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BULGARIE - Pourquoi RFI a-t-elle disparu des ondes en 2009 ?

BULGARIE - Pourquoi RFI a-t-elle disparu des ondes en 2009 ?

8 mars 2022 - par Lyubomir Martinov 
Sofia, le journalisme aujourd’hui - © Arnaud Galy
Sofia, le journalisme aujourd’hui
© Arnaud Galy

Il était une fois à Sofia une radio française admirée par une audience certes limitée, mais influente. C’était la branche locale de Radio France Internationale qui a existé entre 1995 et 2009. Elle était la radio préférée de l’élite de la capitale bulgare, son audience étant composée surtout par des intellectuels et des gens qui avaient le goût pour la haute culture. On a écouté ses reportages avec engouement pendant 14 ans jusqu’à ce jour fatidique où la radio a disparu d’une manière brusque et inattendue.

Même pendant l’époque communiste les Bulgares francophones écoutaient à la maison sur ondes courtes les émissions de RFI en français. « Donc RFI était déjà dans notre vie bien avant 1995 quand la radio bulgare est apparue. C’était un format unique et c’est pour ça qu’elle a reçu une licence sans concours », dit la journaliste bulgare Rossitza Nikolova. Cette ancienne présentatrice du journal à RFI Sofia a donné un entretien à Agora francophone d’une demi-heure pendant laquelle elle a raconté l’histoire de ce média et a parlé de sa propre expérience. En plus de présenter les actualités en bulgare, elle faisait des reportages de sujets importants concernant la Bulgarie et des correspondances en français pour l’antenne mondiale de RFI.
Au début, RFI Sofia reprenait les émissions en français, puis elle a commencé à produire une demi-heure d’actualités en bulgare le matin, avec une revue de presse française ou de reportages traduits. Peu après les journalistes bulgares ont reçu une tranche horaire le soir de 19 h à 20 h. Puis petit à petit la grille horaire s’est élargie et incluait la revue de presse bulgare, des entretiens avec des politiciens, des ambassadeurs et des membres de la société civile bulgare. Enfin, la rédaction bulgare disposait des émissions de 8 h du matin à 20 h le soir et ne reprenait les émissions de RFI en français que pendant la nuit.


L’équipe de RFI Sofia, de gauche à droite : Ludmil Fotev, Virginia Zakharieva, Sava Dinev, Rossitza Nikolova et Borislav Kovatchev

Il y a un reportage que Rossitza a fait pour l’émission globale de RFI qu’elle n’oubliera jamais – celui du 10 janvier 1997 à Sofia « lorsque, l’hymne national à la bouche, les foules en colère étaient à l’assaut de leur propre parlement pendant cet hiver de famine et de turbulences politiques qui a abouti à la dissolution du parlement et du cabinet de Jean Videnov à l’époque ».

Master en lettres bulgares et françaises, Rossitza s’est lancée dans le journalisme quand le communisme est tombé. Elle a fait un stage de formation à Lille comme journaliste et elle a travaillé dans quelques journaux au début. Depuis 1991, elle accompagnait des journalistes de RFI qui venaient en Bulgarie pour faire des reportages, exerçant le rôle de guide et interprète. Elle leur trouvait des contacts pour des entretiens. Sa relation avec la radio a donc commencé avant qu’elle soit embauchée officiellement.
Rossitza a quitté la radio en 1999 pour aller passer 3 ans à Paris à l’ambassade de Bulgarie. « J’avais travaillé toute ma vie pour les relations franco-bulgares et c’était une occasion incroyable d’aller sur place pour revivre cela », a-t-elle dit. Quand elle est revenue, son poste à RFI avait été occupé et pour cette raison elle a travaillé un certain temps comme pigiste, mais ça ne la contentait pas. Enfin, en 2004, elle a continué sa carrière à l’Agence de presse Bulgare où elle travaille jusqu’à nos jours comme rédactrice au département qui couvre les actualités du monde des affaires et l’économie.

Le siège de RFI Sofia

Au milieu décembre 2009, la fréquence de Radio France Internationale à Sofia a été remise à une autre société qui a commencé à émettre une radio d’actualité dite Focus. L’autorisation de ce changement a été donnée par le Conseil des médias électroniques (CME) lors d’une réunion à huis clos. Cette annonce est intervenue deux semaines seulement après que l’on ait appris que RFI avait vendu sa filiale bulgare à une société privée bulgare en raison d’un manque d’audience, et deux semaines seulement avant un grand changement planifié au Conseil des médias électroniques (CME) qui aurait cessé d’exister dans sa composition actuelle.

Anna Hadzhieva a été le seul membre du CME à voter contre la décision. « Ce changement de propriétaire s’est produit trop rapidement, tout comme la décision du CME », a déclaré Mme Hadzhieva à Darik Radio. Darik suivait de près cette histoire tout en sachant que la radio qui a remplacé RFI deviendrait un concurrent dans le domaine des actualités.
La branche bulgare du réseau français a tout d’abord annoncé au début du décembre que des négociations étaient en cours pour un partenariat financier avec une société bulgare. Il s’agissait d’hommes d’affaires de Varna, selon lesquels une radio nommée Renaissance allait démarrer à la place de RFI et dont l’orientation serait « orthodoxe  ». Même un haut membre du clergé bulgare était impliqué dans les négociations. Le métropolite Kiril de Varna s’est présenté comme candidat à l’achat de la licence de la radio, « en promettant de garder la ligne éditoriale, toute l’équipe, l’esprit de la radio et tout ça », précise Rossitza Nikolova. « Les Français se sont dit : “Voilà, on a enfin trouvé quelqu’un d’honnête pour reprendre notre radio si aimée” ». Mais selon elle, il n’était qu’un intermédiaire.

Ensuite, le siège de RFI à Paris a annoncé officiellement que sa radio à Sofia était vendue, faute d’audience, à une société basée à Varna, une ville au bord de la mer Noire. L’acheteur s’était engagé auprès du personnel à poursuivre le format d’information et de musique, à maintenir la relation avec RFI et à garder les quelque 20 employés.

« Deux semaines plus tard, bien trop rapidement pour les pratiques de l’autorité de régulation des médias, le CME a non seulement approuvé l’accord, mais aussi une modification de la licence de programmation. Ainsi, en pratique, il s’est avéré que le but de toute l’opération était, en contournant la loi, de faire passer sous le nom de quelqu’un d’autre et sans concurrence l’apparition sur l’antenne de Sofia de radio Focus », selon le site d’actualités Mediapool. Elle était détenue par une société dont l’un des propriétaires était Krassimir Ouzounov, qui gérait aussi l’agence de presse Focus. « La radio a progressivement construit une chaîne dans un certain nombre de villes du pays, mais depuis des années, son désir de percer sur le marché de Sofia se heurte à des obstacles », affirme Mediapool. Rossitza Nikolova a expliqué que la loi pour la protection de la concurrence dans les médias à l’époque ne donnait pas la possibilité d’avoir une agence de presse et une radio en même temps.
La décision du CMЕ a suscité une vive réaction de l’Association des radiodiffuseurs bulgares (ARB), dont les représentants n’ont pas été autorisés à assister à la réunion du conseil. Avec cette décision le CME а écrit « une autre page noire » dans l’histoire médiatique récente. Le cadre réglementaire européen exige que les États membres disposent d’un régulateur des médias indépendants et efficaces, ce qui, selon l’organisation, « manque en Bulgarie », peut-on lire dans la position officielle de l’ARB.

« Le programme de radio Focus sera diffusé depuis notre studio déjà existant à Sofia, mais nous ne possédons pas la licence », a déclaré au journal Dnevnik le propriétaire de Focus, Krassimir Ouzounov. Par conséquent, il ne peut être question de privatisation cachée, comme l’accuse ARBR. Selon lui, la société de Varna qui avait acheté les fréquences de RFI a demandé à radio Focus Sofia de diffuser son programme, mais en revanche il fallait qu’elle suive en priorité les sujets religieux. « Nous avons convenu et signé un contrat, c’est tout », a ajouté Ouzounov.

Il y a une raison plus importante que la compétition commerciale qui a contribué à la fermeture de la radio : le sous-financement. « Quelques années avant 2009, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’époque à l’Élysée, l’État français devait faire des économies. Et on cherchait pour RFI des partenariats, par exemple à Bucarest RFI était en partenariat avec radio Delta, à Lisbonne aussi il y avait un partenariat avec une radio locale. Donc on cherchait pour RFI Sofia un partenariat. Mais on n’en a pas trouvé », à ajouté Nikolova. La situation s’est exacerbée encore plus suite aux mesures d’austérité que l’État français a prises après la crise financière de 2008-2009.

Même 13 ans après que la radio ait cessé d’exister, on peut trouver dans les mots de Rossitza Nikolova une vraie fidélité et un sentiment très chaleureux qu’elle garde toujours. « On travaillait jour et nuit sans faire attention à nos horaires. On commençait à travailler à 4 h du matin et on finissait le soir vers 9 h, 9 h 30 pour préparer un peu l’émission du lendemain. C’était une ambiance incroyable ». Et qu’est-ce qui se passait quand quelqu’un faisait une gaffe au micro ? La punition était d’acheter une caisse de bière. « Vingt bouteilles de bière – c’était l’amende qu’on devait payer. Évidemment, la bière était bue ensuite par tout le monde ».
Pour elle, RFI signifiait le destin. «  Le destin en tant que profession, le destin en tant que vie privée aussi. Parce que c’est là que j’ai rencontré l’amour de ma vie ».

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