Les Prix n’ont pas de prix. Car oui, découragement il y a, parfois. Face à l’adversité politique qui ne fait que s’installer, élection après élection. Face aux effets secondaires des déséquilibres et tragédies qui fleurissent de par le monde. Face aux budgets qui ne cessent de s’étioler et aux contorsions que doivent faire les artistes pour se tenir debout et s’offrir aux publics. Besoin d’antidote, oui.
Par exemple ? Une salle pleine de lycéens, applaudissant à tout rompre d’autres lycéens, apprentis-comédiens qui sur scène viennent de lire des extraits d’un grand texte contemporain. Mère prison, d’Emmelyne Octavie, prix Sony Labou Tansi 2023. Texte fort, oppressant, tellement il parle avec conviction de la faillite du monde carcéral en Guyane (et s’il n’y avait que là)... Violences verbales, violences psychologiques, violences physiques. Une mère reste une mère malgré la confrontation avec ce monde des détenus. Texte qui pourrait rebuter n’importe quel adolescent, sans qu’on puisse le lui reprocher. Pourtant, ce prix qui permet à 1200 lycéens à travers le monde de voter pour des textes exigeants, engagés et lourds de sens étend sa toile de la France au Gabon, au Vietnam et au Sénégal.
Pas un bruit parasite pendant la lecture et la joie franche d’avoir assisté à un moment inoubliable. Voir Emmelyne Octavie, descendre sur scène, tomber dans les bras de chacun(e), et voir l’immédiate complicité entre les jeunes acteurs et l’autrice est une récompense pour ceux qui doutent et qui en ont marre d’affronter les vagues d’emmerdements. Il se dit même que certains dans l’équipe dirigeante ne purent retenir leurs yeux de rougir. Et ça, c’est bien !
Un autre ? Un contexte tout à fait différent, bien plus feutré : dans la fameuse tente berbère, quasi-emblème des Zébrures, la remise du Prix RFI. Temps fort du festival tant le partenariat avec RFI est constructif et capital pour l’écho à l’international des Zébrures. Ici, un texte qui n’est pas encore publié, À cœur ouvert mais dont la récompense ravit l’ensemble des présents. Son auteur est camerounais, Eric Delphin Kwégoué. Lui aussi, dans la veine d’Emmelyne Octavie, plonge la plume dans la plaie, selon l’expression du journaliste Albert Londres. Et les plaies sont nombreuses au Cameroun. Comme tout pays à la démocratie boiteuse, la perspective d’élection présidentielle fait monter la température. Le conflit dit anglophone n’étant pas susceptible de faire tomber cette dernière. Dans cette cocotte-minute qu’est le Cameroun, un événement à poussé Eric Delphin Kwégoué à sortir du bois. L’enlèvement et l’assassinat de Martinez Zogo, journaliste ayant voulu, lui-même tremper la plume dans la plaie. Il l’a payé de sa vie dans des conditions effroyables. Son compatriote auteur, à écrit d’une traite son texte, n’hésitant pas à mettre en scène les tragédies quotidiennes de son pays : presse muselée, corruption généralisée et élections à risques. L’émotion d’Eric Delphin Kwégoué en disait long sur la valeur qu’il accorde à ce Prix RFI. Dans la foulée, il reçut la promesse d’être accompagné par les Zébrures, de l’écriture à la scène. Il se dit qu’à la prochaine édition, 2024, le public assistera à la représentation. Récompense, antidote au découragement...
* Auxquels il faut ajouter le Prix de la SACD qui a récompensé cette année l’autrice belge Pamela Ghislain pour Lune.