Imaginons un spectateur, bien calé dans son fauteuil, stupéfait par les prouesses athlétiques des danseurs, par l’émotion qu’ils transmettent d’un geste, un regard, une posture et séduit par ce jeu de corps tantôt grave tantôt dynamique. Imaginons que sur scène, 9 danseurs soient africains et seulement 4 français ou européens. Nous n’imaginons pas le parcours du combattant que doivent surmonter les administratifs de la compagnie ou de l’institution qui les accueillent. La chorégraphie Akzak remplit toutes les cases du casse-tête.
Belfort, ville moyenne dans l’est de la France. S’y trouve un Centre chorégraphique national. Loin du tohu-bohu parisien, lyonnais ou marseillais Via Danse fait partie du décor de la ville. Ses agents administratifs ont leurs entrées à la Préfecture, dans les administrations et les lieux clefs de la ville. Le côté « ville moyenne » facilite les choses et c’est heureux. Car voyez-vous quand 9 Africains débarquent en France pour une longue période dans le cadre d’une création artistique, un déluge de paperasse s’abat sur tous. D’abord le visa pour la venue. Pas une moindre affaire. Heureusement le danseur égyptien possède un visa dit « talent » et sa vie en est facilitée. Profitons de cette allusion à l’Égypte pour dire à celles et ceux qui bougonnent ou insultent les fonctionnaires français qu’ils devraient tester la bureaucratie égyptienne, ils verraient le monde sous un autre jour ! Revenons à nos moutons... 9 Africains pointent le bout de leurs talents à Belfort fin 2019 et début 2020. Instantanément Via Danse doit les inscrire à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, faire ouvrir un compte en banque, remplir les dossiers afin que les artistes rentrent dans l’intermittence et puissent toucher des cachets... en un mot, il faut leur construire une existence légale afin qu’ils pénètrent l’écosystème artistique ! Défi.
Aux petits soins !
Voilà l’obsession de l’équipe de Via Danse. Être aux petits soins des danseurs qui ne se connaissent pas vraiment et s’engagent dans une aventure collective qui devrait durer plusieurs mois. Devrait ? Oui devrait. Nous sommes en 2020, l’année COVID, comment l’oublier ? Tous repartent au pays illico presto. Mais voilà que trois danseurs marocains ratent le coche et sont bloqués à Belfort. Pris au dépourvu, mais logés par l’institution. Ils ont même pu danser cet été quand le ministère de la Culture pressait les acteurs culturels pour qu’il se passe, enfin, quelque chose en France ! Enfin tout est rentré dans un certain ordre. Les répétitions ont repris sous la haute autorité de Sa Majesté Covid, 19e du nom. Pas de portés, le strict minimum de contacts et des tests, toujours des tests... La tournée se profile... Limoges en premier, s’il vous plaît, avant Alexandrie, Bobo Dioulasso, Casablanca, Tunis et de nombreuses villes françaises. La plaie de l’obtention des visas est à son comble. 19 personnes – chiffre clef de l’année décidément – partent en tournée. Elles n’ont pas fini d’être testées, retestées, d’attendre 48h, 72h avant d’avoir la certitude de pouvoir poursuivre la tournée avec la troupe. Une troupe étrangement « boostée » par tant d’embûches administravo-sanitaires. Les spectateurs des Zébrures en profitent ! Tant mieux. Souhaitons que lorsqu’ils applaudiront à tout rompre les danseurs d’Akzak, ils aient une pensée pour les agents de la préfecture de Belfort, l’équipe administrative de Via Danse et pour l’esprit de combat que doivent avoir les initiateurs des projets artistiques internationaux ! Chapeau Via Danse.
Remerciements à Lucien Ammar-Arino, Sécrétaire général de Via Danse – CCN de Bourgogne Franche-Comté à Belfort d’avoir accepté un entretien sans que nous parlions véritablement de la chorégraphie Akzak de Hela Fattoumi et Éric Lamoureux.