C’est avec enthousiasme que j’ai participé au 87e congrès de l’ACFAS à l’UQO en mai dernier comme envoyée spéciale d’Agora francophone. Cette année, le congrès avait pour thème « Engager le dialogue savoirs-sociétés ».
Je me suis plus particulièrement intéressée à une communication intitulée « La participation citoyenne pour réduire la pollution atmosphérique en Afrique de l’Ouest : enjeux, défis et conditions de succès ». Les coprésentatrices de cette communication étaient Stéphanie Yates et Johanne Saint-Charles, toutes deux professeures au département de communication sociale et publique à l’UQAM.
Étant moi-même originaire de l’Afrique de l’Ouest et également soucieuse des enjeux de pollution en Afrique, plus particulièrement en Guinée qui, depuis plusieurs années, connait des problèmes de gestion de déchets, la thématique de cette communication m’a interpellée.
J’ai eu l’occasion de parler à Stéphanie Yates des défis d’une recherche participative en contexte africain en marge du congrès. Voici le résumé de notre conversation.
D’emblée, Stéphanie Yates et Johanne Saint-Charles ont décidé d’aller sur le terrain pour comprendre ce que voulait dire la participation dans un contexte ouest-africain. Il y a très peu d’écrits scientifiques à ce sujet : plusieurs recherches sont faites sur la participation en Amérique du Nord et du Sud, mais très peu le sont en Asie, et encore moins en Afrique. C’est dans cet esprit que le projet Écopôle a été conçu et financé par le Centre de recherche pour le développement international (CRDI) et par une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest. Basé au Bénin, le projet participatif a été déployé également au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.
- Des bénévoles en lutte contre l’entassement sauvage des déchets à Saint-Louis. Sénégal
Pour mener ce projet à terme, Écopôle a délégué dans chacun de ses pays un chercheur principal qui avait l’autonomie pour déterminer la manière de mobiliser les gens sur le terrain et de décider localement comment déployer le projet de la Chaire Éco Santé qui vise à documenter la pollution atmosphérique dans les principales villes de ses quatre pays, à former et à documenter des étudiants pour agir sur cette problématique et, surtout, à mettre en place un programme de sensibilisation qui s’appelle Air Sain.
Par souci d’efficacité, les chercheurs principaux des quatre pays devaient sélectionner des leaders communautaires qui allaient devenir des agents de changement dans leur milieu respectif. Par exemple, au Burkina Faso, le projet de sensibilisation qui visait à comprendre la participation citoyenne a été mené dans un quartier au sein duquel une femme qui œuvrait déjà comme mobilisatrice communautaire, tout en faisant de la récupération, a été la force de mobilisation pour amener les citoyens à participer.
Mais, dans cette recherche, comme dans toutes recherches, il y a les objectifs sur papier, et il y a les réalités du terrain.
Un des principaux défis dont m’a parlé Mme Yates a été la capacité de réellement s’exprimer, car il y avait des enjeux de pouvoir liés à cette parole. Par exemple, la chercheuse a constaté que les gens interviewés étaient très positifs, probablement trop. Les gens semblaient avoir peur de s’exprimer négativement sur un sujet qui est étouffé par la société. Si le premier enjeu de pouvoir concerne les données récoltées lors des ateliers, le deuxième enjeu était plus d’ordre stratégique. Le choix des quartiers a été décidé à l’initiative d’Air Sain. Or, Stéphanie Yates et Johanne St-Charles ont compris que les chefs des différents quartiers voulaient l’initiative dans leur quartier, car on distribuait un four à gaz à toutes les personnes participantes. Ainsi, elles ont constaté qu’au Burkina Faso et au Bénin c’était « M. et Mme tout le monde » qui avaient participé alors qu’au Sénégal et en Côte D’Ivoire, ce sont des leaders communautaires qui ont été formés pour qu’ensuite ces derniers véhiculent à leur tour le message de sensibilisation.
Une des problématiques visées pour la sensibilisation concernait l’allumage d’un feu en sécurité. En effet, des personnes allument le feux avec un sachet de plastique, ce qui peut causer des problèmes et que la majorité des gens ne savent pas. J’ai personnellement allumé des feux avec ce procédé, car je n’avais aucune idée des dangers potentiels que j’aurais pu encourir.
Il est ressorti de notre conversation avec Stéphanie Yates l’importance d’éduquer la population : avec cette approche les gens peuvent modifier leurs comportements, croit fermement la chercheuse. Elle a également souligné la responsabilité des autorités dans ce changement de comportements, car la question des déchets ne relève pas seulement de la population. Elle a constaté que les participants mentionnaient leur volonté de modifier leurs habitudes, mais pour cela, il est important que la population sache où mettre les ordures. Et ne le sachant pas, les citoyen.ne.s finissent par les brûler, une pratique aussi nocive pour la population, car à ce moment ce n’est plus une seule qui est en danger, mais plusieurs car elles respirent cet air.
C’est pour cette raison qu’Écopôle était en lien avec les autorités publiques. À chaque rencontre, il y avait un représentant municipal des autorités publiques, parce qu’il ne suffit pas, comme le mentionnait Stéphanie Yates, de « seulement de parler entre nous », mais il faut impérativement impliquer les autorités pour penser qu’un changement pourrait se faire. Le défi demeure donc de trouver un moyen de transformer les ordures, par exemple grâce à l’installation d’un site sécurisé d’enfouissement des déchets.
Nous avons aussi discuté d’une donnée genrée intéressante : pendant les analyses préliminaires, les femmes qui étaient présentes semblaient avoir bien intériorisé les messages et avait pris conscience des choses qu’elles devaient arrêter de faire alors que les hommes avaient encore le réflexe de dire qu’il ne fallait qu’alerter les autorités publiques, ainsi, ils se déresponsabilisaient.
Pendant notre échange, j’ai cherché à comprendre pourquoi seulement quatre pays avaient été sélectionnés étant donné que ce phénomène touche de nombreux pays d’Afrique. Malheureusement, Stéphanie Yates n’a pas pu m’en dire plus sur le choix des pays, car elle n’était pas présente à la création du projet. Ce dernier tire bientôt à sa fin après plus de quatre ans de recherche. Elle espère néanmoins qu’en diffusant les résultats de cette analyse, ceux-ci pourront inciter les autres pays à vouloir participer davantage à ce type d’étude, car elle est consciente que les enjeux sont semblables pratiquement partout en Afrique.
En conclusion, cet entretien nous amène à comprendre l’importance d’avoir des solutions systémiques pour trouver et implanter des solutions à l’avantage de tou.te.s. Ainsi, il serait grand temps d’invoquer de grands mouvements de changement et d’adopter des activités - et des mécanismes de gestion d’enjeux de pouvoir - afin que toutes les catégories de personnes aient accès à l’information et pas seulement de petits groupes déjà avantagés socialement ou politiquement.