Ce matin-là, dans le magnifique foyer de l’Opéra de Limoges, Bernard Magnier hisse la voile pour la Caraïbe. Un véritable bassin de langues fabriqué par les siècles de colonisation et son tragique apport d’Africains, et par les résistances autochtones. Autrefois, les écrivains pionniers du 17e siècle au 19e siècle refusaient catégoriquement d’être vus comme noirs ! Ils faisaient des pieds et des mains pour être considérés comme appartenant à la littérature française... Le 20e siècle fit exploser cette attitude marquée par l’esprit colonial. Le talent, l’intelligence et l’engagement des plumes caribéennes explosèrent à la figure des obsédés du Quartier latin. Les coups bas des uns et des autres pour entraver la marche en avant des Caribéens furent nombreux : comment ne pas penser immédiatement au Figaro, réagissant au prix Goncourt donné au Martiniquais René Maran en 1921 pour son roman Batouala, s’interrogeant sur un futur Goncourt donné à un singe puisqu’il avait déjà été donné à un Noir. Sic.
À énumérer les noms les plus éminents de la littérature francophone caribéenne, comment ne pas se dire que la notion même de francophonie doit une grande part de sa complexité à l’apport de ces figures. Peut-on envisager les questions, coloniales, postcoloniales, nord-sud, insulaires sans la lecture de Césaire, Damas, Fanon, Glissant, Condé, Confiant, Simone Schwarz-Bart, Kanor, Chamoiseau ou Octavia. Le prix de la SACD 2022, remis aux Zébrures, n’a-t-il pas été remis à Emmelyne Octavie, guyanaise, pour son « À contre-courant, nos larmes », à paraître chez Lansman début 2023.
Que disent ces auteurs ? Sans les entasser dans un sac commun, de grandes lignes se détachent : écoutons Bernard Magnier, « le pays d’avant ; le passé raturé, la présence de l’Afrique, les préjugés de couleur, l’insularité, l’exil - ex-île – la nature, la grand-mère, le choix de la langue... » Résumé à la serpe, mais Bernard Magnier distille les exemples, les anecdotes, les dates et les précisions avec enthousiasme et humour. Autre charnière à étudier quand on parle de littérature francophone de la Caraïbe, le passage de la « littérature du nous à celle du je ». Le passage d’une génération qui parlait au nom de... des Caribéens, des Africains, d’une communauté... à la génération du... je, je vous raconte mon histoire...
Et puis, que serait l’éternelle question, « le » sujet qui fait couler de l’encre à gogo, le mot qui, une fois prononcé, provoque le débat jusqu’à l’aurore : la négritude. Ha, la négritude, ça pique ! Ça n’est pas Bernard Magnier qui l’a soutenu lors de son intervention, ce n’est que votre serviteur !
Copinage assumé : les conférences de Bernard Magnier