La Pologne a mis tellement d’énergie dans la lutte contre la hausse des prix que ses manipulations sur le marché du carburant pourraient devenir un cas d’école dans les manuels d’économie.
A la fin du mois de septembre une photo a fait le tour des réseaux sociaux en Pologne. On y voyait l’un des vice-ministres polonais remplissant de carburant de nombreux récipients en plastique. Une belle illustration de la situation sur le marché des carburants en Pologne à deux semaines des élections parlementaires, qui ont eu lieu à la mi-octobre.
Panne ou pénurie ?
C’est le « miracle à la pompe », comme l’ont appelé les médias, qui a poussé le vice-ministre à faire des provisions. En septembre, alors que le prix mondial du pétrole montait, les prix aux stations de puissant groupe petrolier Orlen, controlé par l’Etat polonais, descendaient, jour après jour. Cadeau électoral ? Les experts n’en avaient aucun doute, malgré le démenti de l’entreprise.
Pourtant le cadeau s’est avéré perturbateur. Les prix bas ont incité les conducteurs à acheter beaucoup plus d’essence que d’habitude, ce qui a engendré des problèmes de logistique et, par conséquent, des pénuries aux stations. Même si Orlen essayait de les dissimuler derrière des panneaux annonçant des pannes aux pompes à essence, la confusion s’étendait dans le pays. Les observateurs ont même remarqué des camions-citernes militaires, auxquels l’entreprise a dû faire recours pour faciliter sa logistique.
Finalement, alors que Orlen multipliait les communiqués censés apaiser les craintes des clients, le vice-ministre s’est laissé photographier faisant des stocks.
Grand sujet de la campagne
« Il est certain que les manipulations de prix des carburants ont réduit l’inflation en Pologne. Selon certaines estimations, l’impact a pu atteindre 1 point de pourcentage. C’est beaucoup », explique Ignacy Morawski, économiste en chef du journal économique Puls Biznesu.
L’inflation a été l’un des grands sujets de la campagne électorale en Pologne. Les données pour le mois de septembre, publiées peu avant les élections, ont montré la chute de l’inflation sur un an, d’août à septembre, de 10,1% à 8,2%. Plus de la moitié de cette baisse résulterait de la manipulation pré-électorale des prix du carburant.
Billets de train en baisse aussi
Le carburant représente en Pologne 5% du panier d’achats des consommateurs. C’est donc un facteur important, mais il existe d’autres moteurs des variations de prix. Le plus important est l’alimentation, qui représente un quart du panier du consommateur. En seconde position on trouve l’énergie pour les ménages, englobant p.ex. le charbon et le gaz, qui constitue plus de 10% du panier des dépenses.
Pour ces deux catégories le gouvernement polonais a aussi tenté de stopper la hausse des prix.
« Tout d’abord, la TVA sur les produits alimentaires a été abaissée à 0%. D’autre part, les prix de l’électricité ont été gelés ou, selon les cas, limités par le gouvernement » souligne Ignacy Morawski.
Et ce n’est pas tout. La Pologne a aussi baissé les prix des médicaments pour les personnes âgées, ainsi que les prix des billets de train sur certaines lignes. « Mais c’est la baisse du prix du carburant qui a joué le rôle le plus important », constate Ignacy Morawski.
L’exemple hongrois
Le « miracle à la pompe » sera un cas d’école pour les futurs manuels d’économie en Pologne. « C’est la preuve que la baisse artificielle des prix n’est jamais une opération simple » constate Ignacy Morawski. En outre, le fait qu’une entreprise puisse manipuler les prix pendant une longue période montre « l’ampleur du caractère monopoliste du marché ».
L’année dernière, un cas similaire a pu être observé en Hongrie. Avec une différence importante : c’est le gouvernement hongrois qui a officiellement décidé de geler les prix du carburant. Le chaos ne s’est pas fait attendre, avec une ruée à la pompe, des problèmes d’importation et des pénuries de carburant à travers le pays. Pourtant, comme le signale Ignacy Morawski, c’était plus transparent que ce qui s’est passé en Pologne. « Ici nous ne savons pas qui a pris la décision. Cela nous en dit aussi beaucoup sur les liens entre les affaires et la politique ».
L’essence commence à monter
Le 15 octobre les Polonais ont donné la victoire aux partis de l’opposition. Les élections passées, le prix de l’essence commence à monter. Pourtant Ignacy Morawski estime que ce rebond ne suffira pas à faire augmenter le taux d’inflation global. « L’inflation continuera à baisser à court terme ». Il explique que, globalement, les prix des matières premières ont fait grimper l’inflation en Pologne en 2022, et qu’en 2023, ils la font baisser. « Cependant, l’inflation reste élevée. Si quelqu’un nous avait dit il y a trois ans qu’elle atteindrait 8 %, nous aurions été effrayés. Aujourd’hui personne ne s’attend à ce qu’elle descende au niveau idéal de 2,5% dans un avenir proche ».
Plus optimistes que l’Européen moyen
Et l’année prochaine ? Tout dépend de mesures réglementaires, qui sont difficiles à prévoir. La TVA sur les produits alimentaires reviendra-t-elle au taux précédent de 5% ? Les prix de l’électricité seront-ils dégelés ? Si toutes les mesures en vigueur venaient à expirer, l’inflation pourrait être élevée au début de l’année prochaine. « Supérieure à 7% » estime Ignacy Morawski. Et « inférieure à 5% », si les mesures sont prolongées.
À long terme, comme le prévoient les experts, l’économie polonaise connaîtra probablement une croissance rapide et il lui sera difficile de stabiliser l’inflation à un niveau bas de façon durable. « Nous avons un faible taux de chômage, une croissance élevée des salaires nominaux, une reprise de la consommation, une forte croissance des investissements et des taux d’intérêt faibles par rapport à l’inflation » énumère Ignacy Morawski.
Selon les enquêtes, les Polonais sont plus optimistes que l’Européen moyen. « Car le gouvernement polonais a décidé de soutenir les consommateurs plus que dans les autres pays » constate l‘économiste de “Puls Biznesu”. Mais cela veut dire qu’il faudra plus de temps pour réduire l’inflation. « La question est de savoir si le coût de se soutien ne sera finalement pas trop élevé ».
La pratique l’emporte sur la théorie
Faut-il critiquer le pouvoir pour l’intervention sur les prix ? « La plupart des économistes n’aiment pas cela, mais la pratique politique veut que tous les gouvernements agissent sur les prix » admet Ignacy Morawski.
En théorie, la priorité devrait être d’atténuer les causes de la hausse des prix, c’est-à-dire une demande trop forte. Comment ? Par l’augmentation des taux d’intérêt.
« Mais les gouvernements cherchent plutôt des moyens de réduire les prix par voie administrative. Dans la gestion de la crise inflationniste, cela est, à mon avis, inévitable ». Pourtant aucun gouvernement ne peut influencer les prix de manière très durable. Cela entraînerait des pénuries de marchandises... ce que la Pologne vient de démontrer avec le carburant.