La consigne : réécriture d’une microfiction de David Thomas, « Le bonheur » (Un homme à sa fenêtre, éd. Anne Carrère, Paris, 2019, p. 56-57). Voici son début :
« Le bonheur, c’est ma femme et mon fils à mes côtés. Et puis un petit bureau, même six mètres carrés ça me suffit, mais beaucoup de ciel au-dessus de ma tête, dehors, loin des murs, le plus loin possible, et puis une rivière dans les parages, avec des truites, des ombres, des perches et des chevesnes pour les jours malchanceux, une petite place bien plate pour la pétanque, devant une église éventuellement, c’est pas grave, un bistrot où l’on propose des vins de soif, pas du prétentieux à mettre le nez dedans et à faire tourner dans les verres, avec un comptoir à cent dix-huit centimètres du sol, pour ma taille c’est ce qu’il faut quand j’ai une jambe pliée et l’autre droite comme un tronc, et puis quelques copains alentour qui respirent à peu près comme moi. Et puis aussi un éditeur qui fasse pas chier avec les ventes, ça viendra en temps voulu, ou ça viendra pas, c’est pas le problème, ce qui compte, c’est que vous écriviez. (…) »
Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve.
On conçoit cette phrase lorsque l’on est paria du bonheur, c’est-à-dire qu’on en a peur, peur des suites plus néfastes que le bonheur procuré. Cette phrase touche en somme les épicuriens. Ils la comprennent en ce qu’ils refusent que les excès engendrés par le bonheur outrepassent les plaisirs qu’il a pu procurer. L’ataraxie n’est plus atteinte et par expérience, on commence à fuir le bonheur de peur. Il faut se contenter des bonheurs fades, ce sont les moins dangereux, les moins décevants. Ils n’engagent que peu d’affect et sont donc assez inoffensifs pour que l’on puisse se les permettre. Les bonheurs intenses, en revanche, périlleux pour les sensibles que sont les épicuriens, engagent la personne dans l’affectivité de son être. La déception est lourde à affronter.
L’expérience m’a, hélas, toujours montré que le bonheur était suivi de malheurs plus grands. J’ai alors de plus en plus fui le bonheur, de peur qu’il ne se sauve. Mais rien ne se sauve puisque je ne laisse plus au bonheur de possibilité d’exister.
Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, que le ciel azuré ne vire au mauve.
Il faut dire que j’éprouve un certain plaisir pour le sombre. Quand le ciel d’été se charge de nuages d’orage, je jubile. À s’abstraire du bonheur, on en prend son parti et l’on vit un malheur permanent et cynique. Malheur qui, chez de nombreux auteurs de cette veine, conduit tout de même au suicide.
Est-ce à dire que l’on ne s’encanaillerait jamais avec le malheur, en dépit de toute revendication ?