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar (aucun siège !) ont été accompagnés de la montée du Front Populaire de Hamma Hammami (15 sièges).
Organisées correctement par l’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections), ces élections ont été reconnues par tous les observateurs nationaux et internationaux comme « honnêtes » et « transparentes ».
- Aimablement prêtée par l’auteur Lofti ben Sassi
Les élections présidentielles, organisées dans la foulée ont eu lieu le 23 novembre 2014 pour le premier tour et le 21 décembre pour le second. Elles ont été marquées, d’abord, par une légère baisse du nombre de votants (3 300 000 contre 3 579 000 pour les législatives), mais, surtout, par le nombre folklorique de candidats ou de prétendants à la candidature (69 candidatures !). L’ISIE en rejette 42 et n’en retient que 27, certains candidats n’ayant pas présenté les 10 000 signatures nécessaires ou versé les 10 000 dinars de garantie, d’autres ayant été accusés d’avoir présenté abusivement des signatures de citoyens qui ne les avaient pas accordées.
Ennahdha n’ayant pas présenté de candidat (croyant qu’il allait remporter haut la main les législatives !), le débat au second tour dans ces présidentielles s’est focalisé entre Béji caïd Essebsi de Nidaa Tounès et Moncef Marzouki dont le parti, le CPR, venait d’essuyer une cuisante défaite aux élections législatives, mais qui a bénéficié d’un soutien effectif, sinon officiel, d’Ennahdha. Le suspense a été haletant, mais le résultat très net en faveur de Caïd Essebsi (1 731 529 voix) devant Marzouki (1 378 513 voix) qui, dans un premier temps, a été un mauvais perdant usant de tous les recours que lui donnait la loi pour contester sa défaite, qu’il finit, pourtant, par reconnaître.
Si les Tunisiens se sont réconciliés avec les urnes avec les élections libres et démocratiques de 2011 et de 2014, ils ont découvert pour la première fois les sondages préélectoraux qui se sont largement rachetés de leurs mauvaises prestations de 2011. En effet, les prévisions des instituts privés de sondages, particulièrement Sigma Conseil, ont, pour les deux élections de 2014, été très proches des résultats réels. Ce nouvel outil fait, désormais, partie du paysage politique tunisien puisque des baromètres mensuels ou trimestriels sont maintenant régulièrement publiés dans les quotidiens.
- Le président Béji Caïd Essebsi rencontre Christine Lagarde du FMI (Flickr - FMI)
Qu’allait faire Caïd Essebsi dont les pouvoirs de président de la République sont limités à la sécurité, à la défense et aux affaires étrangères ? Il avait la possibilité légale de faire nommer par l’Assemblée un président du gouvernement (Premier ministre) issu de son parti majoritaire. Mais le nouveau régime politique, plus parlementaire que présidentiel, et le système électoral à la proportionnelle ont fait émerger une assemblée nationale où aucun parti n’avait une majorité absolue. Caïd Essebsi, décevant en cela de nombreux électeurs, et surtout électrices, choisit une voie prudente, celle de l’entente tactique avec Ennahdha. Nidaa Tounès et Ennahdha forment donc une coalition élargie à deux autres partis, l’Union Patriotique libre (16 sièges) et Afek Tounès (8 sièges). Du règne de la « troïka » de 2011 à 2014, la Tunisie est donc passée à celui du « quartet ».
Avant même la passation entre le président provisoire sortant (Moncef Marzouki, élu indirectement par l’Assemblée constituante) et le nouveau président élu au suffrage universel, Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance de Vérité et Dignité (IVD), institution chargée de la Justice transitionnelle, provoque un scandale en envoyant de vulgaires camions déménager les archives de la Présidence de la République. Les services de sécurité présidentielle l’en empêchent. S’ensuit une bataille juridique par Tribunal administratif interposé pour interpréter le texte fixant l’étendue des prérogatives de l’IVD dans la détermination des responsabilités en matière de violations des droits de l’homme commises entre 1955 et 2013. Entre la « possession » des archives et la simple « consultation » de celles qui concernent les seules affaires dont elle est saisie, l’affaire finit par un accord à l’amiable où l’interprétation restrictive l’emporte.
En janvier 2015, Caïd Essebsi choisit Habib Essid, un commis de l’état indépendant, comme président du gouvernement. Celui-ci, après une première liste repoussée, finit par obtenir le vote de confiance de l’Assemblée des Représentants du peuple le 5 février pour un gouvernement formé de membres de Nidaa Tounès, de l’Union patriotique libre, mais aussi d’Ennahdha et d’Afek Tounes, en plus des personnalités indépendantes.
La cohabitation au pouvoir du quartet s’avère, à l’exercice, aussi inconfortable que celle de la troïka. Malgré leur baisse, les grèves n’ont pas cessé, empoisonnant le quotidien des Tunisiens, particulièrement celles des enseignants du secondaire et du primaire, ces derniers refusant même de faire passer les examens du dernier trimestre aux élèves.
La machine économique ne redémarre pas. L’économie parallèle prospère et représente près de 40 % du PIB. Les investisseurs étrangers quittent le pays, excédés par les grèves et les revendications salariales. Le respect de l’autorité et du travail s’effrite. Le terrorisme s’est profondément installé dans les montagnes de Kasserine et de Chambi, à la frontière tuniso-algérienne, malgré une solidarité agissante de l’Algérie. Les attentats du musée du Bardo (18 mars 2015, 22 victimes, dont 21 touristes étrangers) et d’un hôtel de Sousse (26 juin 2015, 38 morts, en majorité des Britanniques) ont achevé l’industrie touristique, déjà moribonde depuis 2011. De nombreux hôtels ferment, mettant au chômage des centaines d’employés. L’anarchie qui règne en Libye menace directement le pays, inondé de produits de contrebande et d’armes. La bataille des mosquées illégales ou menées par des imams salafistes n’en finit pas, malgré quelques succès de reprise en mains.
Dans cette atmosphère de morosité et de pessimisme, les joutes oratoires continuent de plus belle entre les partis, détachant de plus en plus les citoyens de la vie publique, noyés qu’ils sont dans leurs ennuis de vie quotidienne et de baisse du pouvoir d’achat.
La reconstruction du pays et des institutions s’avère plus difficile que ne laissait prévoir l’euphorie des premiers jours de la Révolution du 14 janvier 2011.
- Au Bardo comme partout le tourisme est en berne (Arnaud Galy - ZigZag)
ÉCONOMIE et SOCIÉTÉ
Difficile aura été l’année économique en Tunisie entre juin 2014 et juin 2015. Les difficultés politiques et sécuritaires qui jalonnent encore la difficile transition démocratique du pays ont pesé de tout leur poids sur l’activité économique. L’espérance de croissance économique à 3 ou 4 % (contre 2,6 % en 2013) a été largement revue à la baisse pour n’atteindre que 2,3 % en 2014 ou même chuter à 1 % en 2015.
Frappée de plein fouet par les deux attentas du Bardo (18 mars 2015) et de Sousse (26 juin 2015), le tourisme tunisien qui représente 7 % du PIB du pays et qui fait travailler directement et indirectement près de 12 % de la population active (400 mille emplois), est entré dans une période de turbulences. N’était l’apport des tourismes algériens qui, solidaires de la Tunisie, sont venus en masse, en août après le mois de Ramadhan, la pleine saison de l’été aurait été une catastrophe. De 6 millions de touristes en 2010, la Tunisie n’a pu attirer en 2014/15 que 4 millions.
La chute des apports touristiques a, en fait, commencé en 2011, juste après la révolution de janvier. Mais son accentuation a été accélérée par le climat de non-sécurité et les attentats terroristes qui ont jalonné l’année.
À cette perte, s’ajoute celle du secteur des phosphates, paralysé par des grèves quasi permanentes et des sit-in qui ont même bloqué le trafic ferroviaire. Le secteur des phosphates tunisiens contribuait aux alentours de 4 % au PIB et à 9 % des exportations. Entre 2011-2012, il a accusé un manque à gagner de 2 milliards de dinars en raison des différents débrayages et arrêts de production. Le Groupe Chimique Tunisien et la Compagnie des Phosphates de Gafsa ont vu leurs effectifs tripler de 9000 à 27 000 emplois, leurs charges également, alors que la production a chuté de 80 % !
À ces manques à gagner s’ajoute un déficit énergétique qui n’arrête pas d’augmenter en raison de la baisse de la production locale de pétrole (généralement exportée car de bonne qualité). Selon les données du ministère de l’Industrie et des Mines, l’indice de l’indépendance énergétique du pays a baissé de 62 % à 56 % au cours des 8 premiers mois de 2014. La demande en énergie primaire, en revanche, ne cesse de croître. Elle est passée de 6 136 000 TEP à la fin d’août 2014 à 6 625 000 TEP à la fin du même mois de 2015.
Les deux années 2013 et 2014 ont été marquées par un débat houleux sur l’éventualité d’exploiter les gaz de schistes présents au centre (Région de Kairouan) et au sud Tunisie (Région de Ghomrasen et Remada).
- (Arnaud Galy - ZigZag)
Créée par l’État en 1970, une Caisse Générale de compensation intervient en subventionnant pour un tiers les produits de base du couffin de la ménagère (huile de graine, pain, farine, dérivés céréaliers comme la semoule et le couscous, sucre) et, pour les deux autres tiers, le prix des hydrocarbures. À titre d’exemple, la baguette de pain qui revient à 0, 272 dinars n’est vendue au public qu’à 0,190. Elle engloutit ainsi près de 15 % du budget de fonctionnement de l’État !
Depuis, le déficit de cette caisse ne cesse de se creuser. En octobre 2013, une première mesure d’austérité a frappé les industries énergivores qui ne seront plus subventionnées qu’à hauteur de 50 %, dans une première étape, en attendant une future suppression totale de la subvention. Les experts planchent sur une incontournable réforme de ce système de compensation. Mais comment faire pour que les subventions ne profitent qu’à ceux qui les méritent, tant au niveau du pain qu’à celui de l’essence ?
En attendant, le coût de la vie ne cesse d’augmenter avec une inflation moyenne de 5 à 6 % et, par conséquent, le pouvoir d’achat des citoyens chute à vue d’œil. Ceci expliquant cela, les revendications sociales pour une augmentation des salaires, dans le privé comme dans le public, ne cessent de perturber la vie économique par des grèves intempestives dans tous les secteurs.
L’augmentation des salaires, primes spécifiques et autres avantages financiers figure en tête des revendications, suivie par l’amélioration des conditions de travail et celles des relations professionnelles. Ces grèves ont même concerné les agents de la sécurité.
- En attendant de partir dans la palmeraie - Tozeur (Arnaud Galy - Zigzag)
Malgré une baisse des grèves de 28 % par rapport à 2014, le climat social est très perturbé par ces grèves qui, dans les transports ou l’éducation, prennent en otages les citoyens qui expriment leur ras-le-bol dans les médias.
L’importance prise par la société civile après la révolution (près de 3000 nouvelles associations ont vu le jour, certaines peu orthodoxes dans leurs sources de financement et objectifs) relaye et amplifie, dans la rue, dans les médias et, surtout, à travers les réseaux sociaux, ces mouvements revendicatifs. Plus rien n’échappe à la vigilance des associations, que ce soit l’absentéisme des députés, les marchés publics ou les projets de loi et les plans de développement, surtout au niveau des régions.
Cette nouvelle conscience civile et civique est une véritable bouffée d’oxygène dans une atmosphère politique gangrénée par la polémique et les surenchères verbales entre partis au pouvoir et opposition. Cependant, elle exaspère parfois en dépassant son niveau de compétence par la revendication d’être systématiquement associée à tous les domaines, surtout quand il s’agit d’experts auto proclamés.
Inquiété par le terrorisme, exaspéré par les querelles verbales des acteurs politiques et sociaux et les grèves incessantes, gêné dans sa vie quotidienne par la hausse du coût de la vie, le moral des Tunisiens est au plus bas. Le baromètre du moral des Tunisiens, publié par Sigma Conseil en janvier 2015, révèle que seuls 48.7 % des enquêtés pensent que le pays va dans la bonne direction (contre 38,2 % dans la mauvaise et 13,1 % d’indécis). Depuis cette date, il ne cesse de se dégrader.
CULTURE
Avec 193 millions de dinars, le budget alloué au département de la culture pour 2015 a évolué de 8,52 % par rapport à 2014 (181,809 millions de dinars), année où il avait brutalement chuté. Pour pallier le manque de subventions étatiques (l’État, c’est un fait, est le principal bailleur de fonds de la culture en Tunisie), le ministre sortant, Mourad Sakli (il a été remplacé en février 2015 par l’universitaire Latifa Lakhdhar dans le nouveau gouvernement de Habib Essid), a fait intégrer dans la Loi des finances complémentaires de l’été 2014 une nouvelle mesure qui permet une déduction fiscale pour les sociétés mécènes soutenant des activités culturelles. Le déblocage du Fonds d’encouragement à la production intellectuelle et à la propriété intellectuelle et littéraire, qui a accumulé depuis sa création des recettes (non distribuées) de 24 millions de dinars, a été également annoncé avec, enfin, un début de définition des critères et procédures d’attribution.
Le feuilleton de l’énorme chantier non achevé de la Cité de la Culture, un projet de prestige de Ben Ali à l’arrêt depuis 2010, après la rupture du contrat avec la société tchèque qui en avait la charge, semble également sur le point de s’achever avec un accord de principe conclu avec une société arabe pour l’achèvement du projet.
Un portail culturel est, enfin, en cours d’achèvement avec une future base de données sur le patrimoine. De son côté, l’Organisme Tunisien des Droits d’Auteur et des Droits Voisins a mis en ligne son site en vue de propager la culture de la propriété littéraire et artistique (http://www.otdav.tn).
Sur le plan de la programmation culturelle traditionnelle, festivals et manifestations d’été se sont déroulés sans incident en été 2014. La 31e édition de la Foire internationale du Livre, organisée du 27 mars au 5 avril 2015 au parc des expositions du Kram, a retrouvé ses origines en barrant le passage devant les livres de l’islamisme radical et en interdisant les stands d’encens et de produits et publications salafistes qui avaient terni l’enceinte de la foire.
Une coopération étroite est à signaler au cours de cette période entre les ministères du Tourisme et de la Culture qui a vu de nombreuses manifestations communes réalisées pour redorer la destination Tunisie. L’une des plus originales a été la mise en avant du site du tournage de Star Wars avec l’organisation des « Dunes électroniques ». Du 20 au 22 février 2015, la seconde édition ce festival musical de Nefta a connu un grand succès sur le site de Mos Espa, lieu mythique où fut tourné le film « Star Wars ». Un décor de cinéma en plein désert, avec la musique et un ciel étoilé avec la participation d’artistes du monde entier.
Dans la bataille contre le terrorisme, l’éducation et la culture sont considérées par les élites comme les meilleurs remparts contre l’obscurantisme et le fanatisme. Artistes et intellectuels appellent à une véritable stratégie dans ces secteurs à même de préserver les jeunes contre le prosélytisme des salafistes et l’attraction du Djihad terroriste.
- Journalistes en Tunisie... (Arnaud Galy - ZigZag)
Médias
Entre liberté et dérives des médias
Le seul apport unanimement reconnu de la « Révolution » du 14 janvier 2011 a été la liberté de la presse. À cela s’ajoute, et c’est important, la crédibilité retrouvée et la réconciliation des médias tunisiens avec de leurs publics, au point où les chaînes satellitaires arabes comme Al Jazeera, qui avait grande audience avant 2011, ont été marginalisées.
Journaux, sites web et radios télévisions privées ont poussé comme des champignons, la plupart du temps sans aucune étude de rentabilité économique ou d’équipes rédactionnelles professionnelles. De nombreux quotidiens (le chiffre est passé de 9 quotidiens à 19 en quelques mois) et périodiques sont parus, dont la plupart n’ont pas vécu plus de deux ans. Les sites électroniques d’information, eux, se sont engouffrés en masse dans le vide juridique existant pour pulluler de leur côté. En audiovisuel, et dès son démarrage en mars 2011, l’INRIC (Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication) s’est positionnée contre la situation héritée de l’ère Ben Ali en élargissant le champ des radios et des télévisions à de nombreux projets privés et régionaux et en légalisant certaines chaînes qui émettaient par satellite sans autorisation officielle ou même des radios qui avaient piraté des fréquences. Débats et autres talk-shows occupent l’access prime time et même le prime time de nombreuses chaînes de télévision, publiques et privées, sacrifiant souvent le travail de terrain et d’investigation à la facilité d’inviter porte-parole autorisé ou un « expert » réel ou supposé.
C’est là où le bât blesse. En effet, au niveau des pratiques, les jeunes journalistes et animateurs, surtout en radio et en presse électronique, grisés par le direct et par la nouvelle liberté de parole, ont vite confondu liberté de presse et non-respect des règles professionnelles et déontologiques. D’où de multiples dérives accentuées par le nouvel esprit de concurrence entre privés et la course au buzz et à l’audimat. Ces dérives ont mis en pièce la nécessaire vérification des sources (abus très peu professionnel de l’utilisation des réseaux sociaux, en particulier Facebook, comme sources), le respect de la vie privée, celui de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction, et sont allés, en mars 2015, jusqu’à imiter la voix du président de la République pour extorquer une interview exclusive ! De nombreux procès ont suivi ces dérives, qu’ils soient intentés par des personnes, des partis ou des associations. Mais, comme on dit, la liberté de presse charrie ses propres dérives !Pour réglementer ce champ des médias devenu trop « anarchique » à l’italienne ou à la libanaise, deux décrets-lois 115 et 116, concoctés à la hâte et avec un esprit « révolutionnaire », parus en novembre 2011, ont tenté, en vain, de baliser le terrain, respectivement pour la presse écrite et pour l’audiovisuel. Mais l’instance de régulation de l’audiovisuel, la HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle), prévue par le décret-loi 116 du 4 novembre 2011et composée de neuf membres, ne verra le jour qu’en mai 2013 pour affronter une pléthore de demandes de radios et de télévisions (jusqu’à 70 demandes) et de nombreuses chaînes « pirates ». Elle est allée jusqu’à procéder à la saisie des équipements des établissements audiovisuels diffusant d’une manière illégale. À septembre 2015 (mais ce n’est pas encore fini), elle a autorisé 35 radios et 12 télévisions après signature d’un nouveau cahier des charges.
La presse écrite, elle, est entrée dans une véritable ère de récession : méventes, baisse des revenus publicitaires, concurrence des médias électroniques et des réseaux sociaux, évolutions technologiques. De nombreux titres mettent la clé sous le paillasson ou licencient des journalistes, au grand dam du Syndicat National des Journalistes Tunisiens qui se positionne de plus en plus comme un acteur qui pèse sur le secteur.
Devant la réalité du terrain, tout le monde s’est finalement accordé sur la nécessité d’amender ces deux textes de novembre 2011 et de créer un Conseil de la Presse pour les médias papier et électronique. La nouvelle constitution tunisienne, votée en janvier 2014, a prévu une nouvelle Haute Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle (HARCA) dont les membres doivent désormais être élus par l’Assemble nationale des Représentants au lieu d’être proposés par différentes corporations. Ces deux chantiers sont toujours en cours en juin 2015.
ENLÈVEMENT
En Libye, deux jeunes journalistes tunisiens, le blogueur Sofiène Chourabi et le photographe Nadir Ktari, ont été kidnappés dans la région d’Ajdabiya, en septembre 2014. Depuis, on ne sait rien sur leur sort. Annonces de leur exécution et fausses nouvelles de leur libération se succèdent, sans égard pour leurs malheureux parents, mais, heureusement, sans ébranler la solidarité de leurs confrères.
- (Arnaud Galy - ZigZag)
DISPARITIONS
De nombreuses disparitions d’hommes et de femmes de culture ont marqué cette année en Tunisie.
18 avril 2014 : Disparition à l’âge de 80 ans de Habib Boularès, journaliste, écrivain, ambassadeur et ancien ministre de l’Information, de la Culture et des Affaires étrangères. Il a été, entre autres, le premier directeur de l’ex-Ecole Internationale de la Francophonie à Bordeaux (EIB). Sa participation au mouvement national d’indépendance l’a fait exclure des lycées de Tunisie par le colonisateur français. Il a dû se réfugier en Égypte d’où il a continué la lutte.
Journaliste au quotidien arabophone Assabah, puis directeur d’El Amal, le quotidien du parti de Bourguiba en 1960, il devient directeur général de la Radio Télévision Tunisienne (RTT) de 1962 à 1964. En juin 1970, Bourguiba le nomme ministre de la Culture et de l’Information, poste dont il démissionnera en soutien aux « libéraux » d’Ahmed Mestiri au Congrès du parti socialiste destourien de Monastir. (Bourguiba a redressé la barre en sa faveur dans un second congrès de Monastir). Il s’installe alors à Paris et collabore à l’hebdomadaire Jeune Afrique de Béchir Ben Yahmed.
En 1981, il est de retour en Tunisie où il est élu à la Chambre des députés dont il deviendra le président en 1991. Sa carrière politique se poursuit dans plusieurs ministères (Information et Culture, Affaires étrangères, Défense) après le renversement de Bourguiba par Zine el -Abidine Ben Ali en novembre 1987. Il sera aussi secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA), entre 2002 et 2006.
Auteur dramatique (Mourad III et Le temps del Bouraq), il a couronné son œuvre, après une célèbre biographie de Hannibal (Cérès, 2000), par une magistrale Histoire de la Tunisie, de la Préhistoire à la Révolution, parue chez Cérès Éditions en 2011.
6 novembre 2014 : Décès de Abdelwahab Meddeb, écrivain, poète, philosophe et producteur radiophonique. Né à Tunis en 1946, il a poursuivi des études de lettres françaises, d’abord à Tunis, ensuite à Paris à la Sorbonne. Spécialiste et traducteur des grands maîtres soufis comme Ibn Arabi ou Al Hallâj, il a été le chantre d’un Islam des Lumières et de la lutte contre l’obscurantisme et le terrorisme qu’engendre l’ignorance du véritable Islam. Il a enseigné la littérature comparée dans plusieurs universités du monde (Nanterre, Yale, Berlin). Fondateur de la revue Dédale, il a dirigé et animé, de 1997 à 2014, sur France Culture, l’émission hebdomadaire « Cultures d’Islam » et a été chroniqueur sur Radio Méditerranée au Maroc. Il a laissé derrière lui une œuvre magistrale d’une trentaine de livres dont les plus connus sont Talismano (1979), Tombeau d’Ibn Arabi (1987), Déserts (1998), La Maladie de l’Islam (2002) et Contre-Prêches (2006).
Soirée d'hommage à Abdelwahab Meddeb le 26... par franceculture
29 mars 2015 : Disparition à l’âge de 62 ans de l’homme de théâtre Ezzeddine Guennoun, fondateur et animateur de l’espace El Hamra. Guennoun a repris et restauré une ancienne salle de cinéma en ruines pour en faire un théâtre, un lieu de formation d’acteurs et un espace d’animation culturelle qui a redonné vie à la rue Al Jazira au centre-ville de Tunis.
Metteur en scène et acteur, diplômé du Centre d’Art Dramatique de Tunis (1976) et de la Sorbonne (1980), il a fondé le Groupe Organique Tunisien qui a produit de nombreuses œuvres théâtrales dont Tyour Ellil (1996), Gamra Tah (1992), The End (2009) et Monstranum (2013), une magistrale pièce de Leïla Toubal contre l’obscurantisme et l’islamisme radical.
L’espace El Hamra a, entre autres, abrité le Centre Arabo-Africain de formation et de recherches théâtrales.
Premier avril 2015 : Décès de Fella, la grande dame de la mode tunisienne à l’âge de 88 ans. De son vrai nom Samia Ben Khalifa, elle a mis en valeur dans ses créations l’artisanat tunisien dans ses défilés de mode qui ont sillonné les cinq continents. Surnommée « la Coco Channel de Tunisie », elle a été pionnière dans la réhabilitation et la modernisation de l’artisanat tunisien en le mettant au goût du jour. Dès les années 60, elle a lancé une ligne de costumes féminins inspirés du patrimoine en utilisant surtout le « Haïk » (tissage traditionnel).
Fella, célèbre pour ses boutiques éponymes à Tunis et à Hammamet, a ainsi contribué à sauver plusieurs corps de métiers comme les brodeuses au savoir-faire séculier.
En 1985, Samia Ben Khalifa a été consacrée doyenne des femmes-chefs d’entreprises au Maroc. En 2000, elle a obtenu le prix de l’UNESCO ainsi que l’emblème international au 47e congrès mondial des femmes-chefs d’entreprises en Belgique.
12 Juin 2015 : Décès de Alain Nadaud d’une crise cardiaque à l’âge de 66 ans alors qu’il était en mer sur son bateau avec sa femme, l’artiste verrière tunisienne Sadika Keskès.
L’auteur d’Archéologie du zéro (Denoël, 1984), Le Livre des malédictions (Grasset, 1995), Auguste fulminant (Grasset, 1997), et Dieu est une fiction (Safran, 2014), a dirigé le bureau du livre de l’Institut Français de Tunisie et avait choisi de se marier et de rester en Tunisie depuis. Alain Nadaud a collaboré avec Sollers dans les premiers numéros de sa revue l’Infini puis il a fondé sa propre revue Quai Voltaire Revue Littéraire (1991-1994).
- Peut-être dangereux...
INSOLITE
Un lac spontané dans le désert tunisien
Juillet 2014 : Un lac est spontanément apparu de nulle part près de Gafsa dans une région habituellement sèche !
Découvert par des bergers, il déconcerte les scientifiques et a été vite baptisé Gafsa Beach. Devenu une véritable attraction touristique, il fait le bonheur des jeunes qui viennent s’y baigner malgré les contre-indications des scientifiques qui, en raison des gisements de phosphates proches, craignent une éventuelle contamination par des résidus radioactifs.
On estime que cette étendue d’eau, qui a depuis tourné vers la couleur verte en raison des algues, pourrait contenir plus d’un million de mètres cubes sur une superficie d’un hectare.
Jusqu’ici, aucune explication officielle n’a été donnée sur la façon dont ce lac est apparu, mais certains experts estiment qu’il aurait été causé par les eaux souterraines remontant à la surface à cause de l’activité sismique.
Ph : http://documystere.com/histoires-legendes/gafsa-beach-mysterieux-lac-en-tunisie/