Un colloque sur « L’impact du Franc CFA sur les économies de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et sur les pays environnants » s’est tenu, le 15 janvier 2015, dans les locaux de l’Assemblée Nationale à Paris, sous le haut patronage de Madame Fanélie Carrey-Conte, députée du 20eme arrondissement de Paris et présidente du groupe d’amitié parlementaire franco-guinéenne, et à l’initiative des deux associations GRAD-GUINEE et APAVDE et de leurs présidents respectifs, Monsieur Almamy Kaloko et Monsieur Mohamed Abdou Mazid Soumah. Quatre intervenants ont apporté leurs contributions au thème de ce colloque, avant de laisser la parole aux participants pour les débats, modérés par Madame Amina M’Bow, journaliste. Il s’agit de Messieurs Haroun Gandhi Barry, économiste, Louis Magloire Keumayou, journaliste, Ibrahima Sory Makanera, juriste, et Gilles Morisson, consultant international.
- SENEGAL - Dakar - Le Franc CFA outil de maitrise de l’inflation (Ph : A Galy - ZigZag)
1/ Les pays de l’UEMOA tirent-ils avantage de l’Union Monétaire ?
Pour Gilles Morisson, le premier avantage qu’offre l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) aux pays qui en sont membres est la stabilité monétaire interne et externe. Le Franc de la Communauté Financière d’Afrique, ou Franc CFA, ou XOF, est une monnaie stable et crédible du fait de la maitrise de l’inflation, qui s’établit à 2% en moyenne par an sur la période 2004-2014. Cette stabilité monétaire interne est garante de la stabilité monétaire externe, c’est-à-dire de la parité fixe avec l’Euro et du maintien de la compétitivité-prix des économies, mesurée par l’indice de taux de change effectif réel.
Cette situation contraste avec celle des autres pays de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO), à l’exception du Cap Vert dont la monnaie est également liée par une parité fixe à l’Euro. L’inflation y est comprise entre 10% et 14% par an en moyenne sur la même période, provoquant une dépréciation accélérée de leurs monnaies au change, à due concurrence du différentiel d’inflation avec l’extérieur.
Le second avantage est d’offrir un cadre de coopération monétaire qui s’est élargi à la sphère économique et financière. L’UMOA est désormais partie intégrante de l’UEMOA et en constitue le volet monétaire.
Les performances économiques des pays de l’UEMOA, en matière de croissance économique et de progression du revenu par habitant, sont moindres que celles des principaux pays environnants .Sur la période 2004-2014, le taux de croissance annuel moyen du PIB s’établit à 4.7% pour l’UMOA, 6.8% pour la CDEAO et 7.3% pour le Nigéria et le Ghana. Le PIB par habitant a progressé en moyenne par an de 1.64% pour l’UMOA, 3.95% pour la CDEAO, 4.65% pour le Ghana et 4.45% pour le Nigéria.
Cela tient, pour l’essentiel, à la nature de leurs exportations (coton, produits agricoles) et à la crise en Côte d’Ivoire, qui a entrainé une faible croissance de son PIB plusieurs années durant.
Le Nigéria et le Ghana, quant à eux, ont bénéficié de la forte demande de matières premières minérales avant la crise de 2008 et d’un soubassement industriel solide.
Toutefois, depuis quelques années, la croissance économique s’est ralentie dans les pays voisins et s’établit à un niveau proche, voire parfois inférieur, à celui des pays de l’UMOA.
Les résultats en matière de déficit budgétaire et de déséquilibre du compte courant de la balance des paiements, bien qu’insatisfaisants, sont plutôt meilleurs dans l’UMOA que dans la plupart des autres pays de la CDEAO.
Dans le domaine monétaire, d’importantes réformes institutionnelles ont été accomplies, qui sont allées dans le sens d’un renforcement de l’indépendance de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la modernisation de ses instruments d’intervention.
Dans le domaine bancaire, la création de la Commission Bancaire de l’UMOA, en 1990, a permis, avec le renforcement de la réglementation prudentielle, d’accroitre la résilience des systèmes bancaires nationaux. Il faut à présent unifier le marché bancaire et financier pour améliorer le financement des économies.
La stabilité monétaire et bancaire fournit un cadre propice au développement économique, mais ne saurait, à elle seule, suffire à rendre l’économie dynamique. L’existence d’institutions publiques efficaces, d’infrastructures de transport et d’énergie performantes et d’un niveau élevé d’investissements privés est nécessaire.
Les pays de l’UMOA participent actuellement, à travers l’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO), dont la BCEAO est membre, aux travaux relatifs à la création d’une monnaie commune pour l’ensemble des pays de la CDEAO.
Trois voies sont possibles pour y parvenir :
– les autres pays de la CDEAO rejoignent la Zone Franc, sous réserve de l’accord de la France et des autres pays membres de l’Eurosystème et du traitement du cas du Nigéria à part, du fait de sa taille et de son instabilité ;
– les autres pays de la CDEAO, à l’exception du Cap Vert, forment une seconde zone monétaire, la Zone Monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO), destinée à rejoindre la première ;
– l’ensemble des pays de la CDEAO se fondent directement dans une zone monétaire commune.
Ces trois solutions sont indifférentes aux pays membres de l’UMOA, pourvu que les autres pays fassent les efforts nécessaires pour parvenir à la stabilité monétaire et rendre la nouvelle zone monétaire aussi stable et crédible que la première.
Au total, on observe dans les pays de la CDEAO :
– qu’un niveau élevé d’inflation ne favorise pas une croissance économique forte, mais l’accompagne généralement ;
– que l’inflation est essentiellement un phénomène monétaire lié à une croissance très rapide des agrégats monétaires, souvent consécutive au financement monétaire du déficit budgétaire ;
– que la dépréciation de la monnaie au change corrige les déséquilibres nominaux (écarts de prix), mais ne corrige pas les déséquilibres réels (écarts de compétitivité) ;
La création d’une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la CDEAO :
– ne peut se faire que par étapes ;
– ne signifie pas pour autant la disparition du Franc CFA, qui pourrait l’incarner ;
– signifie la modification, voire la fin probable, des accords monétaires actuels avec la France.
2 / Les pays de l’UEMOA conservent-ils leur souveraineté monétaire ?
Pour Ibrahima Sory Makanera, la souveraineté est la capacité d’un État à décider et à s’engager librement et sans contraintes. L’adhésion à une zone monétaire donne lieu à la signature d’accords de coopération monétaire et de traités d’union monétaire entre les pays membres. Il s’agit donc bien d’un acte souverain.
L’appartenance à une zone monétaire ne remet pas en cause la souveraineté d‘un État, dans a mesure où déléguer un pouvoir, ou une compétence, dans un domaine, comme le domaine monétaire, est par essence un acte de souveraineté.
Dans une zone monétaire les décisions sont collégiales et la souveraineté monétaire est partagée.
Le choix de l’ancrage nominal du Franc CFA à l’Euro est une décision souveraine des différents pays membres de l’UMOA, dont ils peuvent, à tout moment, remettre en cause le bien-fondé. Il est possible de sortir de la Zone Franc, ou d’y entrer, comme l’ont montré, dans un passé ancien et plus récent, le Mali, la Mauritanie, la Guinée, la Guinée Bissau et la Guinée Equatoriale.
La France peut accepter, ou refuser, l’adhésion d’un nouveau pays membre à la Zone Franc, en raison de sa souveraineté. En revanche, elle ne peut pas s’opposer à la sortie d’un pays membre de la Zone.
3 / Les pays de l’UEMOA doivent-ils remettre en cause les accords monétaires avec la France ?
Pour Louis Magloire Keumayou, les pays de l’UEMOA et, plus largement, ceux de la Zone Franc doivent devenir adultes et s’affranchir de la tutelle monétaire infantilisante de la France. Il est nécessaire qu’ils apprennent à gérer leur monnaie commune sans soutien ni regard extérieurs et qu’ils assument pleinement les conséquences de leurs décisions.
Quel qu’en soit le prix à payer, il faut couper le cordon ombilical avec la France.
La création d’une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la CDEAO pourrait être l’occasion de cette émancipation.
Le Rwanda, par exemple, a opéré sa mue après les évènements tragiques qu’il a connu. Il est devenu, en l’espace de quelques années, un pays dynamique, dont la croissance économique est forte et qui attire les investissements privés. Cela est dû à sa bonne gouvernance macroéconomique, imposée par un pouvoir politique autoritaire. Il possède sa propre monnaie qu’il gère en toute indépendance.
Ce que le Rwanda a réussi, d’autres pays peuvent également le réussir.
- RWANDA - Kigali - Une économie dynamique hors de la zone Franc (Ph : Flickr - Lori Howe)
4 / Quelle zone monétaire la Guinée devrait-elle intégrer ?
Pour Haroun Gandhi Barry, la Guinée donne l’impression d’être toujours dans la phase préparatoire au décollage économique, où il faut encore :
– écarter les blocages intellectuels au développement et combattre ceux qui considèrent que l’État doit être à l’origine de tout et non un régulateur, ou un arbitre, du jeu économique ;
– construire les infrastructures physiques vitales (routes, voies ferrées, énergie, eau) ;
– développer une classe d’entrepreneurs.
La Guinée est engagée, depuis l’origine du projet en 2000, dans la construction d’une seconde zone monétaire en Afrique de l’Ouest, la ZMAO, avec la Gambie, le Ghana, le Libéria, le Nigéria et la Sierra Leone.
Outre le fait que l’ensemble des pays avec lesquels elle s’est associée soient anglophones, la Guinée n’a aucun intérêt économique direct à faire partie de cette zone monétaire. Des études économiques montrent qu’une parité fixe avec l’Euro, voire un ancrage à un panier de monnaies composé d’Euro et de Dollar, dans une proportion de 60/40, seraient plus indiqués que le système actuel d’ajustement du taux de change vis-à-vis du Dollar, utilisé comme seule devise de référence.
De par sa situation géographique, sa langue officielle, et ses échanges économiques, l’intérêt de la Guinée est de réintégrer la Zone Franc, qu’elle a quitté en 1960 pour créer sa propre monnaie. Depuis cette date, sa gestion monétaire a été source d’une inflation permanente, souvent élevée, liée au financement monétaire des déficits permanents du secteur public et notamment de l’État. Cela a conduit à la perte du pouvoir d’achat de ses monnaies successives (Franc, Syli, Franc guinéen) et à leur dépréciation accélérée au change. L’indépendance monétaire ne s’est pas accompagnée d’une croissance économique forte en raison d’une mauvaise gouvernance macroéconomique récurrente.
Sur la période 2004-2014, le taux d’inflation annuel moyen s’est établi à 14%, le taux de croissance annuel moyen du PIB en volume s’est élevé à 2.6% et le PIB par habitant n’a quasiment pas progressé, à 0.2%, du fait de l’augmentation concomitante de la population. La Guinée est le seul pays de la CDEAO dont l’inflation a été aussi élevée et la croissance économique aussi faible sur la période sous revue. Par ailleurs, le Franc guinéen s’est déprécié nominalement de 65% vis-à-vis de l’Euro et, ipso facto, du Franc CFA depuis 2004.
Ce choix, bien que politiquement difficile à faire après plus de cinquante ans d’indépendance monétaire, est le seul à même de redonner à la Guinée la discipline monétaire, budgétaire et économique dont elle a besoin pour remettre son économie sur le chemin de la croissance et du développement et lui permettre d’intégrer une zone économique et monétaire plus large à l’avenir.
Le temps est venu pour la Guinée de privilégier ses intérêts économiques et de mettre un terme aux approches politiques et idéologiques stériles de cette question.
La Zone Franc actuelle n’a qu’un lointain rapport avec celle de 1959 et elle est appelée à évoluer encore. Les accords monétaires signés avec la France par les pays de l’UMOA devront s’adapter, voire disparaitre, avec l’avènement d’une monnaie commune à l’ensemble des pays de la CDEAO.
- GUINEE - Conakry - Quel avenir monétaire pour ces jeunes acrobates ? (Ph : Flickr - Julien Harnels)