Atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : réécrire une microfiction de David Thomas, No-kill (Seul entouré de chiens qui mordent, Editions de l’Olivier, 2021, p. 225-227) dont voici le début et la fin :
No-kill
A la pêche, le no-kill est une pratique qui consiste à remettre le poisson dans l’eau. Pour cela, il faut veiller à ne pas ferrer trop tard afin que l’animal n’avale pas l’hameçon.
(…)
Ces douze derniers mois mon éditeur, qui est un homme charmant et plein d’attentions, a régulièrement pris de mes nouvelles.
— Ça va ? Vous écrivez comme vous voulez ? Vous êtes content ?
— Oui, oui, réponds-je à chaque fois. Les textes s’écrivent.
Hier, il m’a téléphoné car j’ai dépassé de quinze jours la date à laquelle il était convenu que je lui rende le manuscrit.
— Quand comptez-vous le rendre ? m’a-t-il demandé ?
— En fait… je… je n’ai pas de manuscrit.
— Comment ça ? Vous m’avez dit pendant des mois que vous écriviez !
— oui, c’est vrai, j’ai écrit, mais je n’ai pas gardé les textes. J’ai pratiqué le no-kill pendant un an en remettant à chaque fois mes textes à l’eau.
— Vous plaisantez ?!
— Non.
Des mains sur le sable. Les grains qui impriment leur relief sous la peau. Les doigts virevoltent et creusent des dunes. La paume en suspens laisse s’échapper un filet blond. Elle enfonce à nouveau la main dans la cuve, juste pour le plaisir de le sentir se glisser entre ses doigts et se presser dans ces interstices. Il est chaud, la lampe placée sous le plateau de verre irradie jusque là. Elle sait qu’elle devrait changer l’ampoule trop enthousiaste, qu’elle risque de se brûler, mais si elle ferme les yeux, si elle se concentre sur cette main lézard des sables, le voile de sa blouse se gorge de vent. La bourrasque plaque contre sa poitrine le tissu rêche. La poussière soulevée tapisse sa gorge sèche et elle ne goûte rien quand sa langue effleure les lèvres gercées. Sa peau est sable, les craquelures qui semblent pourtant si palpables se dissolvent au toucher, ne laissent qu’une impression, elle est insaisissable. Elle est un ensemble, forte et compacte. Elle est un grain qui échappe.
Les paupières toujours closes, elle continue son voyage, court dans son pays natal. Le public émerveillé voit les mains accélérer leur ballet. Le sable vole, semé par le geste expert, se pose en une couche juste assez fine pour que la lumière la traverse, reflets d’or sur le plateau, la toile prend forme. Le visage apparaît peu à peu, le lin recouvre la bouche qu’on devine sous le tissu. Les yeux puits de soleil semblent fixer chacun des spectateurs tandis que l’artiste n’a toujours pas rouvert les siens.
Elle lâche le dernier grain, la dernière dune arbore son arrête tranchante. Elle jette un dernier regard alentour, voit sa mère devant la tente, les yeux brûlant du même bleu que celui du foulard. Le vent qui dessine le sourire derrière le voile. Elle peut regarder à nouveau. Légèrement éblouie par les spots, il lui faut quelques secondes pour retrouver le visage face à elle. Ses mains ne l’ont pas trahie, recréant comme chaque soir les images, réminiscences épinglées dans du sable. Elle parcourt le public d’un regard, la foule se lève pour mieux applaudir. Ils ont tous vu sa mère et son désert, il est temps. D’un geste leste, elle racle le plateau de verre. Le portrait s’efface, les grains retombent dans la cuve. Le souvenir repart, il ne pouvait rester qu’un instant. Elle sourit amusée au son des cris de la salle. Son art ne vit que dans l’éphémère, si le mouvement cesse, il meurt avec lui. Elle a grandi là où un souffle transforme le paysage, là où le sol n’est jamais le même. Elle n’est pas fixe mais éphémère, n’a pas plus de poids que le grain de sable que ses mains de géante minuscule déplacent une seconde avant le retour du constant changement.