Consigne : réécriture d’une microfiction de David Thomas, Slogans (Un homme à sa fenêtre, éd. Anne Carrière, Paris, 2019, p. 13-14) dont voici le début :
Ma sexualité a commencé en 1981, année de l’élection de Mitterrand avec le slogan « La force tranquille ». A l’époque, j’étais très jolie et sexy, et chaque fois que je séduisais un garçon cette phrase me revenait en tête tant les choses me semblaient faciles. Pour charmer, je n’avais rien d’autre à faire que d’être là. Sept ans plus tard, c’était l’accroche de Chirac, « Nous irons plus loin ensemble », qui illustrait parfaitement ma vie. J’étais folle amoureuse d’un homme avec qui je me projetais et dont j’étais certaine qu’il me mènerait au plus loin dans le bonheur. (…)Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova Makarius
Je suis né au siècle dernier, un siècle sombre s’il en est, en 1981 pour être précis, et le vingt novembre plus exactement. Comme moyen mnémotechnique “vin” c’est bien puisque c’est à peu près la moitié du liquide qui s’écoule dans mes veines. Que voulez-vous, je préfère fluidifier mon sang en prévention du futur accident cardiovasculaire qui me terrassera. Mais, on n’en est pas encore là. Non, retour en arrière, en ce vingt novembre 1981, à quatre heures pétantes de l’après-midi, juste pour l’heure du goûter, du lait chaud et des chocos BN.
Je m’en souviens très bien. Ce jour-là, Mitterrand, comme une bonne fée, s’est penché sur mon berceau avec une petite rose rouge pleine d’épines pour me souhaiter toutes dents dehors la bienvenue. Même que je me suis piqué avec en voulant m’en saisir, et que ça m’a bien fait chialer. Ou alors était-ce à cause de l’air douloureux que mes poumons pour la première fois expiraient.
Quarante piges désormais, putain ça commence à faire. Plus proche de la fin que du début. Pour ne pas dire, j’ai effectué plus de la moitié du chemin. J’ai traversé plusieurs périodes, vu plusieurs présidents défiler à l’Élysée, avec plus ou moins de succès. Dans six jours on ira de nouveau voter, et cette fois-ci je compte pas me défiler. Je préfère prendre ma vie en main et compenser toutes les fois où je me suis débiné, que la leur laisser entre leurs mains sales.
La montée des extrêmes, putain ! Y’ a pas à tortiller du cul, ça me fait gerber ! Chirac avait le bon remède à adopter : manger des pommes ! Pour combattre le Cancer, y’ a pas mieux, et puis, c’est bon pour la santé ! J’en ai bouffé et bouffé ! Tellement même que j’en ai chié des pépins ! À en avoir la nausée.
Jeune et con que j’étais, j’avais pas daigné me déplacer, déjà désillusionné par les choses de la vie et en me disant qu’un simple vote n’allait rien changer à tout ça. Sauf que, pas de bol, j’étais pas le seul à avoir eu la même idée ce jour-là. Et patatras ! Le Front National s’est engouffré dans la brèche et je n’avais plus que mes yeux pour pleurer. De dépit, je me suis rendu aux urnes pour le deuxième tour afin de contrer cette gangrène honteuse afin que Le Pen ne nous casse plus jamais les burnes.
Je n’aurais pas supporté qu’un facho dirige notre pays Liberté. Saez était lui aussi sur le cul. En réaction, il a écrit un fort joli texte très engagé au lendemain du premier tour en avril 2002 : fils de France. D’ailleurs je l’écoute en boucle depuis plusieurs jours. Ça me met en transe et dans des états pas possibles. Je ferme les yeux et je reviens violemment en arrière. J’ai honte de moi, de ce que je suis devenu. De ce que nous sommes tous devenus. Avant, nous étions engagés, nous avions des rêves plein la tête, des idées, le poing levé, maintenant nous ne sommes plus que des êtres désillusionnés, la bouche fermée, les épaules rentrées.
En 2007 bis repetita, il faut combattre les mêmes ennemis ! Encore plus coriaces que des bactéries. Il faut donc rester vigilants. Saez veille au grain et sort de nouveau au moment des élections un titre percutant : Jeunesse lève-toi ! Pour inciter les jeunes à se bouger le cul pour aller voter et surtout à ne pas abandonner le combat. Je ne me rappelle même plus si moi j’y suis allé. Sans doute au deuxième tour une fois encore. Car leurs discours de beaux parleurs me sortaient par les trous de nez, des promesses que jamais ils ne tiendraient.
Je ne votais pas pour, je votais contre. Contre les extrêmes ! Je ne dérogerai jamais à la règle. Saez tout comme le vin aigre, coule dans mes veines. C’est mon prophète à moi, qui remplace les hommes politiques ou bien encore les faux prophètes de la Bible, j’y crois de façon mystique.
Avant, on ouvrait sa gueule, on n’avait pas peur ! Où sont les Renaud, les Balavoine, les Coluche ? Ils ont tous clamsé dans des circonstances étranges. Réduits au silence. Renaud s’est définitivement tu, à croire qu’on lui a glissé un antalgique puissant de niveau trois dans sa bouteille de jaune. Il est où putain le gars qui chantait à tue tête Hexagone, Société tu m’auras pas, Putain de camion ou encore Camarade bourgeois ? Maintenant il chante j’embrasse un flic et semble avoir retourné sa veste, l’âge aidant il a abandonné la lutte.
Il est où le titi parisien engagé sorti de banlieue avec le bandana rouge noué autour du cou, son jean’s délavé et son cuir noir ? À part Saez aujourd’hui je ne vois personne à reprendre le flambeau. On ferme notre gueule. On dit Amen à tout. En littérature c’est encore pire, on dirait qu’on a tous oublié de se faire greffer des couilles ! Elles sont où les féministes ? Ils sont où les révolutionnaires ? Les libertaires ? Les idéalistes ? Je vais avoir l’air de passer pour un pauvre vieux réac mais quand même, y’ a pas à dire, c’était mieux avant !
Avant, y avait Voltaire, y avait Hugo, y avait Zola et son J’accuse ! Y avait Malraux, y avait Camus, y avait Sartre ; ils étaient nombreux à ouvrir leur gueule et à s’engager politiquement parlant ! Aujourd’hui, tout est fade et aseptisé, lisse et sans relief. C’est bien triste ! Jadis, les artistes et les écrivains entraient en résistance, aujourd’hui ils rentrent dans la zone de silence et de confort sans faire de vagues, pour ne froisser personne. Ça ne serait pas bon pour leurs ventes. Au mieux ils entrent en résilience, au pire ils rentrent dans le rang.
Celui des bottes qui martèlent les pavés lors des défilés du 14 Juillet. On n’est pas très loin des chemises brunes après tout. Et des uniformes ternes. Il n’y a qu’à voir combien de partis d’extrême droite sont cette année représentés ? Marine le Pen et Eric Zemmour tiennent le haut du pavé, Nicolas Dupont-Aignan n’est pas loin. Diviser pour mieux régner il semblerait !
Il est où notre Mai 68 ? Le doux vent de la rébellion ? Les cheveux longs ? Les slogans révolutionnaires ? Sous les pavés la plage ! Mort aux cons ! Mort aux flics ! Ça c’était quelque chose, ma voix de gaucho me fait regretter de n’être pas né avant pour connaître cette époque-là. Les barricades, les bras de fer avec l’état ! Le grand chambardement ! Le Do Love Not War des hippies dans les années 60. Le Flower Power Movement, Woodstock et les sit-in. Désormais chacun ne pense qu’à sa pomme et ne voit pas plus loin que son nombril.
J’aurais voulu connaître la Commune, agiter le drapeau rouge sous leur nez de bourges opulents ! J’aurais voulu souffler sur toute l’Europe le vent libérateur du Printemps des Peuples et de la rébellion ! Tirer le coup de feu avec le Che, fumer un cigare avec Fidel, faire ma révolution d’Octobre avec Lénine et Trotski, tailler le bout de gras avec Pancho Villa, boire un canon avec Frida Kahlo et Diego Rivera ! Me lier avec les républicains en Espagne et sauver ce qu’il y a encore à sauver. Faire tomber le Mur de Berlin à grands coups de pioches. J’aurais voulu me planter tout droit sur la place Tian Anmen et défier du regard les yeux noirs et déterminés du tankiste chinois à travers le métal froid de son T-59. Quel courage bon Dieu pour ne pas plonger définitivement dans la Nuit ! Dans cette Nuit assassinée !
Aujourd’hui j’ai quarante piges et je n’ai plus l’âge de mes idées, je suis lessivé et le seul courage que j’ai trouvé, c’est dimanche prochain d’aller voter ! Alors, je vous en prie, vous qui manquez de courage aussi, faites comme moi : votez !