Le Printemps arabe a probablement été la première manifestation de cette nouvelle expression de la démocratie qui utilise Internet et les réseaux sociaux pour se faire entendre. Le taux de pénétration élevé d’Internet en Tunisie et en Égypte explique probablement le grand rôle qu’il a joué dans la chute des régimes en place. Mais au-delà de l’accès, c’est une toute nouvelle dynamique qui s’est dévoilée avec ces « révolutions 2.0 » et l’exemple ne cesse de faire des petits depuis, particulièrement – et contre toute attente – dans les pays du Sud.
À l’exception de l’Afrique du Nord, les pays d’Afrique continentale sont très mal reliés au réseau mondial et il est difficile d’imaginer Internet y jouer un rôle politique important. La relation de l’Afrique à Internet change toutefois, année après année, et ce, assez rapidement. On assiste d’ailleurs déjà à certains changements et à l’incursion de la politique africaine sur Internet, même dans les pays à faible taux de pénétration, notamment grâce aux réseaux sociaux accessibles sur téléphone portable.
De fait, le Web, particulièrement avec les réseaux sociaux, rejoint l’organisation sociale africaine axée autour de la communauté. Internet permet également une certaine abolition de la hiérarchie, paradoxalement très présente dans les rapports sociaux, facilitant l’inclusion et la participation, mais aussi les échanges. « Face aux dysfonctionnements des pouvoirs en place ou des médias traditionnels, les citoyens s’informent, s’organisent et s’entraident, via les réseaux sociaux. »
Twitter est par ailleurs désormais la première source d’information pour les jeunes en Afrique. Les réseaux sociaux sont un bon moyen pour les ramener à la politique, dont ils sont les premiers à être exclus et à se détourner. Les nouvelles technologies donnent ainsi la voix à une jeunesse souvent marginalisée, qui a très souvent peu de tribunes d’expression dans la vie citoyenne.
Ces dimensions amènent un terrain propice à une participation citoyenne accrue sur Internet en Afrique. Les initiatives sont en ce sens nombreuses, et malgré les moyens limités, elles se mettent en place contre vent et marée, s’inscrivant dans une lignée de changements qui ne fait sans aucun doute que commencer.
Trois exemples de la participation citoyenne qui s’exprime sur Internet dans les pays de la Francophonie en Afrique.
Dialogue avec les dirigeants : l’exemple de Reforme.ma au Maroc
- Ph : Flickr - Link576
Les réseaux sociaux ont tout d’abord permis d’établir des plateformes de dialogue avec la population, offrant de nouveaux canaux de communication pour l’exercice de la démocratie. Les dirigeants africains, s’ils ne sont pas nécessairement les plus populaires, sont par contre parmi les plus actifs sur Twitter. Les dirigeants des pays francophones sont cependant encore loin derrière leurs voisins anglophones en matière de présence sur les réseaux sociaux. Ainsi, malgré un taux de pénétration plus de deux fois plus élevé au Sénégal qu’au Rwanda, le président Macky Sall est loin derrière son homologue Paul Kagamé en matière de nombre de followers et d’influence sur le réseau. On remarque toutefois de plus en plus une volonté d’utiliser ces nouveaux outils de communication pour instaurer une gouvernance de proximité. La présence des politiciens sur Internet leur permet non seulement d’informer sur leur programme politique, mais offre aussi des canaux de communication interactifs.
Cependant, il ne suffit pas d’attendre que les gouvernements mettent en place ces espaces d’échanges entre gouvernants et gouvernés. Au Maroc, ce sont plutôt de jeunes citoyens qui ont mis en place une plateforme pour faire entendre leur voix.
Revenons au début de l’année 2011, dans le contexte effervescent qui prépare le printemps arabe, les Marocains descendent dans la rue pour dénoncer l’injustice sociale, le chômage, la corruption, et réclamer une vraie monarchie constitutionnelle. C’est ainsi que le roi Mohamed VI annonce en mars le lancement d’une réforme constitutionnelle. Quelques jours plus tard, le site Reforme.ma voit le jour, une plateforme participative (aujourd’hui fermée) cofondée par Tarik Nesh-Nash et Mehdi Slaoui Andaloussi. Cette initiative va permettre à des milliers d’internautes marocains de contribuer à l’élaboration de la nouvelle constitution. L’un des principaux objectifs de la plateforme est d’informer les jeunes, mais surtout de les inciter à lire et commenter la constitution de leur propre pays. Les commentaires et propositions des internautes ont été soumis à la commission consultative chargée de la réforme de la Constitution, où l’on estime qu’environ 40 % de ces contributions ont été prises en compte dans la nouvelle constitution. Cette première initiative au Maroc a par la suite donné naissance à deux autres projets collaboratifs, d’abord Loussna.ma (dépenses transparentes) qui consiste à divulguer les dépenses publiques, et Mamdawrinch.com (nous ne nous laisserons pas corrompre) consacré cette fois-ci à la lutte contre la corruption.
Se constituer en communauté virtuelle s’est avéré pour la jeunesse marocaine une solution à la fois efficace et constructive pour accélérer le changement social déjà à l’œuvre. En réduisant l’influence de groupes d’intérêts qui font pression sur le gouvernement, et en levant le tabou de la corruption, la jeunesse marocaine tente de peser en proposant un nouveau système de prise de décision, plus fiable, plus respectueux de l’avis des citoyens et plus transparent. La jeunesse marocaine s’est ainsi donné les moyens pour que l’avis de la population soit dorénavant mieux pris en compte.
- Ph : Aimablement prêtée par Marie-Anne O’Reilly
Accès à l’information et transparence du processus démocratique : Sunu2012 au Sénégal
- Ph : Flickr - Link576
Une autre caractéristique influant sur la participation citoyenne sur Internet réside dans un plus large accès à l’information. D’une part, les gouvernements sont de plus en plus contraints de partager leurs documents politiques, sous les pressions de la communauté internationale et des populations. Bien qu’encore timide, la tendance s’installe peu à peu et est certainement appelée à prendre de l’ampleur. Ainsi, plusieurs ont trouvé avec Internet un moyen de contrer la corruption sur le continent, un meilleur accès à l’information et aux données entraînant parallèlement une reddition de compte de la part des dirigeants. De la même façon, la liberté d’expression sur Internet donne accès à une multitude de points de vue différents, alternatifs au discours dirigeant, et permettant aux citoyens d’être mieux informés et surtout plus apte à porter son propre jugement critique. Cette appropriation de l’information par les citoyens leur permet ainsi de mieux s’impliquer au niveau politique, en faisant entendre leur voix et en militant pour des changements.
Ainsi, en 2012, le Sénégal suivait la voie en se démarquant avec ses élections qui annonçaient la deuxième alternance politique de l’histoire du pays. Ce n’est pourtant pas les résultats au suffrage, ni même le processus électoral, qui ont marqué un tournant pour ce pays de longue tradition démocratique, le seul en Afrique subsaharienne n’ayant jamais subi un coup d’État. Ce qui a fait la particularité de ces élections, c’est davantage l’implication citoyenne sans précédent, particulièrement de la jeunesse, qui a trouvé sur Internet un moyen privilégié de participer au processus démocratique. Cette action citoyenne fortement mobilisatrice s’est surtout articulée autour de la plateforme web Sunu2012 , qui se voulait un véritable carrefour de renseignement sur les élections, les candidats à la présidentielle et leurs programmes respectifs, mais aussi une vitrine d’expression pour les citoyens.
Au-delà de son caractère informatif, la particularité de Sunu2012 est la « veille » démocratique qu’elle a installée, notamment au niveau des réseaux sociaux. Les internautes sénégalais se sont ainsi transformés en e-observateur en partageant sur le Web toute information d’intérêt public, assurant ainsi un rôle de sentinelle de la démocratie tout au long de la campagne électorale, permettant au passage de dévoiler certaines anomalies dans l’organisation du scrutin.
L’utilisation de Twitter a également permis aux citoyens de couvrir les manifestations et d’informer en temps réel sur le déroulement des événements à partir de leur téléphone portable. Ils pouvaient ainsi commenter directement ce qui se passait sur les lieux, afin d’éviter toute censure de la part de la presse ou des politiciens. Ces mêmes téléphones portables permettaient de filmer et de prendre des photos pour ensuite les partager via les médias sociaux, donnant ainsi accès à de nouveaux points de vue qui n’étaient pas nécessairement représentés par les médias. Cette information citoyenne a permis dans certains cas de rectifier une mauvaise information véhiculée par les médias traditionnels, offrant un point de vue plus complet des événements.
Les élections terminées, Sunu2012 n’a pas pour autant fermé ses portes, continuant son travail de veille démocratique au Sénégal, mais surtout faisant des émules un peu partout en Afrique, avec un projet semblable en Guinée et un autre sur la formation d’un réseau panafricain de blogueurs activistes pour la paix et la démocratie. Des initiatives à suivre…
- Le site drameplateau - Côte d’Ivoire
L’activisme citoyen : le drame du Plateau en Côte d’Ivoire
- Ph : Flickr - Link576
Un des exemples les plus récents est celui de la bousculade mortelle au stade Houphouët Boigny d’Abidjan en Côte d’Ivoire, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2013 dernier, faisant plus de 60 morts et une centaine de blessés. À la suite de la nouvelle, une action de solidarité s’est rapidement mise en place sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter où un mot-dièse est créé – #drameplateau – pour informer et organiser l’entraide. Très suivi, ce dernier permettra de transmettre les informations sur les blessés et de se tenir au courant de l’évolution de la situation. Sous l’initiative des blogueurs Mohamed Diaby et Cédric Gbogou, de simples citoyens se rendent sur le terrain, au stade, à l’hôpital, dans le but de donner les informations les plus fiables. Les médias nationaux eux, ne pourront que présenter un flash spécial à la télévision nationale au petit matin, puis plus rien jusqu’à 13 h, laissant les habitants de la capitale dans une attente intenable pour avoir des nouvelles de leurs proches.
L’instantanéité du relais d’information sur les réseaux sociaux a permis de coordonner les recherches, faciliter le travail des secours et aviser les familles des victimes. Un système de ligne téléphonique d’urgence est ainsi mis à la disposition pour les parents à la recherche d’un porté disparu. Les blogueurs mettent également en place un site Internet, assistance225.com, où l’on trouve la liste des blessés de la bousculade, celle des disparus et un espace où signaler les proches manquants. En possession de toutes ces informations, les volontaires se rendaient régulièrement à la radio pour diffuser les derniers bilans des blessés et des disparus.
Ainsi, l’effort collectif citoyen né d’une mobilisation sur les réseaux sociaux s’est avéré dans ce cas beaucoup plus réactif et efficace que l’état pour la gestion de la crise. L’initiative des deux blogueurs ne sera pas toutefois bien vue par tous et Mohamed Diaby et Cyriac Gbogou seront arrêtés par les autorités ivoiriennes le 4 janvier pour « interférence dans le fonctionnement de l’administration et dans l’information ». La twittosphère s’est enflammée à la suite de la nouvelle, en support à l’action des deux blogueurs. Accusés d’immixtion dans les opérations officielles de secours, ils seront par la suite relâchés sans explications, après plusieurs heures de détention, sous la pression de l’opinion publique.
Pendant les jours qui ont suivi, les Ivoiriens ont salué la réactivité de la communauté web sur les réseaux sociaux et en ont profité pour critiquer le manque de réactivité de l’État. Pour Mohamed Diaby et Cyriac Gbogou, l’objectif n’est pas de faire concurrence aux dirigeants, mais de collaborer de manière intelligente. Une nouvelle façon de penser vers laquelle les gouvernements auront tôt ou tard l’obligation de se tourner.
Plusieurs obstacles demeurent cependant pour instaurer une réelle participation citoyenne sur Internet en Afrique. La fracture numérique d’une part, mais surtout une fracture qui exclut les populations les plus vulnérables, personnes âgées, femmes, pauvres, en milieu rural éloigné, etc.
Internet n’est pas non plus immunisé contre la censure, alors que dans de nombreux pays les voix opposantes aux régimes en place sont souvent bâillonnées, plusieurs blogueurs notamment ont été arrêtés et emprisonnés à la suite de leurs prises de position critique.
De même, l’absence de la plupart des hommes politiques de la toile empêche un dialogue effectif et durable entre la population et les dirigeants. Certains dirigeants du continent utilisent ainsi uniquement les réseaux sociaux à des fins électorales et leurs comptes s’arrêtent une fois élus, comme c’est le cas de Paul Biya au Cameroun, ou de Joseph Kabila au Congo. C’est aussi le cas de plusieurs candidats aux présidentielles, actifs pendant les campagnes, tels Ousmane Tanor Dieng au Sénégal et Bernard Muna au Cameroun, qui n’ont plus tweeté depuis les élections. On peut aussi prendre le cas plus récent au Mali, où plusieurs candidats à la présidentielle étaient complètement absents du web.
Ces obstacles ne sont par ailleurs pas insurmontables et à la lumière des récentes avancées, tant sur le point de la mobilisation citoyenne que de l’organisation autour des réseaux sociaux. Tout laisse à croire que des progrès sont encore à venir de ce côté avec la montée en flèche d’Internet sur les téléphones portables. En effet, les jeunes Africains sont des pionniers en ce qui concerne les technologies mobiles, moins coûteuses et plus accessibles, et ils ont compris rapidement qu’ils pouvaient s’en servir pour trouver des solutions, exiger des comptes de leurs gouvernements et façonner le monde dans lequel ils ont envie de vivre.
Du moins peut-on déjà constater un véritable pas en avant en ce qui concerne l’utilisation d’Internet à des fins citoyennes. De fait, il est intéressant de noter que jusqu’à présent, contrairement aux médias traditionnels, Internet est davantage utilisé comme un outil au service du processus démocratique, et non pour la propagande gouvernementale.