Fruit d’une initiative lancée par Bruxelles fin 2014, le rapprochement européen de la Bosnie se voit enfin débloqué après avoir été au point mort depuis des années. Le 1er juin dernier, l’Accord de stabilisation et d’association est en effet entré en vigueur en échange d’un engagement des autorités bosniennes à mettre en œuvre des réformes économiques d’ampleur. Reste à voir si les acteurs politiques de ce pays ex-yougoslave — divisé ethniquement depuis la guerre et rongé par la crise politique et sociale — réussiront à se mettre d’accord sur les mesures requises. Et ce dans un contexte où les dernières élections générales ont été remportées par les principaux partis nationalistes.
- Federica Mogherini, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, en visite en Bosnie (Flickr - presse UE)
POLITIQUE
Une nouvelle chance a été donnée à la Bosnie sur sa voie européenne. Fin 2014, Bruxelles a lancé une initiative visant à sortir du point mort le rapprochement avec l’Union européenne de ce pays ex-yougoslave incapable de mettre en œuvre des réformes requises en raison des permanentes querelles entre les représentants politiques de ses trois principales communautés — serbe, musulmane (dite bosniaque) et croate. La nouvelle approche de l’Union ? Débloquer l’Accord de stabilisation et d’association (ASA), une étape clé dans le processus d’adhésion, en échange de la mise en place d’un ensemble de réformes économiques et sociales d’ampleur. L’idée étant de se concentrer notamment sur l’économie, enfoncée dans le marasme, en laissant pour l’heure de côté les révisions constitutionnelles. Après l’obtention d’un engagement écrit de tous les dirigeants bosniens, l’ASA est en effet entré en vigueur le 1er juin dernier. Et les gouvernements des deux entités territoriales – serbe et croato-musulmane —, ainsi que le gouvernement central, viennent d’adopter le programme des réformes exigées par le bloc européen. Reste à savoir si les différents acteurs politiques parviendront à s’entendre pour implémenter les mesures en question.
En outre, une nouvelle turbulence vient défier l’unité bosnienne : Milorad Dodik, président de l’entité serbe Republika srpska (RS), qui prône une sécession de cette dernière, a récemment appelé à un référendum qui mettrait en question l’autorité de la juridiction nationale sur les Serbes de Bosnie.
Deux décennies après la guerre, la Bosnie reste en effet figée dans ses divisions ethniques. Dans ce pays d’une grande complexité institutionnelle héritée des Accords de Dayton – avec deux entités ayant chacune son propre président, gouvernement et parlement, en plus d’un gouvernement central et d’une présidence centrale tournante — les dernières élections générales, tenues le 12 octobre 2014, ont fait la part belle aux partis nationalistes. Dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, entité qui regroupe Bosniaques et Croates, c’est Bakir Izetbegovic, fils du premier président de Bosnie, du Parti de l’action démocratique (SDA), qui a été élu au sein de la présidence tournante, de même que, côté croate, le candidat de la Communauté démocratique croate (HDZ), Dragan Covic. Le Parti social-démocrate, vainqueur en 2010, a cette fois-ci été le grand perdant. Du côté de l’entité serbe, c’est Mladen Ivanic du parti nationaliste SDS qui a devancé le parti SNSD du nationaliste Milorad Dodik. Les électeurs ont également voté pour renouveler le Parlement central, ainsi que les assemblées et les présidents des deux entités. Mais il a fallu plusieurs mois avant la formation des exécutifs : Denis Zvizdic, du parti SDA, un architecte de formation, a été élu Premier ministre de Bosnie en février dernier, tandis que le gouvernement central s’est vu confirmé par le parlement en mars. Quant au gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, formé lui aussi il y a quelques mois après l’accord sur une coalition entre le SDA et le HDZ, il se retrouve dans une nouvelle crise après la démission des ministres issus du Front démocratique, initialement partenaire dans une coalition avec le SDA mais passée depuis dans l’opposition…
Autre événement politique, la commémoration du 20e anniversaire du massacre de Srebrenica s’est déroulée sous le signe des tensions provoquées par un jet de pierres sur le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic. L’année écoulée a aussi été marquée par la visite à Sarajevo du pape François, venu prêcher la réconciliation. Près de 100 000 personnes se sont rassemblées pour l’accueillir.
- Exposition "Srebrenica" à Sarajevo (Flickr - eser karadag)
ÉCONOMIE
L’un des tout premiers pas dans la mise en œuvre des réformes exigées par l’UE - nécessaires d’ailleurs pour recevoir des financements européens et ceux du FMI - est un nouveau projet de loi sur le travail, voté fin juillet dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Non sans les protestations de plusieurs milliers de personnes qui se sont réunies devant le parlement de l’entité. Selon les syndicats, la nouvelle législation, qui introduit davantage de flexibilité dans l’emploi, risque de faciliter les licenciements et réduire les droits des travailleurs.
Un an et demi après la vague de manifestations qui avaient secoué le pays, le taux de chômage continue de résumer à lui seul la difficile situation économique : 27,5 % de la population active au sens du BIT, voire 45 % selon les statistiques nationales. Il s’agit, pour la plupart, des chômeurs de longue durée, d’après le rapport d’octobre 2014 de la Commission européenne sur les progrès du pays, tandis que le chômage des jeunes avoisine 60 %. De son côté, le FMI souligne qu’étant donné le faible nombre de postes dans le secteur privé, les demandeurs d’emploi se tournent vers l’étranger ou attendent un travail dans le secteur public.
- Une économie terne (Flickr - julian buijzen)
Si l’économie a montré des signes de reprise en 2013, à savoir un taux de croissance de 2,5 % après un recul de 1,2 % l’année précédente, les fortes inondations qui ont frappé le pays en mai 2014 ont interrompu cette embellie. Elles ont endommagé l’infrastructure énergétique et celle des transports ; les dégâts matériels se montent à deux milliards d’euros. Mais l’économie du pays s’est avérée plus résistante que prévu, notait le FMI en mai dernier, dans un communiqué. La production et les exportations ont rebondi, l’estimation de la croissance pour 2014 s’élève à près de 1 % ; elle pourrait atteindre environ 2 % en 2015. Les inondations ayant néanmoins creusé les finances publiques, les autorités ont un besoin urgent de financements pour combler les déficits. Le prêt du FMI, signé en 2012, reste pour l’heure en suspens depuis septembre dernier, faute de mise en œuvre des réformes économiques requises par l’institution.
CULTURE
C’est le programme le plus riche dans son histoire : le Festival du film de Sarajevo (SFF), pour sa 21e édition, présente 259 films de 57 pays dans le cadre d’un programme très diversifié. Créé durant le siège de Sarajevo en 1990, le SFF s’est imposé comme l’un des principaux rendez-vous cinématographiques dans la région, fréquenté par des stars d’Hollywood. Cette année, l’invité spécial du festival est l’acteur Benicio del Torro qui fera la promotion du film « A Perfect Day » — l’histoire d’un groupe d’humanitaires pendant la guerre en Bosnie — du réalisateur espagnol Fernando Leon de Aranoa et qui devrait recevoir le prix traditionnel du festival, le Cœur de Sarajevo. Celui-ci a également été d’ores et déjà décerné au réalisateur canadien Atom Egoyan pour sa contribution exceptionnelle à l’art cinématographique. Au menu des projections en plein air, « Tigres » du lauréat d’Oscar bosnien Danis Tanovic, « Chronic » du réalisateur mexicain Michel Franco, « Irrational Man » de Woody Allen… pour n’en citer que quelques-unes.
- La Haggadah (Wikimedia Commons - goodoldpoloniuz2)
Autre événement culturel qui vient de faire l’actualité, l’initiative « Je suis le musée » dans le cadre de laquelle des citoyens bénévoles se relaient pour assurer les permanences et garder les collections du Musée national de Sarajevo (« Zemaljski muzej BiH »), fermé depuis trois ans faute de financements et de volonté politique. Fondé en 1888, ce musée qui abrite la célèbre Haggadah de Sarajevo — un manuscrit hébraïque enluminé réalisé en Espagne au 14e siècle — a ainsi pu rouvrir temporairement ses portes fin juillet. Au programme, plusieurs événements : lecture de poésie, conférences, expositions, débats... Et d’après l’organisateur, de nombreuses personnalités publiques, des artistes, des universitaires…, mais aussi des ambassadeurs des différents pays, se sont joints à l’initiative. Le Musée national n’est pas la seule institution culturelle nationale en difficulté : d’autres, parmi lesquelles le Musée d’histoire ou encore la Bibliothèque nationale et universitaire, demeurent à ce jour sans statut juridique et financier défini.