Consigne : Écrire une page (au maximum un feuillet A4) en usant du procédé décrit par Raymond Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres :
« Je me suis toujours proposé d’expliquer de quelle façon j’avais écrit certains de mes livres (Impressions d’Afrique, Locus Solus, l’Étoile au Front et la Poussière de Soleils).
Il s’agit d’un procédé très spécial. Et, ce procédé, il me semble qu’il est de mon devoir de le révéler, car j’ai l’impression que des écrivains de l’avenir pourraient peut-être l’exploiter avec fruit.
Très jeune j’écrivais déjà des contes de quelques pages en employant ce procédé.
Je choisissais deux mots presque semblables (faisant penser aux métagrammes). Par exemple billard et pillard. Puis j’y ajoutais des mots pareils mais pris dans deux sens différents, et j’obtenais ainsi deux phrases presque identiques.
En ce qui concerne billard et pillard les deux phrases que j’obtins furent celles-ci :
1° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard…
2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard.
Dans la première, « lettres » était pris dans le sens de « signes typographiques », « blanc » dans le sens de « cube de craie » et « bandes » dans le sens de « bordures ».
Dans la seconde, « lettres » était pris dans le sens de « missives », « blanc » dans le sens d’ « homme blanc » et « bandes » dans le sens de « hordes guerrières ».
Les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde.
Or c’était dans la résolution de ce problème que je puisais tous mes matériaux. »
Le tire-au-flanc touche dès la première balle la cible. Il exulte ! Tout à l’heure, il lui a fallu huit coups pour y arriver. Il se lève nonchalamment de sa chaise, récupère la sphère molle et moussue accrochée au tissu et se rassoit sans hâte. 2h28, plus que 3h32. Il aime bien calculer le plus rapidement possible le temps qu’il lui reste. Il prend son petit carnet posé sur le bureau et note le score qui remonte les statistiques de la soirée, il s’arrête sur le coup parfait. Sa tête se relève machinalement, pivote sur la droite, s’avance d’un air penché et fait la mise au point, sourcils froncés. Son visage s’élargit alors d’un coup, secoué de joie. Oh le con ! Oh le con ! Regarde Régis ! Oh putain, il en tient une bonne !
Un pauvre gars titube sur le parking. Trois pas en avant, deux pas en arrière, un pas sur le côté. Il valse avec la vie, l’homme. Il ne sait pas qu’une caméra de surveillance est braquée sur lui. Il chancelle, le dos courbé, les mains recroquevillées sur la poitrine comme dans une ultime prière, puis finit par lamentablement se vautrer. Il parvient à glisser un genou sous lui, prend appui dessus puis sur la poignée de la portière. Il s’accroche et parvient tant bien que mal à se redresser. C’est alors que sa tête trop lourde bascule sur le toit. Son corps accuse le coup, mon Dieu, mais dans quel état je suis.
Bientôt tous les gars du premier étage sont là, une multitude de regards fixés sur l’écran 9. Et tous regardent l’homme. Certains s’échangent des coups d’œil amusés ou attendris, d’autres se lèchent les babines. Il y en a qui lancent des paris, celui qui pense qu’il n’arrivera pas à monter dans la voiture, celui qui pense que ce n’est même pas la sienne. Les hommes le voient de dos, écrasé sur la portière. Ils se gaussent les flics, ils se marrent, curieux de voir comment il va s’en sortir, il est côté passager. Mais le voilà qui bascule sur le capot, le buste qui épouse les formes et se laisse glisser, les flics admirent le corps plié en deux, emporté par le mouvement des jambes pour parvenir de l’autre côté. Au commissariat, ça salue l’effort dans une salve d’applaudissements. Et bientôt d’autres du second rappliquent, attirés par le brouhaha joyeux qui monte dans les airs.
L’homme réunit ses dernières forces. Il farfouille dans sa poche (mais où est-elle ?) et réussit à en extraire la clé. Il touche un peu partout le plastique lisse jusqu’à ce que le verrouillage automatique produise son déclic. Il ouvre la portière. Bien sûr l’ouverture trop étroite l’oblige à se contorsionner pour engouffrer son buste puis tout le reste qu’il balance sur le siège. Il saisit victorieusement le volant.
Combien de temps avant qu’il ne réussisse à démarrer ? Les flics déclenchent le chrono et prophétisent sur son alcoolémie, chacun se lançant dans de nouveaux pronostics. Ils l’observent à travers la fenêtre passager et le voient s’accrocher à son volant comme si sa vie en dépendait. Le voilà qui s’acharne sur le démarreur. Ah ça y est, il a réussi à mettre le moteur en route ! Et vlan, contre le pare-choc avant. Oh putain, lance la clameur. Il s’échine maintenant sur la boîte de vitesse, les flics le devinent au mouvement de tête qui dodeline d’avant en arrière. Et vlan, pare-choc arrière et Laura et Antoine lèvent le camp.
Une minute après, la voiture arrive, gyrophare allumé, sur le parking illuminé de bleus et rouges stroboscopiques. Le spectacle tient la flicaille en haleine.
Laura et Antoine garent la voiture devant le véhicule de l’homme qui s’est immobilisé. Le pauvre gars a à peine eu le temps de faire un demi-tour qui le met pile face caméra. Ils sortent de la voiture, claquement de porte dans la nuit noire, s’avancent d’un pas assuré et frappent à la vitre. L’homme s’affale sur le volant. Laura ouvre la porte, l’homme s’écroule. Les flics hilares voient en même temps le visage blanc de Laura se tourner vers eux et une mare de sang qui se répand par terre.
À y regarder de plus près, ils auraient dû voir les tâches brunâtres sur la carrosserie de la Scénic. À mieux y regarder, ils auraient dû voir un homme agoniser. Au même moment, l’écran 11 retransmet une agression d’un homme à main armée sur une jeune femme de 27 ans, Lila Gervais, aux grands yeux noirs terrorisés, secrétaire trilingue qui s’est mariée le mois passé. Le même homme qui a tiré sur notre homme vingt minutes auparavant à un pâté de maisons de là. Le tir au flanc couche dès la première balle la cible.