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Carnets Vanteaux continue autour des microfictions 2/2

Carnets Vanteaux continue autour des microfictions 2/2

9 février 2021 - par Carolane Riboldi 
 - © Pixabay - guard113
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Consigne

Réécriture d’une microfiction de Régis Jauffret, « Alcoolisme et enseignement » (Microfictions, éd. Gallimard, 2007, Folio, p. 13-14). Voici son début :
« Je suis enseignant. Je méprise mes élèves comme un patron ses employés. Si j’avais hérité une fortune de mon père, au lieu de ce deux-pièces spacieux comme une paire de pot de yaourt, je n’aurais pas à subir leur jeunesse radieuse et révoltante pour un quinquagénaire déglingué en route vers la vieillesse et la mort. Le lycée où j’enseigne est situé dans un quartier bourgeois de la capitale. Les parents ne se soucient guère des performances de leurs rejetons. Il leur suffit d’user de leurs relations, pour qu’en fin d’année le proviseur reçoive un coup de téléphone impératif d’un ministre ou du rectorat, lui enjoignant de les faire passer en classe supérieure. Malgré tout, j’aime mon métier. A cause des vacances, des grèves, des congés maladie. En outre, je peux donner mes cours en étant presque saoul, sans que l’administration ne m’adresse le moindre blâme. (…) »

Par Milena Makarius

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DANS MES VEINES

En entreprenant mes études d’enseignant, il y a de cela bientôt trente ans, j’étais animé par l’espoir naïf des jeunes gens, celui d’apporter ma pierre à l’édifice de l’éducation, de changer les choses par mon optimisme et ma passion de l’histoire ; mais aujourd’hui, à l’aube de mes cinquante ans, ces espoirs sont déchus. La seule satisfaction que je tire de mon métier se résume à présent aux vacances scolaires, à la couverture sociale, et aux grèves qui me donnent la fantastique opportunité de me soustraire à mes obligations sous prétexte d’agir pour le bien commun.

Ma vie sentimentale est en somme aussi désastreuse que ma vie professionnelle : après avoir rencontré ma femme dans la salle des professeurs du lycée dans lequel j’enseigne toujours, et l’avoir demandée en mariage quelques mois plus tard, nous avons écoulé ensemble dix années agréables. Puis, après la perte de sa mère, sa dépression l’a conduite entre les murs de l’hôpital psychiatrique le plus proche, et nos relations se résument depuis à quelques brefs appels téléphoniques auxquels je mets fin après un échange sommaire de banalités. Les médicaments affectent ses fonctions cognitives, et il m’est insupportable de l’entendre divaguer en permanence.

Depuis mon retour forcé au célibat, les seules étreintes que je m’autorise sont celles de l’ébriété. La plupart de mes cours, je les dispense avec un taux d’alcool suffisant dans le sang pour me faire oublier à quel point je méprise le reste de l’humanité, mes élèves les premiers. L’habitude veut que je parvienne à feindre un état normal, presque joyeux, lorsque je suis sous l’influence de mon précieux élixir, et jamais je n’ai eu à souffrir d’une quelconque plainte pour le mal que je m’inflige. Le soir, pour faire taire le souvenir de ma solitude, je me noie dans le whisky jusqu’à sombrer dans un sommeil sans rêves, et à l’heure du réveil, je soigne mes maux de tête par le même remède, encore et toujours.

Voilà cinq ans que je n’ai pas été sobre, et la prochaine fois que je le serai, le formol sera sans doute ce qui remplacera l’alcool dans mes veines.

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