La consigne : réécriture d’une microfiction de David Thomas, « Le bonheur » (Un homme à sa fenêtre, éd. Anne Carrère, Paris, 2019, p. 56-57). Voici son début :
« Le bonheur, c’est ma femme et mon fils à mes côtés. Et puis un petit bureau, même six mètres carrés ça me suffit, mais beaucoup de ciel au-dessus de ma tête, dehors, loin des murs, le plus loin possible, et puis une rivière dans les parages, avec des truites, des ombres, des perches et des chevesnes pour les jours malchanceux, une petite place bien plate pour la pétanque, devant une église éventuellement, c’est pas grave, un bistrot où l’on propose des vins de soif, pas du prétentieux à mettre le nez dedans et à faire tourner dans les verres, avec un comptoir à cent dix-huit centimètres du sol, pour ma taille c’est ce qu’il faut quand j’ai une jambe pliée et l’autre droite comme un tronc, et puis quelques copains alentour qui respirent à peu près comme moi. Et puis aussi un éditeur qui fasse pas chier avec les ventes, ça viendra en temps voulu, ou ça viendra pas, c’est pas le problème, ce qui compte, c’est que vous écriviez. (…) »
Le plafond de cette chambre est un peu jauni, la politique anti-fumeur n’a pas dû bien fonctionner ici. Je le fixe depuis une petite demi-heure, couché sur ce matelas inconfortable. « Prends une chambre dans cet hôtel, j’y ai passé un superbe séjour la dernière fois », mon cul oui. Je suis montée à la capitale pour me faire presque insulter par mon éditeur, ça il aurait largement pu le faire au téléphone cette ordure. Tout ça me dégoute, ça me dégoute de l’écriture, de la ville, des gens et de ce quotidien. Je suis coincé encore une nuit dans cet hôtel miteux, le prix était attractif, mais ça me semble assez logique finalement. Ma femme me manque, mon fils aussi. Eux, ils auraient trouvé quelque chose de drôle à cet endroit, ils l’auraient rendu lumineux s’ils avaient été avec moi.
J’attrape la zapette de la télévision pour y mettre une chaîne diffusant le top 50, c’est ce que ma femme aurait certainement choisi. Je me lève et dans la salle de bain je vais faire couler un bain que je remplis de savon pour un maximum de bulles, c’est ce que mon fils préfère. Un des hits préférés de ma femme est en train de passer, mes pas suivent le rythme avant même que le courant de ma pensée n’arrive à mon cerveau, je me laisse totalement aller et sautille un peu partout dans ma chambre. Puis soudainement une idée digne de mon gamin me vient… et si je sautais sur ce lit ? J’emmerde les règles de bienséance, moi aussi je veux participer au jaunissement du plafond, inonder la salle de bain et casser une latte du lit en faisant le con. Si ça me rend heureux, c’est ce que je vais faire ! Je prends une de ces toutes petites bouteilles qui coûtent une fortune dans le mini bar, Nouvelle phrase quand je vais raconter aux copains du bistrot que j’ai payé une blinde pour une pauvre goulée de whisky, ils vont rire.
En regardant par la fenêtre, je vois toutes ces maisons allumées et ces rues éclairées, ces milliers de voitures qui circulent, toutes ces choses de la ville me paraissent dérisoires. Je n’ai jamais aimé cette vie-là, métro boulot dodo, coincé dans une immense ville où l’on se sent étouffé au milieu de la foule. Le bonheur ce n’est peut-être pas constant, mais si le mien devait vivre quelque part, il serait sans aucun doute au milieu de cette petite place de village avec ma femme à mes côtés et mon fils qui essaie d’apprendre à jouer à la pétanque avec mes copains. Le bonheur c’est peut-être deux ou trois blagues salaces pendant un barbecue le week-end avec des amis, des gamins qui courent dans le jardin et une femme qui t’aime au point que tu en oublies que le reste de la semaine t’es fermé dans un bureau à faire un job qui te fatigue. Le bonheur finalement il existe. Le bonheur, c’est un hôtel qui n’est jamais complet, où il y a toujours une chambre de libre pour un copain qui te rend heureux, un collègue qui te fait rire, des inconnus qui changent ta vie. Des chambres vides et prêtes à être remplies pour qu’on vienne sauter sur le lit, défaire les draps toute la nuit, faire jaunir le plafond et inonder la salle de bain, mais surtout pour s’autoriser un petit moment pour rêver.