Année mémorable à plus d’un égard
L’actualité politique, économique et culturelle de l’Arménie de la dernière année [juin 2014— juin 2015] est marquée par les événements commémoratifs de centenaire du génocide ; la dégradation de la situation sociale économique et politique et par la situation précaire dans les montagnes du Haut-Karabakh.
COMMÉMORATION du GÉNOCIDE
En avril 2015 les projecteurs du monde se sont, pour une rare fois, tournés vers ce petit pays montagneux, sans accès à la mer, soumis dès sa réémergence des ruines de l’URSS à un blocus de la part de deux de ces quatre voisins, soit l’Azerbaïdjan et la Turquie.
Les Arméniens du monde entier, ceux d’Arménie en tête, commémoraient le centenaire du premier génocide (1) du 20e siècle, durant laquelle l’Empire ottoman a exterminé les trois quarts de sa population arménienne. La Turquie, héritière de l’Empire ottoman et farouchement opposé à toute référence de génocide des Arméniens, est même allée jusqu’à déplacer la date de la commémoration de la campagne des Dardanelles, dont c’était aussi le centenaire, pour la faire correspondre aux commémorations en Arménie dans l’espoir de détourner les projecteurs. Mais les dirigeants du monde, François Hollande et Vladimir Poutine en tête, ont préféré le 24 avril se rendre à Erevan plutôt qu’à Istanbul.
- Le génocide arménien toujours source de conflits diplomatiques (Wikimedia Commons - ACRNE)
D’un autre côté, l’Azerbaïdjan, allié principal de la Turquie dans la région, a procédé, tout au long des mois précédents le 24 avril, à une escalade soutenue des tensions sur ses frontières avec l’Arménie, outre l’état de guerre quasi permanent autour de la république du Haut-Karabagh, à la sécurité de laquelle l’Arménie est garante depuis le cessez-le-feu de 1994.
Il faut souligner que le ton des commémorations avait été donné le 12 avril 2015 par nul autre que le Pape François qui, au début d’une messe célébrée en la basilique Saint-Pierre à la mémoire des victimes du génocide de 1915, avait relié ces événements à l’actualité tragique vécue par les chrétiens d’Orient. « Malheureusement, encore aujourd’hui, nous entendons le cri étouffé et négligé de beaucoup de nos frères et sœurs sans défense, qui, à cause de leur foi au Christ ou de leur appartenance ethnique, sont publiquement et atrocement tués – décapités, crucifiés, brûlés vifs –, ou bien contraints d’abandonner leur terre », a-t-il souligné. Ces mots avaient une résonance particulièrement forte d’autant plus que les territoires contrôlés en Syrie par le soi-disant État islamique, le long de l’Euphrate, où ont lieu les atrocités d’aujourd’hui, sont précisément au champ de la mort du génocide des Arméniens il y a 100 ans. Il faut noter qu’un des premiers actes barbares des adeptes du califat a été le dynamitage de l’Église érigé à la mémoire des victimes du génocide, à Deir ez-Zor, en Syrie, le 21 septembre 2014.
- (Flickr - adventure priority)
POLITIQUE
En politique interne, les commémorations du centenaire du génocide ont été l’occasion d’une trêve non déclarée entre le gouvernement et l’opposition qui dans les années précédentes ne cessait de réclamer la démission du président. L’opposition n’a presque pas protesté lorsque les autorités ont préventivement emprisonné quelques membres d’un groupe marginal de l’opposition pour la durée des commémorations, ces derniers ayant publiquement déclaré leur intention de tenir une manifestation antigouvernementale le 24 avril.
Une fois le centenaire commémoré, le présent à vite fait de rattraper le régime. En juin, une ratification hâtive de la part de l’Assemblée nationale d’une demande de hausse radicale des tarifs de l’électricité, — 16 % d’augmentation alors que la population subit les effets débilitants d’une économie stagnante et même en régression palpable, malgré la signature le 9 octobre 2014 d’un traité d’adhésion à l’Union économique eurasiatique [UEEA] — a provoqué un mouvement de protestation autant original qu’imprévu : la jeunesse, que la plupart des analystes et politiciens affirmaient être apathique envers la politique, s’est emparée de la rue pendant plusieurs semaines, en bloquant les artères des alentours du parlement et du siège de la présidence.
- Le mouvement "Electric Yerevan" (Flickr - PAN)
Ce mouvement a démontré aussi la déchéance de l’opposition aux yeux de la population : les jeunes dirigeants de « Electric Yerevan », le nom officieux du mouvement, ont carrément interdit à l’opposition de s’accaparer de lui et de le faire dégénérer en un mouvement politique : ayant commencé comme une protestation contre la hausse des tarifs d’électricité, le mouvement s’est campé sur cet objectif et a finalement eu gain de cause. Pour une rare fois, le pouvoir a cédé à la pression de la population et a annulé la hausse du tarif, tout en promettant une enquête sur le dossier.
Le 15 juillet, la Commission ad hoc chargée de la réforme constitutionnelle a rendu public, en publiant sur le site du ministère de la Justice, les sept premiers chapitres de la réforme constitutionnelle. Sans surprise, le projet de réforme propose de transformer l’Arménie en une République parlementaire, avec à sa tête un président symbolique et un Premier ministre conservant entre ses mains le réel pouvoir.
Le projet de réforme prévoit une élection du président de la République au suffrage universel indirect par un collège électoral composé de l’ensemble des députés et d’autant de représentants d’administrations locales. Il sera élu pour un seul mandat de 7 ans. Par ailleurs, le projet stipule que le président doit être résident permanent en République d’Arménie pour au moins les sept années ayant précédé son élection. Il doit être seulement citoyen de la République d’Arménie au moment de son élection et la période des sept années ayant précédé son élection. Il ne peut adhérer à aucun parti politique. Le président incarnera l’unité nationale. Il ne sera pas non plus le commandant en chef des forces armées arméniennes, cette fonction devant être assumée par le Premier ministre en temps de guerre. Le projet de réforme prévoit en outre l’élection de l’ensemble des députés au système proportionnel. Le nombre des députés sera au moins 101 (131 actuellement), ce qui signifie, selon les journaux, que leur nombre puisse varier en fonction des voix obtenues par les partis en lice.
Le référendum populaire pour ratifier la nouvelle constitution aura lieu le 6 décembre.