La Maison des Civilisations du monde (« Haus der Kulturen der Welt ») à Berlin consacre actuellement une exposition à la multitalent d’origine abénaquise (québéco-canadienne) Alanis Obomsawin (*1932). Le titre de l’exposition est tout un programme : « The Children have to hear Another Story » (« Les enfants doivent entendre une autre histoire »). L’allusion aux méfaits du passé qu’ont subi les autochtones du Canada et donc aussi du Québec est évidente.
C’est la même institution qui a décerné le Prix International de Littérature à Dany Laferrière en 2014 et au jeune poète haïtien James Noël en 2020.
En 2020, Alanis Obomsawin faisait partie du Jury du Festival International du Film à Berlin (la Berlinale) qui décernait le Prix du film documentaire de cette même Berlinale.
Elle est connue dans le monde entier tout d’abord pour ces films, surtout des documentaires consacrés à la culture et à l’histoire des Premières Nations. Le plus connu de ses films est sûrement Kanehsatake : 270 ans de résistance. (1993) C’est le premier de quatre documentaires sur la Crise d’Oka de 1990. Le film a remporté 18 prix de par le monde. L’origine du conflit : la petite ville d’Oka, située à l’ouest, aux portes de Montréal, voulait agrandir un terrain de golf, mais sans réaliser que le terrain envisagé était sacré pour les Indigènes de Kanesatake, réserve mohawk adjacente. La résistance des Autochtones à cette initiative a résulté en un blocus des différentes voies d’accès à la ville de Montréal pendant quelques semaines, ce qui a finalement décidé les gouvernements du Québec et du Canada à envoyer sur place la Sureté du Québec (SQ) et des unités de l’armée canadienne, du jamais vu. Alanis Obomsawin a filmé le conflit et a donné la parole aussi bien aux soldats et policiers qu’aux résistants mohawks, principalement des femmes porte-parole, dont Ellen Gabriel, devenue une sorte d’icône de la résistance autochtone.
Son premier film documentaire « Mother of many children » (1977), long de 58 minutes, a donné l’occasion à des femmes indigènes de différentes communautés de parler de leurs propres expériences. Le résultat : un collage impressionnant à travers des générations d’indigènes. Un autre projet d’Alanis Obomsawin : rassembler du matériel d’enseignement dans différents modules qui pouvaient être envoyés à des écoles partout au Canada. Dans « Incident à Restigouche » (1984), la cinéaste rassemble des documents qui évoquent l’assaut de 550 policiers québécois en 1981 de la petite réserve Mi’kmaq à Restigouche. La prétendue raison : inspecter la modeste récolte de la pêche de saumon. Alanis Obomsawin a pu documenter dans ses interviews avec les membres de la communauté les dimensions de cette attaque et la violence qui en résultait. Des documents internes de l’Office National du Film du Canada témoignent des obstacles que la cinéaste a dû vaincre afin d’obtenir le feu vert pour la diffusion du film.
Dans les années 1990, Alanis Obomsawin a régulièrement été invitée à l’émission canadienne du programme de télévision pour enfants « Sesame Street » (« 5, Rue Sésame »). On l’y voit manier le tambour et on l’entend raconter des histoires, une impression qui contraste avec les images qu’elle a filmées à l’occasion de la résistance des Autochtones à Kanesatake.
Dans « Waban-Aki : People from Where the Sun Rises » (2006), Alanis Obomsawin saisit avec sa caméra Odanak sa communauté d’origine et dessine ainsi un portrait émouvant et poétique en même temps que profondément marqué par l’histoire. Ce ne sont que quelques exemples de ses nombreux films dont le dernier date de 2021 : Honour to Senator Murray. Dans ce film, Alanis Obomsawin réussit à rassembler des extraits des discours du sénateur Murray et des témoignages qui ont été enregistrés lors des hearings de la Commission Vérité et Réconciliation du Canada que le sénateur a dirigés. Avec ce documentaire Alanis Obomsawin réussit une commémoration bouleversante des effets destructeurs du système des Écoles résidentielles sur les indigènes et leurs communautés. Le sujet est d’autant plus d’actualité depuis la découverte des cadavres découverts sur le terrain d’anciennes écoles résidentielles.
Dans l’exposition on peut aussi voir Alanis Obomsawin qui dans les années 1960-70 s’est produite dans le cadre du Mariposa Folk Festival en Ontario où elle était responsable de la programmation. Le festival a contribué a valoriser l’héritage musical des Autochtones du Canada : un autre aspect qui lui tient à cœur.
L’exposition met en valeur non seulement la carrière de la cinéaste Alanis Obomsawin, mais aussi ses autres qualités, celle de chanteuse par exemple. Mais elle est aussi conteuse, artiste visuelle et crée des gravures et lithographies dont une série fait partie de l’exposition.
Ce n’est pas une exposition comme les autres. On suit le parcours d’Alanis Obomsawin à travers les décennies grâce aux documents filmés et enregistrés à la radio. On apprend à connaître une jeune Indigène d’Odanak (Québec) qui, elle, n’a pas subi ce qu’il l’a été par des milliers d’enfants indigènes : être arrachés à leurs familles et à être de force scolarisés dans les soi-disant « écoles résidentielles ». Alanis Obomsawin a connu le racisme primaire en tant qu’unique élève indigène, a vécu l’exclusion et la marginalisation. Mais cela ne l’a pas empêchée de dire : « Il y a partout des hommes de bonne volonté ». Le grand public l’a connue d’abord comme chanteuse dans les années 1960, et un événement particulier lui a ouvert les portes de l’Office National du Film (ONF) du Canada : elle a lancé une campagne de collecte d’argent pour financer une piscine dans sa communauté d’origine. Le film qu’elle en a produit a été le déclencheur d’une carrière inégalée. Elle s’est servi du médium film pour servir de porte-parole des communautés indigènes. Le film documentaire est devenu pour elle l’outil qui lui a offert la possibilité d’entrer dans les écoles et de donner la parole aux élèves et aux adultes indigènes pour qu’ils racontent leur propre histoire. Car, dit-elle, dans les écoles on apprend l’histoire écrite par des euro-canadiens. Les Indigènes et leur histoire n’y a pas sa place ou elle est falsifiée. Le film devient donc pour elle un outil utile pour la formation et l’éducation et les enfants restent au centre de son travail, parce qu’on apprend beaucoup de choses des enfants, dit-elle.
Entre temps, Alanis Obomsawin est davantage visible : son effigie s’étale sur plusieurs étages du front d’un immeuble montréalais, au coin des rues Lincoln et Atwater, un immeuble-refuge réservé à des femmes (autochtones) en détresse.